Mgr Doré : « Les évêques émérites restent serviteurs de l’Eglise »
Mgr Joseph Doré, archevêque émérite de Strasbourg, publie, avec le Père Bernard Xibaut, « Evêques émérites. Dans l’Eglise d’aujourd’hui, quel rôle pour les retraités de l’épiscopat ? » (Ed. La Nué Bleue) Avec le témoignage de 29 évêques émérites.
Quel est le contexte de votre réflexion ?
Autrefois, les évêques restaient en poste jusqu’à leur mort. Pour assumer la fin de leur charge, ils pouvaient avoir recours à différentes aides, notamment celle d’un coadjuteur. Lors du concile Vatican II, l’Eglise a décidé que l’évêque n’est pas un prêtre doté d’un complément de pouvoir d’ordre juridique, mais un ministre qui a reçu une mission particulière dans l’Eglise et une qualification spécifique pour l’accomplir. L’épiscopat a donc été reconnu officiellement par le Concile comme un degré du sacrement de l’ordre. Ce point de doctrine, qui n’était pas clairement admis par tous, a pour conséquence qu’un évêque ne perd pas sa qualification sacramentelle en quittant sa responsabilité « administrative ». Du coup, un nombre considérable d’évêques le sont toujours même s’ils n’ont plus de responsabilité dans un diocèse.
Le Concile avait posé là un principe clair. Mais c’est le pape Paul VI qui, par un décret de 1966, a décidé que cette loi s’appliquerait précisément à 75 ans. Tous les évêques qui atteignent cet âge remettent donc désormais systématiquement leur charge entre les mains du Saint Père. On a logiquement vu croître le nombre des évêques émérites.
En France, cela concerne environ 85 personnes, soit plus d’un tiers des évêques de notre pays. Au plan mondial, on compte entre 1600 et 1800 émérites. La question posée à partir de là n’a pu que prendre une importance assez grande dans l’Eglise. D’autant plus grande que, par exemple, les évêques émérites restent susceptibles de participer à un concile œcuménique, s’il s’en ouvrait un.
Pourquoi traiter la question de l’éméritat aujourd’hui ?
Elle était dans l’air du temps depuis un certain temps. Mais elle tend à prendre de l’importance.
Lors des Assemblées plénières des évêques à Lourdes, tel ou tel émérite prend assez régulièrement la parole, manifestant bien ainsi qu’il se veut toujours impliqué dans la responsabilité épiscopale.
Lorsqu’un évêque quitte son diocèse et que le Vatican ne peut pas lui nommer un successeur tout de suite, l’administrateur apostolique que le pape peut désigner en attendant est assez souvent un évêque émérite.
On s’est aussi aperçu que les évêques émérites peuvent rendre un certain nombre de services spécialement qualifiés : pèlerinages, maisons religieuses, missions temporaires – romaines ou autres. D’où l’intérêt qui a de plus en plus paru mériter de devoir leur être porté.
Quel est l’enjeu théologique de l’éméritat ?
C’est vraiment la foi de l’Eglise qui est en jeu. Le sacrement de l’ordre comporte trois degrés : le premier est l’épiscopat, le second, le presbytérat et le troisième, le diaconat. C’est tout cet ensemble qui constitue, dans l’Eglise catholique, le sacrement de l’ordre. Qui l’a reçu une fois en reste marqué pour toujours. Quitter sa fonction n’efface pas le caractère sacramentel de l’ordre qu’on a reçu.
Chose inédite, nous avons un pape émérite…
On peut en effet évoquer ici le cas du pape, évêque de Rome et pasteur de toute l’Eglise. Alors que Jean-Paul II est mort en charge, une grande nouveauté est intervenue avec Benoît XVI, qui a très clairement dit que, pour exercer la responsabilité de pape, il faut être en capacité, physique et psychologique, d’affronter certaines difficultés. Il a décidé – non pas de ne plus être pape – mais de ne plus exercer cette responsabilité-là, et souhaité qu’on lui élise un successeur.
