Signes de communion et gestes barrières : l’apport de la Langue des Signes à la liturgie

Langue Signes CommunionLes gestes barrières font maintenant partie de notre vie quotidienne, crise sanitaire oblige. Ils forment en quelque sorte des nouveaux rites sociaux auxquels il convient de ne pas déroger, au risque de contaminer autant que d’être contaminé. Les gestes barrières signifient paradoxalement le souci du prochain.

Nos liturgies (encore peu ouvertes aux fidèles en ce mois de mai 2020), même à quelques uns, les ont aussi intégrés. Il est un point cependant où ces gestes barrières trouvent une résistance intérieure tenace : le geste de partage de paix. « Frères et sœurs, dans la charité du Christ, donnez-vous la paix ». Oui, mais comment faire, précisément ? Là où la communion et l’unité doivent se manifester, sans déroger aux gestes barrières, la liturgie se trouve démunie. Comment manifester la charité avec les gestes barrières ? Evidemment pour des couples, les gestes barrières n’ont pas force de droit, mais pour le prochain « autre », un inconnu, comment faire ? Comment entrer en communion quand on me dit qu’il faut à tout prix mettre des barrières ?

Je n’ai pas fréquenté, et on comprendra facilement pourquoi, beaucoup de communautés célébrantes ces deux derniers mois, si ce n’est sur le net. A ce moment, le président de la célébration demande d’échanger un sourire, un regard avec son prochain. Généralement, ces regards et sourires sont accompagnés d’un signe de tête ou inclination du corps.

Avouons-le, tout cela n’est pas très satisfaisant, eu égard à notre pratique passée (d’avant la crise sanitaire). Chacun reste sur son quant à soi au moment où il s’agit précisément d’aller vers, de se donner et d’échanger quelque chose, qui est la « paix du Christ ».

Aumônier de la Pastorale des Sourds de Rennes, Dol et Saint-Malo, j’ai très vite pensé que le geste échangé, depuis quelques années, au sein des communautés Sourdes, à ce moment précis de la liturgie de la « paix du Christ », avait parfaitement sa place, une totale pertinence[1].

Ce signe est composé de deux gestes :

Langue Signes1) « La paix » : les deux mains imitent une poignée de main entre deux amis ; la main droite se pose sur la paume de la main gauche tournée vers le haut puis, après un léger déplacement, c’est la main gauche qui se pose sur la paume de la main droite, celle-ci tournée vers le haut. Ce geste provient de l’ancienne Langue des Signes Française, qui s’est maintenu uniquement dans la liturgie et dans l’actuel signe « association ».

En Langue des Signes Française (LSF) contemporaine, la paix se signe par la succession des lettres manuelles « p » et « x »[2].

2) Puis le signe « Christ » est représenté : l’index de la main gauche dressé, ce qui représente telle ou telle personne, reçoit au-dessus de lui la main droite qui s’ouvre les doigts écartés. Le geste signifie l’Esprit Saint qui oint Jésus, le Christ, le Messie.

Ce deuxième geste est fait en direction de la personne à qui la paix du Christ est donnée. Ce déplacement suggère le don et manifeste que je m’approche de mon prochain (cf. la parabole du « Bon samaritain » en Luc 10, 25-37).

Ce signe est ainsi directionnel. Il se prolonge clairement dans l’espace. On pourrait sans doute en parler en termes mathématiques ou physiques de force vectorielle.

Dimanche 10 mai 2020, j’ai célébré la messe en Langue des Signes avec mes frères dominicains, la célébration étant retransmise sur le net. Je leur avais appris ce geste. L’un d’eux, suite à la célébration, m’a dit spontanément que ce geste de la « paix du Christ » était bien plus pertinent que le simple sourire ou regard. En LSF, le regard et l’expression du visage vont évidemment de soi. On ne signe pas une chose de ses mains et en exprime une autre de son visage. Le regard est, lui, un « fil entre deux visages »[3]. Ce dimanche 17 mai, les frères l’ont, là encore spontanément, reproduit. Un frère me suggère que ce signe, un peu long à effectuer, pourrait être réduit à sa composante : « Le Christ qui vient vers toi ».

