Le régime concordataire et la laïcité
Enjeux et présentation des spécificités du Concordat en Alsace-Moselle par le Père Bernard Xibaut, chancelier de l’Archevêché de Strasbourg et Docteur en l’histoire de l’Eglise.
Vocabulaire
Parler du Concordat demande toujours un préalable méthodologique, d’autant que la plupart des Français qui vivent en situation non concordataire n’ont du régime antérieur à la loi de 1905 qu’une connaissance vague, même si ce régime s’appliquait à la France entière avant cette date !
- Parle-t-on seulement de la Convention conclue entre le Saint Siège et le gouvernement français le 15 juillet 1801 ? Par définition, elle ne concerne que les catholiques.
- Désigne-t-on les articles du Concordat, augmentés des Articles organiques, qui non seulement instauraient une forte tutelle du gouvernement sur l’Église de France avec un contrôle strict des documents venus de Rome, mais encore reconnaissaient les deux Églises luthérienne et calviniste ? De fait, ce sont les deux documents réunis qui ont été promulgués comme Loi d’État le jour de Pâques, 8 avril 1802, et qui sont toujours en vigueur – même si certaines dispositions sont devenues caduques – en Alsace-Moselle.
- Englobe-t-on plutôt l’ensemble de la législation particulière qui a été maintenue au retour de l’Alsace-Moselle dans le giron français, selon les promesses tenues avant l’Armistice et, plus encore, à travers la loi du 1er juin 1924 qui stipule que la législation locale sur les cultes et les congrégations continuera de s’y appliquer ? En ce dernier cas, on ajoute aux dispositions précédentes la reconnaissance du culte israélite en 1808, les lois scolaires françaises comme la loi Falloux, non abrogées en Alsace-Moselle et une série de mesures prises dans le cadre de l’Empire Allemand, elles aussi maintenues au retour de l’Alsace à la France (loi sur les pensions, création de la faculté de théologie catholique).
De fait, lorsqu’on parle aujourd’hui du Concordat, on s’intéresse bien à l’ensemble de la législation dite concordataire. Ce que l’on entend par Concordat au sens large, c’est en fait un autre mode de rapport entre l’État et les cultes que celui qui a été instauré en France à la suite de la Loi de séparation de 1905. On peut dire aujourd’hui qu’il existe en France métropolitaine deux manières de vivre ce rapport : le mode de la séparation (« la République ne reconnaît ni ne salarie aucun culte ») et le mode du Concordat, selon lequel la République, en Alsace-Moselle, reconnaît et salarie certains cultes, quatre précisément (sans parler des modèles en vigueur dans la France d’Outre-mer, parmi lesquels le statut de la Guyane est le plus caractéristique).
Un contrat réciproque
Le régime concordataire repose sur l’existence d’un statut accordé à des communautés religieuses représentatives d’une part non négligeable de la population, avec des obligations réciproques :
- Pour l’Etat, il reconnaît, et donc il connaît, les cultes et leur organisation. Il sait officiellement à qui il a affaire, qui sont les responsables principaux des cultes et quels en sont les ministres en activité sur le terrain. Cette connaissance se réalise à travers la nomination des principaux dirigeants religieux (évêque, président protestant…) ou l’agrément obligatoire pour d’autres ministres présentés par les autorités religieuses. On peut estimer que la principale charge se traduit par la mise à disposition des églises (mais la Loi de 1905 maintient aussi l’affectation cultuelle dans le reste de la France) et par le versement d’un traitement convenable aux ministres du culte.
- Pour les cultes, la reconnaissance constitue bien sûr un avantage, lié à la reconnaissance non seulement de leur existence, mais encore de leur action, de leur utilité sociale. Si l’on réfléchit bien, la rémunération est d’ailleurs le corollaire de cette reconnaissance : la société civile estime que les cultes lui rendent un vrai service : service d’éducation morale, service de lien social, service de l’âme. N’est-ce pas un vrai service que celui rendu aux enfants réunis dans des équipes éducatives, aux jeunes qui sont préparés au mariage (incluant conseils médicaux et juridiques), aux familles qui sont accompagnées dans le deuil, aux individus soutenus dans la maladie ? Le Concordat oblige : il oblige à rendre un vrai service à la nation, sur la base du contrat réciproque.
