Assemblée plénière novembre 2018 : discours de clôture par Mgr Georges Pontier

mgr-georges-pontierLa liturgie de ces jours qui ont suivi la fête de Toussaint a soutenu notre prière et notre travail en assemblée. En lisant la lettre de Saint Paul aux Philippiens nous avons contemplé le Christ « ne retenant pas le rang qui l’égalait à Dieu » (Ph.2,5). A son école nous avons médité sur la fécondité du mystère pascal. Tout vient de Dieu. Il a tout donné et tout sauvé. Il a créé et il recrée. Il demeure dans l’amour. Dimanche nous avons entendu le double commandement de l’amour : celui pour Dieu qu’on ne voit pas et celui pour le frère que l’on voit.

Dans cette lumière nous avons vécu un moment profond de rencontre dans l’humilité, l’écoute, la supplication et l’action de grâce pour l’œuvre de Dieu plus forte que nos péchés et que nos blessures. Le témoignage de personnes ayant été victimes a concrétisé le chemin de longue et profonde destruction provoqué par les actes de ceux qui n’ont pas respecté leur dignité en les transformant en objet de plaisir. Ces abus sexuels commis par des clercs, la mauvaise prise en compte de ces faits par l’autorité ecclésiale, le sentiment de n’être nulle part entendu ont fait de ces personnes les dénonciateurs d’un scandale aggravé par le caractère consacré de leurs auteurs. Le témoignage que plusieurs d’entre eux ont donné de leur expérience de la fidélité de Dieu à leur égard nous a émerveillés. Dieu n’abandonne pas son enfant blessé. Il se fait proche et relève. Leur foi en Christ est demeurée forte pour eux. Leur confiance en l’Église a été blessée. Mais d’autres ont perdu toute foi. Le chemin de reconstruction humaine et spirituelle est ralenti par leur blessure profonde, l’indifférence rencontrée, la mauvaise prise en compte de leur parole par les responsables de l’institution ecclésiale.

Une des personnes rencontrées m’a envoyé un mail me disant « Je me demande si on ne peut pas dire que de la même façon que notre corps explose en 1000 morceaux lorsqu’on est abusé (mais aussi notre esprit et notre âme), le corps ecclésial a aussi explosé en mille morceaux à cause des abus…Et je me dis que chaque fois que deux d’entre nous essaient de se comprendre, de s’écouter et de se regarder…c’est comme si cela recolle un peu deux petits morceaux d’Église…Vous comprenez ? Alors voilà, on a peut-être un peu commencé à recoller un petit peu de l’Eglise brisée, deux petits morceaux…C’est pas beaucoup, mais c’est déjà ça… »

Dans nos partages et nos réflexions, nous avons mieux saisi qu’il s’agit de se rencontrer pour reconstruire. On ne peut pas le faire seul. Nous nous sommes rappelé tout ce que nous avons fait seuls à travers nos initiatives prises depuis des années. Nous le continuerons en terme de prévention, en terme de compréhension, en terme de formation, en terme d’écoute et de confiance. Mais cela doit être enrichi par le travail ensemble et avec d’autres.

Nous avons donc décidé de prendre des initiatives avec des personnes victimes qui le voudraient : entendre leur récit, recueillir leur parole pour permettre de ne pas laisser tomber dans l’oubli ou le non-dit ces tranches de vie douloureuses et permettre ainsi de mieux comprendre ce qui s’est passé. Nous voulons encore ensemble continuer à chercher ce qui peut servir la reconstruction des personnes sans fermer aucune hypothèse. Nous voulons faire que l’Église soit un lieu sûr pour les enfants et les adolescents. Là encore nous avons besoin de la vigilance et de l’engagement de tous dans la vie des communautés chrétiennes.

Nous avons encore décidé de créer une commission indépendante confiée à une personnalité reconnue pour mener une étude sur deux aspects. Le premier consiste à relire ce qui s’est passé dans notre Église depuis les années cinquante pour comprendre comment ces abus sexuels commis par des clercs et des consacrés sur mineur ou sur personne vulnérable ont pu avoir lieu, comment ces faits ont été traités par l’Église, quelles préconisations peuvent être faites. Le deuxième aspect s’attachera à évaluer l’action de notre Église engagée depuis les années 2000 pour mieux traiter ces faits, pour se donner les moyens d’une écoute facilitée des personnes victimes, pour mener les actions de prévention et de formation et formuler encore des préconisations.