Dans l’annuaire pontifical, il garde son titre et apparaît immédiatement sous le nom du pape François. Il y a ainsi désormais deux titulaires de la papauté, mais dont un seul est actif. Le secrétaire de Benoît XVI a eu cette formule : « Il n’y a toujours qu’un seul ministère pétrinien, mais double ; l’un est exercé plus activement par François, l’autre, plus contemplativement par Benoît XVI. » Celui-ci est resté au Vatican et a gardé sa soutane blanche ; on s’adresse toujours à lui avec le titre de « Saint-Père ». Il est bien « pape émérite », comme d’autres sont « évêques émérites ».
Que retenez-vous des témoignages recueillis ?
Pour un évêque, passer à la retraite ne va pas de soi, comme pour tout homme qui a assumé des responsabilités, a exercé une profession et, à travers cela, a été reconnu, en a tiré estime, soutien et relations. Que la cessation de leur activité entraîne une épreuve n’est donc pas épargné aux évêques. La question est alors : « Comment va-t-on poursuivre son existence de sorte que l’on on soit toujours capable de rendre service, intéressé à le faire, et qu’on y trouve un certain bonheur de vivre ? »
Les uns acceptent de se faire confier par la Conférence épiscopale des missions particulières, d’autres reçoivent la responsabilité d’être expert pour une communauté religieuse, d’autres encore se mettent à la disposition d’un lieu de pèlerinage, je l’ai dit. C’est, on le voit, d’une grande variété.
Quand ils parlent de leur situation, ces évêques manifestent une grande liberté de ton. Ils témoignent aussi beaucoup de respect pour leur successeur, avec le souci de ne pas interférer dans sa propre gestion. Cela n’empêche pas qu’ils restent informés de la vie l’Eglise locale qu’ils ont servie : le fait qu’ils gardent leur anneau épiscopal manifeste bien l’attachement qu’ils lui gardent.
Tel ou tel a pu connaître un moment de dépression, même si une aide importante peut venir par exemple des réunions entre évêques émérites qui se tiennent dans les différentes régions. À Paris, nous sommes une dizaine, qui nous réunissons deux ou trois fois par an, pour une rencontre fraternelle de réflexion, de prière et d’échanges. Nous parlons avec beaucoup d’attention mutuelle de notre tâche présente, mais aussi de la mission que nous avons accomplie dans le diocèse que nous avons quitté, et dont nous suivons les évolutions. À travers cela, nous continuons de porter le souci de l’Eglise universelle, et nous prions pour elle… Ainsi les évêques émérites restent-ils engagés dans l’Eglise, serviteurs de l’Eglise.
Quels points d’attention souhaitez-vous souligner ?
Ils ne sont pas tous du même ordre !
On a par exemple soulevé un problème logistique. Quelqu’un qui a été en charge d’un diocèse a bénéficié d’un certain soutien matériel, de secrétariat en particulier. Quand il devient évêque émérite, il lui revient évidemment de s’organiser autrement : les évêques sont logés à la même enseigne que tout le monde à ce point de vue comme à beaucoup d’autres.
On peut signaler aussi la question de l’« image » ou de l’« identité ». C’était simple de dire : « Je suis évêque de … ». Mais après la « retraite », la question vient à un moment ou à l’autre : « Je suis quoi maintenant ? ». Quand je participe à une célébration eucharistique, la question est facilement : « À quelle place convient-il que je me mette pour ne pas déranger ? » Ce n’est pas une affaire de prestige, de dignité ou de considération. C’est une interrogation concrète, et qui demeure si personne d’autre que l’intéressé ne se préoccupe de lui donner une réponse.
Notre ouvrage publie 29 témoignages d’évêques en situation d’éméritat. Il faut vraiment les lire, car ils sont riches, clairs et instructifs. Les hommes qui les signent gardent un vrai amour de l’Eglise et continuent à contribuer à sa vie. Ils en sont heureux et trouvent là la chance d’une nouvelle étape de leur existence.
