Ensevelir les morts avec le collectif « Les Morts de la rue »
Membres du collectif aconfessionnel « Les Morts de la Rue », Micheline et Hélène, chrétiennes, se sont parfois retrouvées en binôme pour accompagner dignement des morts sans famille connue ni proches, au cimetière parisien de Thiais, en convention avec la Ville de Paris. Une oeuvre de miséricorde qu’elles accomplissent au nom de leur foi. Par Chantal Joly.
Militante Quart Monde, Micheline a assuré jusqu’en 2013 plusieurs accompagnements de personnes décédées isolées. Elle était là au départ lorsqu’« au pied du mur », il a fallu enterrer un bébé sans famille en France, mort à l’hôpital. Une expérience « trop dure, qui choque davantage que s’il s’agit d’un adulte». Mais qui ne l’a pas empêchée de continuer ce service d’humanité. « Il fallait bien le faire sinon, il n’y aurait eu personne» explique-t-elle, sobrement. « On sait qu’on ne compte pour rien mais on est quand même quelque chose. On n’est pas des chiens. Ces personnes ont eu une vie. On ne pouvait pas les enterrer indignement ».
Depuis son appartement où plusieurs statues en plastique de la Vierge ramenées, entre autres, du rassemblement Diaconia à Lourdes, veillent sur elle, Micheline raconte comment elle s’est rendue à de multiples reprises dans les morgues des hôpitaux de Paris « chercher les personnes décédées pour être emmenées par le convoi mortuaire comme si nous étions de la famille» et, à l’arrivée à Thiais, passer un moment au funérarium puis au pied de la tombe. C’est là que, lors d’une brève cérémonie, sont lus un certain nombre de textes laïcs – « car on ne sait pas de quelle confession étaient les défunts » – et que des fleurs achetées chez le fleuriste du cimetière sont déposées. Micheline a par ailleurs collaboré à de nombreuses manifestations symboliques dans des lieux publics pour rendre hommage aux Morts de la Rue. Cette croyante à la foi pudique fait également partie de la Fraternité « Pierre d’Angle » qui rassemble des personnes du Quart Monde et d’autres autour de la personne de Jésus et à partir de la spiritualité du Père Joseph Wrésinski.
Ancienne enseignante d’histoire-géographie, Hélène se rend disponible 4 à 5 fois par an pour assurer les accompagnements de ces funérailles. Quitte à passer « pour une hurluberlue ». « Ce n’est pas une question d’intérêt, explique-t-elle, mais de respect. Que les liens sociaux se soient tellement distendus que des gens partent seuls me révolte ». C’est après avoir lu le quotidien « La Croix » que cette licenciée en théologie, membre de la communauté de Vie Chrétienne, s’est proposée. Peut-être aussi, ajoute-elle, parce qu’ayant perdu ses parents très jeune, elle n’a pu être présente à l’enterrement de son papa.
Retraitée multi-engagements – Les Petits Frères des Pauvres, Centre d’initiatives et de services des étudiants de Saint-Denis (CISED) – de préférence dans des associations sous-tendues par des valeurs chrétiennes, mais hors du sérail, Hélène ne parle jamais de sa foi au sein du collectif « Les Morts de la Rue ». Pas de prières ni de lectures de textes à connotation religieuse au cimetière, Hélène réserve la prière du « Notre Père » sur le chemin ou le soir, après la rédaction du compte-rendu de la cérémonie. Parfois, elle entre dans une église ou participe à une messe, demandant régulièrement des comptes à Dieu, avec qui elle converse comme Job.
Hélène se souvient avec émotion d’une comptine chantée avec le personnel du cimetière pour un enfant. Elle dit « avoir changé de regard » sur ces professionnels qu’elle « salue toujours » et qui s’associent de plus en plus à ces hommages brefs mais solennisés. « Je n’ai jamais regretté, conclut-elle, c’est d’une immense profondeur humaine !»