La pensée sociale et le travail en période de COVID-19
La pandémie du COVID-19 pose à notre monde des défis sans précédents. Grégoire Catta sj, directeur du Service national famille et société évoque dans cet édito la crise économiques et sociale que nous traversons, et les conséquences de cette crise sanitaire.
Quel regard portez-vous sur la situation actuelle ?
Nous vivons une crise, sanitaire d’abord mais aussi économique et sociale. Une crise, comme le rappelle le terme grec « krisis » dont vient le mot français, est un moment qui demande de faire des choix, de décider ou encore de discerner. Pour nous chrétiens, il s’agit bien de discerner, de repérer les signes et les appels de l’Esprit dans la réalité concrète des situations, de décider, et d’agir en conséquence.
Les derniers mois ont mis sur le devant de la scène de nombreuses personnes auparavant peu visibles et peu valorisées, dont le travail s’est révélé indispensable pour que nous continuions à vivre : les soignants mais aussi les caissières, les éboueurs, les livreurs, les aides à domicile etc… Reconnaitre, dans la durée, la valeur de ces métiers – par les hommages rendus mais aussi l’évolution de leurs conditions matérielles et financières – c’est reconnaître la dignité des personnes qui les pratique.
L’arrêt brutal de l’activité économique provoque une crise qui va priver d’emplois et de ressources énormément de gens. L’Organisation Internationale du Travail (OIT) estime qu’un milliard de personnes dans le monde qui risquent de perdre leurs moyens de subsistance. Certes, les mesures massives de chômage partiel prises dans notre pays ont permis de préserver des emplois et des revenus, cependant nombre de Français vivent de petits boulots dans l’informel (des étudiants par exemple), ou de contrats ponctuels. N’oublions pas les indépendants ou les auto-entrepreneurs qui se trouvent pour certains, en grandes difficultés.
La pandémie transforme nos manières de travailler. Avec le confinement, le « télétravail » s’est développé avec ses avantages et ses limites que nous n’avons pas fini d’évaluer. La reprise d’activité se fait avec des contraintes sanitaires – distances, masques, limitations des regroupements – dont on ne mesure qu’à peine aujourd’hui les impacts sur les personnes et les structures. Il y a aussi des activités qui se sont arrêtées et qui ne repartiront pas ou qu’il nous faudra faire différemment. Ce peut être une chance, notamment si cela nous fait avancer dans la conversion écologique si nécessaire. Mais cela veut aussi dire relever le défi de l’accompagnement des personnes, des reconversions professionnelles et de la formation…
En quoi la pensée sociale de l’Église nous éclaire-t-elle ?
Elle n’a pas des solutions techniques toutes faites à nous proposer mais ses principes nous servent de repères et nous inspirent. La dignité de toute personne humaine, créée à l’image et la ressemblance de Dieu, implique que tous puissent contribuer par leur travail, quel qu’il soit, au bien de tous c’est-à-dire au bien commun, au bien de la « Maison commune ». Il faut que « l’on continue à se donner comme objectif prioritaire l’accès du travail… pour tous » rappelait le pape François dans Laudato Si’, en reprenant d’ailleurs des mots de son prédécesseur Benoit XVI. L’objectif n’est pas une relance économique à tout prix mais bien la reconstruction d’une activité qui offre un travail décent, durable et participatif à tous comme y invitaient les évêques européens en 2018 dans leur document Façonner l’avenir du travail.
La crise appelle à une véritable solidarité en actes, cette solidarité qui « n’est pas un sentiment vague de compassion ou d’attendrissement superficiel » mais « la détermination ferme et persévérante de travailler pour le bien commun, c’est-à-dire pour le bien de tous et de chacun parce que tous nous sommes vraiment responsables de tous » (Jean-Paul II, Sollicitudo rei socialis 38). La solidarité implique de faire une option préférentielle pour les plus pauvres à la suite du Christ qui « de riche qu’il était s’est fait pauvre pour nous enrichir de sa pauvreté » (2 Co 8,9).
Respect de la dignité humaine, recherche du bien commun, solidarité, tout cela dans la dynamique de l’écologie intégrale qui nous met à l’écoute du cri des pauvres et du cri de la terre : oui ! revisiter la pensée sociale de l’Église est plus que jamais utile répondre aux défis de la situation actuelle.