Car il faut aussi préciser ce point. On a tendance à dire, sans plus, qu’on entre en retraite et que c’est la dernière étape de sa vie. Ce n’est pas tout à fait vrai. C’est une autre phase de vie qui commence, mais qui en comportera en réalité plusieurs. Dans un premier temps (qui peut aller jusqu’à 85 ans), on peut encore poursuivre des activités importantes et mener une existence assez variée et riche. Mais vient vite un autre stade, où il faut bien accepter qu’il n’en aille plus de même ; ce sera celui du grand âge, pendant lequel il conviendra de se disposer au grand passage.
Je terminerai en précisant que dans l’ouvrage préparé avec le Père Xibaut, nous avons tenu à reproduire tous les textes officiels publiés par le Saint Siège sur les évêques émérites. Mais c’est un fait qu’ils sont assez peu nombreux et que la réflexion qu’ils ont jusqu’à maintenant suscitée n’est pas considérable – d’où, j’ose le dire, l’intérêt de notre publication, que le président en exercice de la Conférence des évêques de France a bien voulu accepter de préfacer. Ladite Conférence avait du reste décidé de s’en préoccuper elle-même, après avoir en un premier temps réfléchi à la situation des prêtres âgés. La prochaine Assemblée plénière du mois de mars à Lourdes consacrera en effet un temps à la question de ses membres émérites.
Lettre aux Olim : explications de Mgr Hubert Barbier, archevêque émérite de Bourges
C’est une feuille de liaison, réalisée deux fois par an, à partir des contributions des évêques émérites (Olim episcopi = autrefois évêques en charge d’un diocèse, mais toujours évêques), afin de permettre qu’aucun ne reste isolé et chacun puisse aussi continuer de contribuer au partage dans la collégialité épiscopale. Donc, pour un entre-eux des évêques émérites, mais aussi, dés l’origine de ce bulletin, au bénéfice de tout l’épiscopat : la Lettre est reçue par tous les évêques de la Conférence épiscopale. Les émérites ne cessent pas en effet de faire partie de la collégialité épiscopale : l’annuaire pontifical les mentionne sous le nom de leur dernier siège, après l’évêque actuellement en charge.
A propos du mot « Olim » = « autrefois », traduit dans d’autres langues par des mots équivalents. Ce mot est équivoque, le mot « émérite » aussi, de même le mot « ancien », dans la mesure où ces mots ont l’air de ne faire référence qu’au passé. Encore que si on parle d’ « évêque ancien », et non d’ancien évêque, cela dit un présent. Peu importe le mot, à condition que l’on ne se sorte pas de la collégialité épiscopale celui qui en fait toujours partie, et vit son appartenance au service épiscopal d’une autre manière, sous des aspects du reste (prière, enseignement spirituel, conseil …) ou des conditions humaines parfois moins présents durant l’exercice de la charge épiscopale. J’ai bien aimé la comparaison avec le pape Benoît XVI, présent désormais dans un ministère pétrinien élargi.
L’origine de la Lettre. Une initiative du Cardinal Feltin, amené, dans la douleur semble-t-il, à donner sa démission à partir d’un certain âge, à la suite des recommandations votées au Concile, compte tenu de la prolongation nouvelle de la vie, initiative reprise ensuite, quelque temps, par Mgr Carrière, puis, longuement, par Mgr Vilnet.
Personnellement ayant repris la charge pour Noël 2010, j’en suis premier bénéficiaire. Les évêques en leurs messages partagent leur vécu, leurs activités, leurs découvertes nouvelles, leurs réflexions de toutes sortes à partir de cela et à partir de l’actualité, leurs souffrances physiques ou morales, leur participation à la condition humaine des 3ème et 4ème âges. J’essaie de réagir à chaque courrier reçu et j’insiste pour que la voix de ceux qui ne parlent plus soit transmise par d’autres. Le tout est d’une variété et une richesse inouïes.