Compostelle, un chemin vers Dieu
Le chemin de Saint-Jacques de Compostelle attire toujours plus de monde : une foule bigarrée de randonneurs et de pèlerins. Afin que le Chemin retrouve sa vocation première d’annonce de l’Évangile, les évêques en France et en Espagne œuvrent ensemble. Rencontre avec Mgr Marc Aillet, évêque de Bayonne, Lescar et Oloron, référent de ce groupe de travail. Par Florence de Maistre.
À partir de quels constats le groupe de travail réfléchit-il ?
C’est à l’initiative de l’archevêque de Santiago de Compostela, en 2009, que les évêques dont les diocèses sont traversés par le chemin ont été invités à se rassembler pour réfléchir à une pastorale d’évangélisation. Notre premier constat : le Chemin est parcouru de façon croissante. En 2009, environ 25 000 pèlerins sont passés par Saint-Jean-Pied-de-Port, dernière étape française avant l’Espagne. En 2013, ce nombre a doublé ! Autre constat : le chemin de Saint-Jacques de Compostelle est convoité par de nombreuses associations qui s’écartent de la spiritualité chrétienne du chemin. On assiste à une « OPA » des tours opérateurs qui veulent en faire un lieu commercial, un lieu d’expression ésotérique parfois. On estime à 30 % la proportion de personnes qui cheminent avec des convictions religieuses. Les autres sont en quête de sens. D’autres encore ont des motivations éloignées : goût du sport, de l’écologie, etc. Cependant, il arrive que des randonneurs deviennent, à la suite d’une rencontre, pèlerins. Les témoignages sont nombreux.
Dans quelle direction travaillez-vous ?
Nous voulons redonner au Chemin de Saint-Jacques son origine propre : qu’il soit un chemin de foi et de communication de la foi. Je travaille avec un prêtre de Carcassonne et un diacre permanent du diocèse de Tarbes et Lourdes. L’équipe espagnole est sur le même modèle. Nous nous rencontrons, ensemble, tous les deux ans. Entre temps, la réflexion se poursuit, avec par exemple la trentaine d’évêques concernés lors des Assemblées plénières de novembre. Le Chemin est-il vraiment un chemin d’évangélisation ? Quelle présence l’Église peut-elle proposer pour aider les pèlerins à rencontrer le Christ ? Telles sont nos préoccupations. Nous avons commencé à recenser les différents accueils chrétiens. Nous essayons de voir comment ils peuvent aussi être propositions de première annonce. Nous réfléchissons à un guide pratique du pèlerin, avant de développer un site Internet. Cette démarche nous permet aussi de rencontrer les différents acteurs du chemin, de partager nos expériences. Il s’agit surtout de stimuler une pastorale, en invitant les accueillants chrétiens à resituer leur initiative dans une mission plus large : celle de l’évangélisation.
Quelle est l’importance du chemin de Saint-Jacques dans le diocèse de Bayonne ?
Nous développons une pastorale organisée autour de plusieurs pôles. À Bayonne, un accueil est proposé à la cathédrale. Un hébergement sera bientôt être mis en place. À Saint-Jean-Pied-de-Port, la « Kaserna » offre le lit et le repas du soir sur le principe du « donativo », c’est à dire que chacun donne ce qu’il veut. Un prêtre est souvent présent à table et chacun peut partager son histoire. Là, des bénévoles se relaient tous les quinze jours dans le cadre de « l’hospitalité Saint-Jacques ». À Navarrenx, dans le Béarn, la paroisse a pris le relais du père Sébastien Ihidoy qui recevait directement dans son presbytère. Elle propose un verre de l’amitié et une bénédiction des pèlerins. À Arudy, un prêtre accueille chez lui, cuisine et prie avec ces paroissiens d’un jour. Dans la vallée d’Aspe, à Notre-Dame de Saran, un frère prémontré propose gîte, couvert et temps spirituel. Ici ou là, c’est à chaque fois tout un groupe de chrétiens qui se mobilisent au service de l’accueil et de la rencontre de l’autre.
Quel est votre lien personnel avec le Chemin ?
J’ai déjà parcouru plusieurs tronçons. Ma pratique est surtout liée aux rencontres avec les pèlerins qui viennent faire tamponner leur carnet. Au Moyen Âge, la démarche comportait une part pénitentielle. Aujourd’hui, elle propose surtout de mettre ses pas dans ceux du Christ : elle nous rappelle que toute vie est pèlerinage. Alors que la vie moderne connaît de multiples accélérations, on marche sur le chemin de Saint-Jacques de Compostelle, au rythme de la nature et au pas de l’homme. On prend le temps de revisiter son histoire. Entre contemplation des paysages et rencontres, le chemin est un fil qui peut retisser le fil conducteur de sa vie. C’est un chemin sacramental dans le sens où Dieu fait signe : il y a les pierres sur lesquelles nous marchons et les pierres vivantes que nous rencontrons. Et en allant vénérer les reliques d’un saint, on marche vers la Jérusalem céleste. On marche vers Dieu ! En abandonnant leurs voitures et leurs téléphones, les pèlerins retrouvent le rythme qui fonde la vie et l’âme humaine.