Regarder les choses en toute clarté est source de liberté et d’apaisement. Nous avons conscience de rejoindre l’expérience spirituelle de Paul, telle qu’il l’écrit aux Corinthiens « C’est pourquoi j’accepte de grand cœur pour le Christ les faiblesses, les insultes, les contraintes, les persécutions et les situations angoissantes. Car lorsque je suis faible, c’est alors que je suis fort ». (2 Cor 12,10)

Nous avons le désir d’inviter toute l’Église à vivre dans cet esprit cette épreuve du moment, ce péché de certains des siens. Nous avons le désir d’inviter les prêtres de nos diocèses à le vivre ainsi. Nous les connaissons. Ils ont notre estime, notre confiance. Nous savons qu’ils vivent douloureusement ce moment présent. Mais nous admirons la sincérité de leur engagement, leur zèle, leur prudence, leur souci de conduire au Seigneur. Nous savons qu’auprès d’eux les jeunes et les adolescents sont en sécurité. Ils donnent leur vie pour le Christ et pour la mission de l’Église. Il est injuste de jeter sur chacun d’eux le soupçon. Nous leur disons que notre épreuve du moment portera son fruit de grâce et de renouvellement. L’Esprit du Seigneur saura nous conduire sur le chemin de fidélité et d’humilité. Il sait où Il nous mène. « Rien ne pourra nous séparer de l’amour qui est en Jésus Christ notre Seigneur ». (Rom 8,39)

Durant ces jours, nous avons aussi écouté le témoignage des quatre évêques de notre conférence qui ont participé au Synode des évêques sur les jeunes, la foi et le discernement vocationnel Avec les pères du synode, nous voulons dire aux jeunes : « Vous êtes le présent, illuminez maintenant notre avenir ! » Ces jeunes sont étudiants, vivent une première expérience professionnelle ou se préparent à fonder une famille. Nous n’oublions pas ceux qui connaissent de grandes difficultés parce que sans travail, sans formation, en grande précarité sociale. Nous voulons les assurer de notre détermination à les accompagner alors qu’ils se préparent à entrer dans l’âge adulte.

Nous nous réjouissons de voir de nombreux jeunes s’engager pour un monde plus juste, plus fraternel, sensibles « au double cri des hommes et de la terre ». Leur engagement ravive notre espérance parce qu’il nous rappelle que notre vie, à la suite de Jésus, « jeune parmi les jeunes », est faite pour être donnée et contribuer au bonheur de tous. C’est un appel qui nous est adressé à leur partager la richesse de notre enseignement social afin de les aider à vivre le service à la suite et à la manière du Christ.

Le Synode a rappelé l’importance des aumôneries étudiantes, des équipes de jeunes professionnels, des mouvements, et de tous ces groupes qui leur permettent de cheminer dans la foi. C’est par la vie communautaire, guidés par l’Evangile, épaulés par des « frères et sœurs ainés dans la foi », que les jeunes peuvent se rendre disponibles aux appels du Seigneur. Nous assurons de notre confiance et de notre gratitude leurs responsables et leurs aumôniers. Leur accompagnement est pour nous prioritaire et le Synode nous y encourage. Nous voudrions ici saluer les « Années pour Dieu » qui, à l’initiative de communautés, congrégations ou diocèses, proposent à des jeunes de s’arrêter durant une année pour un temps de discernement vocationnel et de formation à la mission.

Enfin, le Synode relaie le désir des jeunes d’être partenaires de la mission d’une Église qui soit vraiment leur famille et dans laquelle ils se sentent attendus, espérés même, pour participer à sa vie et à sa mission. Sur le terrain, il y a bien des progrès à faire et c’est sans doute un des points sur lequel nous autres, les pasteurs, nous aurons à nous engager.

Il revient maintenant au Service National pour l’Évangélisation des Jeunes et pour les Vocations de faire connaître le document final du Synode et d’accompagner les diocèses dans la mise en œuvre de ses préconisations.

Pour notre part, nous nous sommes penchés à nouveau sur l’enseignement catholique dans notre pays. Nous nous réjouissons que le statut voté il y a cinq ans donne très largement satisfaction. Nous savons que des défis sont devant nous, particulièrement celui de l’implantation de nos établissements, en raison des évolutions démographiques, des réalités économiques et des contraintes liées aux moyens mis à notre disposition par l’Etat. Ces établissements sont une présence d’Église, précieuse en tous milieux et particulièrement dans l’espace rural.

La séquence sur l’Europe avec les interventions de M. Enrico Letta, ancien président du Conseil italien et du Fr Olivier Poquillon, secrétaire général de la Comece nous a permis de mieux saisir les véritables enjeux des élections européennes à venir. Si avec le Brexit, c’est la première fois qu’un pays européen quitte l’Union, c’est sans doute aussi la première fois où l’enjeu des élections au parlement peut permettre dans les différents pays une vraie thématique européenne. Quelle Europe voulons-nous pour demain ? Il ne suffit pas de critiquer les insuffisances, les lourdeurs bureaucratiques ou les échecs de l’Europe sans s’interroger plus profondément sur ce qui en est la cause : dans la crise migratoire et ses conséquences, est-ce les institutions européennes qui n’ont pas fonctionné ou l’égoïsme des états membres qui n’a pas permis de définir une politique commune et des responsabilités partagées ? En 20 ans le monde a profondément changé et n’est plus centré sur l’Europe. L’Église aussi a beaucoup changé et s’est internationalisée dans ses références culturelles et son mode de gouvernement. La question est bien de voir si ce que l’Europe a pu apporter au monde dans sa compréhension de l’homme, de sa dignité inaliénable, de ses droits fondamentaux, de sa capacité relationnelle et solidaire, pourra encore être affirmé demain et proposé comme un idéal sur d’autres continents. Comme Eglise, comme chrétiens, saurons-nous aider les citoyens de nos pays à discerner la nature des choix à effectuer, pour que l’Europe réponde mieux aux attentes des peuples européens et à sa mission propre dans le devenir du monde ?

