A la lumière de la Parole
Présentation du chapitre premier d’Amoris laetitia, provenant de l’édition annotée de « La joie de l’amour » aux éditions Lessius Fidélité (2016), avec l’aimable autorisation de l’éditeur.
Ce premier chapitre consiste à ouvrir les Écritures en invitant chacun à s’en laisser instruire. Non que, face aux questions anthropologiques et sociétales que nous affrontons, la Bible nous livre des réponses clés en main. Non que s’y formule simplement une norme pour jauger et juger, ou dénoncer des évolutions déconcertantes. L’enjeu de cette référence scripturaire est plutôt de se souvenir de cette vérité heureuse qui permet de fonder sur le roc de la confiance : toutes nos vies conjugales et familiales sont précédées par Dieu, appelées à participer de sa fécondité, accompagnées par sa bienveillance et sa fidélité que nos échecs ne peuvent décourager. Dès le départ de l’histoire humaine, est-il rappelé, Dieu veut partager ses biens à un homme et une femme qu’il crée ensemble « à son image » (10) et auxquels il confie l’intendance de la vie dont s’engendrent nos générations. Telle est la lumière bienfaisante ainsi projetée sur toute la réflexion qui va suivre. Placée en tête de pont, la Parole de Dieu se propose ainsi comme « compagne de voyage » en toutes circonstances (22), mais aussi comme « lumière » dont la maison familiale est appelée à être le chandelier (8).
Le choix des références scripturaires doit retenir l’attention. Le psaume 128 sert d’ouverture en faisant entendre d’emblée la note jubilante de la bénédiction que Dieu prononce sur le foyer qui réunit mari et femme, parents et enfants. Le bonheur est le leitmotiv de ces versets qui servent d’appui à toute la première partie du chapitre. Il s’agit bien d’expérimenter « la joie de l’amour » — Amoris laetitia —, qui trouve sa source dans la « joie de l’Évangile » — Evangelii gaudium— célébrée par l’exhortation de 2013. La suite du chapitre reprend des citations habituelles sur le couple et la famille (Mt 19, Gn 1–2, Ep 5), tout en sollicitant d’autres passages plus inattendus, dans la littérature de sagesse (Proverbes, Siracide, Job, Tobie, Cantique des Cantiques, etc.). Anticipant sur la suite de l’exhortation qui, sur un mode résolument sapientiel, prendra précisément en charge le réel de la vie des familles, ces références enseignent à envisager cette vie comme apprentissage de la relation à l’autre, souci de la transmission générationnelle, chemin de croissance à travers joies et épreuves.
Plus généralement encore, le texte fait référence au long cours du récit biblique où se succèdent tant d’histoires familiales dans la bigarrure de leurs configurations et de leurs péripéties. Ainsi, dans la Bible, « famille » s’écrit au pluriel, celui de la vie concrète, qui est toujours singulière. Car si la famille est une selon le dessein de Dieu qui l’ordonne à la vie partagée et au bonheur, elle n’existe qu’inscrite dans le tissu des jours et l’histoire de la chair où elle prend corps. Les nombreux renvois évangéliques, non seulement à la famille de Jésus, mais à son ministère public, introduisent dans l’exhortation à la réalité complexe de vies aux prises avec les aléas de l’existence ou bousculées par les difficultés de la relation entre hommes et femmes. La forte note réaliste de ces références empêche la réflexion de se perdre dans une abstraction ou une vision idéale qui resteraient étrangères à nos vies effectivement vécues. En fait, la problématique de l’exhortation est simplement fidèle à la logique de l’Incarnation, telle qu’elle se déploie dès l’Ancien Testament : c’est dans le concret d’existences marquées par la « dimension obscure » de la vie (19) que Dieu s’approche et fait connaître la puissance de son amour, plus forte que toutes les formes de mort qui menacent nos relations. Autrement dit, c’est bien le mystère pascal, comme accomplissement du mystère nuptial de l’amour de Dieu pour son peuple et secret de la joie de l’amour, que ce texte veut enseigner. L’alliance constitue ainsi le filigrane de ces pages avec la mention de la tendresse paternelle de Dieu pour Israël (Os 11 ; n° 28), le témoignage suprême de Jésus donnant sa vie pour ses amis (Jn 15, 13 ; n° 27) ou encore la vision finale des « noces de l’Agneau » (Ap 3, 20, n° 15). Derrière l’alliance de l’homme et de la femme, il y a donc bien la réalité première de l’Alliance de Dieu avec nous qui a besoin elle-même, pour se dire, des mots de notre expérience humaine de la conjugalité. Beau mystère de réciprocité !
Anne-Marie Pelletier et Bertrand Pinçon