Les Etats-Unis, pays de mission ?
Le Pape François est en visite officielle aux Etats-Unis du mercredi 23 au dimanche 27 septembre 2015. Parmi les enjeux de ce premier voyage : la montée des Hispaniques sur les bancs de l’Eglise catholique, le mariage homosexuel et les congrégations religieuses féminines. Analyse de Kevin Ahern, Ph.D., Professeur adjoint d’Etudes Religieuses au Manhattan College (New York).
Au centre de Manhattan, non loin de Time Square, du siège des Nations-Unies et de Wall Street, une peinture murale de 68 mètres de haut du Pape François a récemment été réalisée sur la face aveugle d’un immeuble. Pour le New Yorkais qui s’arrête et regarde en levant les yeux, cela lui rappelle que le Pape viendra bientôt ici. Pour la plupart d’entre nous catholiques, c’est une bonne nouvelle et un espoir. Nous avons été émus et stimulés par le témoignage humble et prophétique du pape en faveur de l’Evangile et nous espérons que cela va aussi inspirer et revitaliser notre Eglise qui change.
Déjà, le Pape François a eu un impact significatif sur l’Eglise des Etats-Unis, ou en tout cas, sur son image publique. Après plus d’une décennie de nouvelles toujours négatives faisant suite à l’incapacité de cette Eglise de traiter correctement la crise des abus sexuels (des religieux), le récit médiatique concernant l’Eglise s’est déplacé, grâce à François, de la pédophilie vers l’image d’une Eglise vivante préoccupée par les plus pauvres. De nombreux catholiques espèrent que cette visite apportera une nouvelle énergie apte à revitaliser une Eglise qui se bat pour surmonter les défis du XXIe siècle.
L’Eglise catholique, avec ses 81 millions de fidèles, est une force puissante aux Etats-Unis. Par exemple, selon le Centre de recherche appliquées pour l’apostolat, 87 millions de personnes l’an passé ont eu recours aux services d’hôpitaux catholiques aux USA ; 8 millions à ses services sociaux et 3 millions à ses écoles. Malgré ces chiffres impressionnants, cette Eglise est une communauté de plus en plus divisée, qui connaît des changements rapides et qui perd des membres à une vitesse alarmante.
Les Hispaniques, nouveau visage de l’Eglise catholique
Un des changements majeurs auquel fait face cette Eglise catholique peut être repéré dans le nombre croissant de catholiques hispanic [1]. Alors que les origines du catholicisme aux Etats Unis se trouvent chez ces Hispanics, ce sont les descendants de catholiques irlandais et italiens qui ont dominé et assuré le leadership dans l’Eglise ces deux derniers siècles. Mais aujourd’hui, les Hispanics forment déjà la grande majorité des catholiques au Texas, en Californie et au New Mexico. A New York, Washington et Philadelphie, villes que le pape visitera, les Hispanics voient leur nombre augmenter dans ces villes traditionnellement blanches pour l’Eglise…
Au plan national, le pourcentage de catholiques hispanic est croissant. Selon le Pew Research Forum, 35% des catholiques aujourd’hui sont hispanic, une augmentation de 5 points depuis 2007. Et si l’on regarde les jeunes générations nées après 1980, 46% sont hispanic comparées aux 43% qui sont Blancs. Si ces tendances continuent, la majorité des Catholiques sera hispanic dans quelques décennies.
Cependant, de nombreux hispanics se sentent éloignés de l’Eglise. La grande majorité des prêtres, évêques et leaders des organisations catholiques sont des Blancs et de nombreuses paroisses se battent pour intégrer les nouveaux groupes ethniques dans la communauté. Il en résulte que de nombreux Hispanics quittent aussi l’Eglise catholique, spécialement au profit d’autres Eglises chrétiennes qui ont mieux réussi l’extension vers les groupes hispaniques.
Le nombre croissant d’immigrants hispanic vers les Etats-Unis cache la réalité de la décroissance aigüe de la participation et de l’adhésion à l’Eglise. Aujourd’hui, 10% des Américains, en gros 25 millions de personnes, s’identifient eux-mêmes comme « anciens catholiques ». Si on considérait ces anciens catholiques comme une dénomination chrétienne en soi, ils constitueraient la seconde Eglise la plus nombreuse des Etats Unis.
Une Eglise divisée sur les questions de société
De même que la société en général, les catholiques sont divisés selon des lignes de fracture économique, politique et raciale. Considérons le cas récent du mariage homosexuel. Alors que les évêques des Etats-Unis font depuis dix ans de la lutte contre le mariage homosexuel l’une de leurs principales priorités, la majorité des catholiques (60%) soutient le mariage de personnes de même sexe. Pour de nombreux catholiques qui soutiennent la cause du mariage homosexuel, la tonalité de la voix du Pape François sur ce sujet semble différente. Cela a apporté un stimulant à de nombreux jeunes catholiques. La manière dont le Pape parlera de cette question du mariage homosexuel lors du Rassemblement Mondial des Familles (Philadelphie, 22-27 septembre) aura un impact fort sur la fracture de l’Eglise aux Etats-Unis sur ce sujet.