L’Europe a connu tant de conflits meurtriers dans son histoire, et le centenaire de 1918 nous le rappelle, pour que nous sachions que la paix est toujours fragile et à consolider, alors que des conflits demeurent aux portes de l’Union. Le 11 Novembre, dans nos diocèses, nous participerons aux manifestations en mémoire de l’armistice de cette terrible guerre. Des messes seront célébrées pour les victimes et pour la paix. Après les grands conflits des voix s’élèvent pour dire : « Jamais plus cela ». Le Pape Paul VI vient d’être canonisé à Rome voici deux semaines. Lors de son voyage à L’Onu, en 1965, pour les vingt ans de son institution, il s’était ainsi exprimé : « Ici Notre Message atteint son sommet. Négativement d’abord : c’est la parole que vous attendez de Nous et que Nous ne pouvons prononcer sans être conscient de sa gravité et de sa solennité : jamais plus les uns contre les autres, jamais, plus jamais! N’est-ce pas surtout dans ce but qu’est née l’Organisation des Nations-Unies: contre la guerre et pour la paix ? Écoutez les paroles lucides d’un grand disparu, John Kennedy, qui proclamait, il y a quatre ans : « L’humanité devra mettre fin à la guerre, ou c’est la guerre qui mettra fin à l’humanité ». Il n’est pas besoin de longs discours pour proclamer la finalité suprême de votre Institution. Il suffit de rappeler que le sang de millions d’hommes, que des souffrances inouïes et innombrables, que d’inutiles massacres et d’épouvantables ruines sanctionnent le pacte qui vous unit, en un serment qui doit changer l’histoire future du monde : jamais plus la guerre, jamais plus la guerre! C’est la paix, la paix, qui doit guider le destin des peuples et de toute l’humanité! » Comment ne pas rendre hommage aux artisans de paix, à ceux qui le sont dans leurs hautes responsabilités et à ceux qui le sont dans leur vie quotidienne. La paix se construit dans les cœurs. C’est de là que partent les pensées violentes, les désirs de domination, le mépris des frères en humanité, les appétits monstrueux. Oui, encore et toujours : « Heureux les artisans de paix, ils seront appelés Fils de Dieu ». (Mth 5,9)

La densité du travail de cette semaine ne nous a pas empêché d’être attentifs à l’actualité du monde. Nous avons été sensibles au sort fait à Mme Asia Bibi, et nous nous réjouissons de sa libération. Nous avons communié au drame qui s’est passé dans la ville de Marseille avec ses 6 morts à ce jour, avec les personnes disparues et les familles contraintes à quitter leur logement devenu dangereux. Nous comprenons la grande émotion de la population. Nous exprimons notre admiration pour les sauveteurs et pour toute la solidarité et la générosité qui s’expriment dans cette situation. La communauté chrétienne y prend sa part. Dimanche, 11 Novembre nous aurons bien évidemment une prière particulière pour toutes les victimes.

Il me faut encore une fois remercier Mgr Nicolas Brouwet pour l’accueil offert ici par les services des sanctuaires, le personnel dans sa diversité. Cela contribue à la qualité de notre travail. Je l’assure de notre prière alors qu’il nous a quittés ce matin pour rejoindre sa famille réunie auprès de son père décédé hier. Je remercie également tous ceux et celles qui ont été à notre service, venus de la maison Breteuil ou bénévoles divers, toujours fidèles à nos côtés.

Que chacun soit remercié. Que le Seigneur nous soutienne dans notre mission. Je vous souhaite bon retour et que le Seigneur nous garde unis dans l’exercice de la mission qui est la nôtre.

Mgr Georges Pontier
Archevêque de Marseille
Président de la Conférence des évêques de France

Sur le même thème

  • Assemblée plénière de novembre 2018

    Du 3 au 8 novembre 2018, les évêques de France se retrouvent à Lourdes, comme chaque année , pour une session de travail et de réflexion commune. En vidéo Prions pour nos évêques #APLourdes #LutterContrePedophilie Réunis à Lourdes en Assemblée plénière, les évêques de France ont décidé la mise en place d'une commission indépendante et […]

  • Qu’est-ce qu’une Assemblée plénière ?

    La Conférence des évêques de France est constituée de l’ensemble des évêques et cardinaux de France. Elle se réunit deux fois par an, en mars et en novembre, en assemblée plénière à Lourdes. Suivre l’#APLourdes

#APLourdes

Sur Instagram