De fait, la force de ce geste de la liturgie sourde, je crois, tient dans la force d’expression d’un geste directionnel, comme le sont certains verbes de la LSF. De plus, ils sont visuellement très compréhensibles. Plus profondément, le fait que la paix du Christ s’avance vers moi et, réciproquement, va vers mon prochain, montre clairement que ce n’est pas ma paix, mais celle du Christ qui est donnée. Là où ce geste peut sembler avant tout un geste de réconciliation (ce qu’il est aussi, bien sûr), ici, clairement, le sujet visible, c’est le Christ. C’est lui qui nous met en communion. C’est le Christ, qui, par moi, va vers le prochain.

Ce geste pourrait-il entrer dans la liturgie des entendants ? L’avenir le dira. Pour ma part, je tire de cette expérience une double leçon, plus large. D’abord, cette expérience montre que nos liturgies entendantes, souvent basées sur la parole avec peu de signes, sont démunies quand ces signes n’ont plus lieu d’être au temps des gestes barrières. Ce geste de communion est un des rares signes, souvent perçus comme un moment fort de nos célébrations, un moment où le corps est engagé et nos « barrières » intimes doivent être franchies. Ce geste de « la paix du Christ » des liturgies sourdes peut, à mon sens, redonner force à ce rite liturgique, empêché pour l’heure. On pourrait encore imaginer un autre usage de ce geste : le prêtre pourrait ainsi lui-même donner la paix du Christ, d’un seul geste, à toute l’assemblée.

L’autre leçon, plus large encore, est que les différents rites dans l’Église catholique doivent s’interroger les uns les autres. Chaque rite (romain, byzantin, copte, ambrosien, dominicain… etc[4])  avec son histoire, sa dynamique et sa logique propres questionne, par leur différence, la pertinence des autres rites. Il y a quelque chose d’un nécessaire et heureux dialogue. Dans cet esprit, la liturgie des communautés Sourdes a une perception de ce qu’est le « signe », de comment « fonctionne » un signe, qui peut être une richesse pour l’ensemble des rites de notre Eglise.

Fr. Xavier Loppinet, dominicain, Rennes – Mai 2020

[1]            Ces gestes s’unifient peu à peu grâce au travail de la Coordination de la Pastorale des Sourds de France, qui, depuis des années, perfectionne ce langage liturgique, typiquement sourd, « Pi Sourd » comme disent les Sourds. Il s’agit d’un langage basé avant toute chose sur le visuel. Le pape Paul VI avait dès le 14 décembre 1965 permis d’utiliser la langue des signes dans les célébrations, cf. Anne Bamberg, « Langues et langages de célébrations en culture sourde », in Questions liturgiques / Studies in Liturgy, 84, 2003, p. 209-225 ; en particulier p. 220.

[2]     Y. Delaporte, Dictionnaire étymologique et historique de la langue des signes française, Les Essarts-le-Roi, Éd. du Fox, 2007, p. 432-433 et 564 sur ce symbolisme de la poignée de main.

[3]     Y. Delaporte, « Le regard sourd. Comme un fil tendu entre deux visages », Terrain, 30, 1998, p. 49-66.

[4]     J’entends ici rite au sens de « rit » : « On utilise cette orthographe plus rare pour désigner les particularités de célébration des principales familles liturgiques : c’est ainsi que l’on parle du rit byzantin, du rit copte ou du rit malabar. » Dom Robert Le Gall, Dictionnaire de Liturgie.

La paix du Christ en LSF expliquée

Le frère dominicain Xavier Loppinet explique le geste de la Langue des Signes pour la paix du Christ, tel que les Sourds le lui ont donné.

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