Il y a également une fracture politique forte dans l’Eglise des Etats-Unis. Les conservateurs et les progressistes vivent souvent dans des Eglises parallèles. Pour de nombreuses personnes, l’Eglise des Etats-Unis donne l’impression d’être alignée sur les positions du Parti républicain, en particulier à cause de sa forte prise de position contre l’avortement. Pour certains catholiques qui ne sont pas d’accord avec les positions du Parti républicain sur le changement climatique, la pauvreté et la guerre, cette fracture est très pénible. Les enseignements du pape François ont déplacé nombre de ces discussions et catégorisations. Il est tout à fait possible que la visite du pape François va contribuer à façonner la campagne à venir pour les élections présidentielles.
Par exemple, les critiques récentes du capitalisme lues dans Evangelii Gaudium, et l’appel pour une action visant le changement climatique dans Laudato Si’, ont conduit à une forte opposition de certaines voix conservatrices qui normalement semblaient alignées sur les évêques catholiques. Certains ont accusé le Pape d’être marxiste ou socialiste. Un commentateur, ancien servant d’autel, a récemment décrit le pape sur Fox News comme « la personne la plus dangereuse sur la planète ». Dans le New York Times, récemment, un autre commentateur a accusé François de provoquer une « guerre civile » dans l’Eglise en changeant les normes en ce qui concerne le divorce. Et au moins un gros donateur a menacé de retirer son soutien financier pour la restauration de la cathédrale St Patrick à New York comme résultat de la critique du capitalisme par le pape.
Le pape se rend dans une Eglise où de nombreuses femmes se sentent marginalisées et isolées de la communauté. Les inspections et investigations de hautes personnalités d’Eglise au sein des congrégations religieuses féminines n’ont pas aidé à surmonter ce sentiment. Cela a constitué un désastre en termes de relations publiques, vu que la majorité des catholiques ont une image positive des religieuses. Durant ces dernières années, le pape a indiqué qu’il souhaitait dépasser ces suspicions et investigations. Et dans une vidéo récente, en live avec des catholiques de différentes villes, il a interpellé de façon impromptue une religieuse dans le public et lui a dit : « Je voudrais vous remercier. Et par vous, remercier toutes les religieuses des USA pour le travail que vous avez fait et que vous faites. C’est bien. Je vous félicite. Soyez courageuses. Avancez ». Ceci a été fortement apprécié par la plupart des 48 000 religieuses dans le pays. De nombreux analystes s’attendent à ce que le pape pose d’autres gestes de réconciliation durant sa visite.
Le Pape sera-t-il capable de guérir les divisions qui fracturent les catholiques américains ? Je suis moins optimiste que certains de mes amis. Il y a beaucoup à faire, et c’est une tâche trop lourde pour une seule personne. Peut-être la chose la plus importante que François peut faire est de continuer à rappeler le défi consistant pour cette Eglise à adopter une attitude missionnaire, pour inciter les catholiques américains à sortir et d’être avec ceux des périphéries de la société comme avec ceux qui vivent dans les périphéries de l’Eglise.
Kevin Ahern, Ph.D.
Professeur adjoint d’Etudes Religieuses au Manhattan College (New York)
Traduction par le P. Antoine Sondag, Directeur du Service National de la Mission Universelle de l’Eglise (SNMUE)
[1] Les Hispanics sont des Américains originaires d’Amérique latine. Hispanic : toute personne aux USA qui s’auto-identifie comme Hispanic ou Latino, totalement ou partiellement. Les recensements américains ont des questions qui portent sur la « race » et chacun peut s’identifier comme Blanc, Noir, Hispanic, Asiatique, Indien, etc. Les Hispanics constituent non pas une « race », mais un groupe qui partage une langue et un héritage culturel… groupe en croissance rapide alimenté par la migration. (Note du traducteur)
Le programme du Pape en bref
A Washington, mercredi 23 septembre, il rencontrera le Président Barack Obama et prononcera un discours au Congrès, jeudi 24.
A New York, vendredi 25 au matin, il s’exprimera à l’ONU et participera à une rencontre interreligieuse au mémorial de Ground Zero. Il rencontrera des immigrés et terminera la journée par une messe au Madison Square Garden.
Philadelphie, samedi 26, il rejoindra la Rencontre Mondiale des Familles dont il célèbrera la messe de clôture dimanche 27.
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A blessed journey, Pope Francis. Thank you for blessing our city, our hearts, our families #wmf2015 #popeinphilly pic.twitter.com/8ETU0w3dLD
— World Meeting 2015 (@WMF2015) September 27, 2015
Avant la venue du #PapeFrancois à #ONU sept 2015 @FatherRosica en entrevue avec Nonce +Auza sur diplomatie #Vatican pic.twitter.com/tqqKQdje4V
— Sel + Lumière Média (@seletlumieretv) March 31, 2015
21.09.2015 - Pope Francis in Cuba- Greetings to youth of the Padre Félix Varela Cultural Center: 21.09.2015 - ... http://t.co/VEbYVLMt1t
— RadioVaticanaEspañol (@RadioVaticanaEs) September 21, 2015