Homélie de Mgr Dufour, Ecclesia 2007

Dufour Christophe - Aix-en-Provence et Arles

L’Evangile n’en a encore que pour les canailles et les cancres, les voleurs et les prostituées, prodigues et publicains. « Je ne suis pas venu pour les justes mais pour les pécheurs » avait annoncé Jésus quand il avait mangé à la table de Lévi le publicain. Et ceux qui ne font rien de mal, qui s’efforcent chaque jour d’être fidèles, n’ont-ils pas le droit eux aussi à une bonne nouvelle ? Ah si j’étais publicain ! Mais je ne suis pas publicain…Et la parabole évangélique s’adresse à « ceux qui étaient convaincus d’être justes ». La tentation n’est-elle pas toujours forte pour le chrétien d’être convaincu d’être juste ? Tentation insidieuse, tentation qui détruit la foi et la ronge en son cœur. Quelle est donc la bonne nouvelle pour raviver la foi des fidèles du Christ ? Elle les appelle à une conversion, à un retournement. Trois grands saints ont vécue cette conversion et en témoignent : l’apôtre Paul, sainte Thérèse de Lisieux et Bernadette de Lourdes.

L’apôtre Paul n’était pas publicain. « Je suis pharisien » dit-il (Act 26,5) et Ph l 3,5). Il récitait donc cette prière qui nous est rapportée par ailleurs dans le Talmud : « Je te remercie, Seigneur mon Dieu, de m’avoir donné part à ceux qui s’assoient à la synagogue et non pas avec ceux qui s’assoient au coin des rues. Comme eux je me mets tôt en route. Mais je m’en vais tôt vers la Parole de la Loi et ceux-ci s’en vont tôt vers des futilités… » Telle était la belle prière des pratiquants de la foi juive, elle rendait à Dieu la grâce de la fidélité.
Pourtant Paul ne peut plus dire cette prière depuis qu’il a découvert le Christ. La loi ne peut sauver. Impossible de s’ajuster à des normes pour se déclarer juste. « Je considère tout cela comme ordure afin de gagner le Christ et d’être trouvé en lui, non plus avec une justice à moi, mais avec celle qui vient de Dieu et s’appuie sur la foi » (Phil 3,8). Paul le pharisien reçoit et accueille la grâce qui fut offerte au publicain de la parabole, le pardon gracieux de Dieu.

Thérèse de Lisieux a vécu aussi pareille conversion dans son Carmel. Exemplaire et proche de l’innocence, bien au-dessus de la moyenne dans la pratique du bien, elle aurait pu se dire : « Je suis une sainte, merci mon Dieu ». Mais elle est allée s’asseoir à la table des pécheurs. Ecoutez sa prière : « Seigneur, votre enfant vous demande pardon pour ses frères, elle accepte de manger aussi longtemps que vous le voudrez le pain de la douleur et ne veut plus se lever de cette table où mangent les pécheurs… Ayez pitié de nous Seigneur car nous sommes de pauvres pécheurs ! Oh Seigneur, renvoyez-nous justifiés… ». Si Thérèse fut un jour canonisée, ce n’est sans doute pas pour son parcours sans faute au Carmel, mais pour avoir fait sienne la souffrance des prodigues publicains. Elle avait entendu l’évangile du publicain. Avec Thérèse, pharisien et publicain ne sont plus l’un derrière et l’autre devant, mais côte à côte à la même table, la table eucharistique.

Une troisième figure est celle de Bernadette. Le jeudi 25 février 1858, Bernadette s’avance à genoux vers le fond de la grotte. Lorsqu’elle se relève, son visage est barbouillé de boue et elle mâche des herbes amères qu’elle a cueillie et mise à sa bouche. Elle communie ainsi à la passion de Jésus. C’est le cœur du message de Lourdes. Bernadette est conduite par Marie au cœur du mystère de la foi, à la source du pardon. Sa dernière parole rejoindra la prière du publicain : « Priez pour moi, pauvre pécheresse ».

Au terme de ce Congrès, la Parole de Dieu nous invite à faire nôtre la prière du publicain, la prière de l’homme sauvé, la prière du pauvre. Quel sens peut avoir pour nous cette prière ?

La prière du publicain nous invite à nous reconnaître pauvres. J’entends souvent des personnes me dire : « Je ne sais pas faire ». Oui, nous sommes pauvres. C’est le sens de notre pèlerinage. Nous sommes venus confier à la grotte de Lourdes, par l’intercession de Marie, notre humble supplication. Cette prière nous rend solidaires de tous les pauvres de la terre.

La prière du publicain nous invite à reconnaître nos fautes. Le renouveau de la catéchèse passe par une sorte de révision de vie et de nos pratiques catéchétiques, un discernement lucide de nos erreurs. Nous laisserons alors l’Esprit Saint nous rendre justes dans l’écho de la Parole que nous sommes appelés à faire résonner auprès de nos contemporains. La prière du publicain nous rend solidaire de notre humanité appelée elle aussi à de radicales révisions de ses modes de vie, comme en témoigne le Grenelle de l’environnement convoqué cette semaine par le gouvernement de notre pays.

La prière du publicain nous conduit au cœur de la foi. Elle nous fortifie contre la tentation qui tue la foi, la tentation d’être convaincus d’être justes. La prière du publicain nous plonge dans la miséricorde de Dieu qui tire du mal un bien, elle nous introduit dans le mystère de la passion, de la mort et de la résurrection du Christ. Il n’y aura pas de renouveau de la catéchèse sans un renouveau de la foi.

« La prière du pauvre traverse les nuées, nous dit le Sage, tant qu’elle n’a pas atteint son but, le pauvre demeure inconsolable ». Dans le Christ, la prière a reçu sa réponse ultime, le pauvre est consolé, le publicain est devenu juste. Par le baptême, nous avons été nous aussi ajustés, configurés au Christ. Non pas par nos mérites, mais par les mérites de notre Seigneur Jésus le Christ, par pure grâce divine. Dans le Christ, nous sommes sauvés, aimés, pardonnés, réconciliés. Dieu est entré dans l’histoire, dans notre histoire.

Faisons nôtre la prière du publicain, la prière du pèlerin, la prière du cœur, la prière du nom de Jésus : « Jésus, fils du Dieu sauveur, prends pitié de nous pécheurs ». Alleluia !

Le Dimanche 28 Octobre 2007

Mgr Christophe Dufour,
Evêque de Limoges,
Président de la commission épiscopale de la catéchèse et du catéchuménat