About Kim Sohee, film de July Jung
Fiche de l’Observatoire Foi et Culture du 19 avril 2023, n°17 à propos de About Kim Sohee, film de July Jung
Pascal Wintzer, OFC
Il y a des films, des livres avec lesquels vous vous sentez spontanément en empathie, des œuvres qui expriment des convictions dans lesquelles vous vous reconnaissez volontiers. Je me méfie de cela : il est toujours plus profitable d’être bousculé dans ses idées plutôt que de se sentir conforté. La finalité n’est pas de changer continuellement de pensée, mais des convictions s’affermissent d’autant qu’elles acceptent d’être mises en cause.
Je ne saurais cependant m’interdire de recommander des œuvres qui consonnent avec quelques-unes de mes convictions, et About Kim Sohee est de ceux-là.
Construit en deux parties, ce film coréen suit d’abord l’itinéraire d’une lycéenne, Sohee, qui effectue un stage dans un centre d’appel. Elle est pleine de vie Sohee, pratiquante douée de la K-pop, ne s’en laissant pas compter par un garçon qui la prend de haut alors qu’elle est dans un restaurant (les grills typiques de la cuisine coréenne) avec une de ses amies. Mais, sitôt plongée dans son stage professionnel, tout change, jusqu’à être conduite au suicide.
Elle fait l’expérience d’une société où tout est fondé sur le chiffre, l’évaluation, la performance. Ceci caractérise bien entendu le centre d’appel, sous-traitant pour une compagnie de télécom coréenne. Plutôt que d’aider les clients, toutes les techniques consistent à les empêcher de résilier leur abonnement, jusqu’à leur vendre des options supplémentaires. Nous sommes en Corée… cependant, chacun sait que, changer de fournisseur d’accès internet, de banque, d’assurance… est si complexe que peu s’y risquent. En Corée comme ailleurs, tout concourt à « accrocher » un nouveau client ; une fois ferré, il décrochera rarement.
Le call center fait surtout travailler des stagiaires, peu payées, cumulant des heures supplémentaires non rémunérées, et ainsi de suite. Les événements sont d’abord marqués par le suicide du manager de la salle où travaille Sohee, il ne supporte plus d’être complice d’une exploitation tant des clients que des stagiaires. Sa femme recevra une belle somme pour ne pas encourager l’enquête qui suit ce suicide. Sohee choisira à son tour le suicide.
La seconde partie du film suit l’enquête d’une inspectrice qui refuse de classer trop vite ce suicide, à quoi pourtant l’invite sa hiérarchie. Elle part à la rencontre de ceux qui connaissaient Sohee, famille, amis, groupe de K-pop, et aussi son lycée et l’entreprise de télécom. Elle fait preuve d’une belle énergie, honorant en quelque sorte celle qui s’était peu à peu éteinte chez Sohee. Les dialogues avec les représentants de l’entreprise et des institutions sont typiques de l’incapacité à faire face à ses responsabilités : si elle s’est suicidée, c’est qu’elle était une « erreur de casting », pas adaptée à un travail qui est pourtant présenté plein d’attraits.
Le lycée lui a fourni ce stage, mais sans vraiment en connaître la nature ni effectuer de visite de contrôle pour vérifier le bon déroulement de ce stage : les lycées reçoivent des aides publiques à la mesure où ils parviennent à fournir des stages à tous les élèves… a-t-on alors les moyens d’être un tant soit peu regardant ? En ainsi de suite dans des attitudes plus infantiles que responsables… « ce n’est pas moi, ce sont les autres, le système, la société, surtout Sohee elle-même, était-elle vraiment équilibrée ? »
C’est vrai, tant Sohee que l’enquêtrice refusent d’être les bonnes filles d’un système qui ne s’évalue que par ses résultats, chiffres, bénéfices, etc. Elles sont des femmes pour lesquelles la dignité, l’éthique ont encore du prix.
Sans connaître le système scolaire coréen, ceci souligne d’autant la mission première de l’éducation. Son rôle est de former des citoyens, des femmes et des hommes libres, capables de penser par eux-mêmes, de dire oui et de dire non. Je ne pourrais jamais moins dire la nécessité des cours de littérature et de philosophie dans notre modèle français d’enseignement. Certes, nous pourrons un jour concourir à la vie du pays, par les métiers que l’on pourra exercer, cependant, l’école n’a pas d’abord pour mission de former des techniciens, mais des êtres humains libres et dignes.
About Kim Sohee est un des beaux et utiles films de la période. Il va de soi que ses acteurs, et avant tout actrices sont remarquables. Film de femmes sans doute, par ses deux actrices, Kim Si-eun, qui joue Sohee et Doona Bae, l’inspectrice de police, aussi par sa réalisatrice, July Jung, mais film qui nourrit une saine révolte contre les systèmes qui blessent l’humanité. Enfin dois[1]je préciser que le film vient de la Corée du Sud, pays où existe la liberté de critiquer des entreprises et des institutions ; pour la Corée du Nord, je ne connais aucune production cinématographique hormis la mise en scène des parades militaires.
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