L’actualité d’un régime
Rappelons un certain nombre de faits récents qui se sont produits dans notre région : profanations de cimetières juifs, débats autour de la construction de mosquées, rencontres et marches interreligieuses…
Dans chacun de ces cas, les responsables locaux des cultes reconnus (l’archevêque de Strasbourg, le président de l’Église luthérienne, les grands rabbins de Strasbourg et de Colmar), mais encore le responsable local d’un culte non reconnu, à savoir l’Islam, se sont réunis, soit à leur initiative, soit à celle des responsables publics (préfet, président de Région, maire de Strasbourg…). Ils ont osé des paroles communes, comme à la grande mosquée, lorsque le grand rabbin a pris la parole, entouré de l’archevêque et du président protestant.
Le régime concordataire rend naturel ce type de rencontres. Les dirigeants des cultes reconnus ont une longue habitude de se voir et de travailler ensemble. Depuis peu, ils ont ouvert leur cercle aux représentants de cultes non reconnus, comme les chrétiens orthodoxes ou évangéliques, les musulmans, les bouddhistes. Rappelons que le régime concordataire permet le financement de tous les cultes, et pas seulement de ceux dont les ministres sont salariés. Sur cette base, la ville de Strasbourg subventionne aussi bien des mosquées qu’une cathédrale russe ou une pagode !
Un autre mode de laïcité
Qu’est-ce que la laïcité, sinon la possibilité pour tous de pratiquer le culte dans le respect mutuel des religions et le respect des non-croyants ? Comment mieux favoriser ce respect qu’en plaçant tous les grands cultes sur un pied d’égalité, comme le fait le régime concordataire ? En un sens, le Concordat aurait peut-être plus de mal à être vécu dans les régions où le catholicisme se trouve isolé dans le paysage, car il favoriserait ostensiblement le monopole d’un culte. En Alsace et en Moselle, le Concordat protège les minorités religieuses. Il encourage l’œcuménisme et le dialogue interreligieux. Il favorise les relations avec les autorités publiques.
Comment expliquer que le Concordat de Napoléon puisse subsister deux cents ans après sa conclusion ? Tout simplement en considérant qu’il s’agissait du premier Concordat de post-chrétienté. Bonaparte a en effet concédé au catholicisme le statut de « religion de la majorité des français », et non de « religion d’Etat » comme l’Eglise le réclamait, et comme certains Concordats l’affirmaient encore au XX° siècle. Son Concordat a été instantanément assorti d’articles reconnaissant le protestantisme. Il a donc été dès l’origine un Concordat de liberté de culte, cent soixante ans avant que l’Eglise catholique ne reconnaisse solennellement ce principe à Vatican II. En un sens, on a pu dire que c’était un « Concordat de séparation ». C’est bien pour cela qu’il s’est parfaitement adapté à l’Alsace, terre de diversité religieuse s’il en est, et qu’il continuera encore longtemps, nous en sommes persuadés, d’y constituer le cadre idéal pour la paix civile et religieuse.
Les dispositions qui régissent l’Alsace-Moselle
- En vertu du Concordat de 1801 :
Préambule : « le Gouvernement de la république française reconnaît que la religion catholique, apostolique et romaine, est la religion de la grande majorité des citoyens français ».
Article 1 : Exercice public du culte, en se conformant aux règlements de police que le Gouvernement jugera nécessaire pour la tranquillité publique.
Article 4 : Intervention de l’autorité suprême de l’Etat (actuellement : le président de la république) dans la nomination des évêques.
Article 8 : Prière pour le salut de l’Etat et de ses autorités.
Article 10 : Agrément du gouvernement pour les titulaires de cures (depuis peu délégué aux préfets)
Article 12 : Mise à disposition des édifices nécessaires au culte (cathédrales et églises paroissiales)
Article 14 : Traitement convenable pour les évêques et les curés (étendu aux vicaires, qui démarrent à 1250€, tandis que les curés culminent, en fin de carrière à 2400€).
Article 15 : Facilitation par les autorités de l’Etat des fondations faites par les fidèles au profit des églises.
- En vertu des Articles Organiques (1802) :
Les dispositions de ces Articles ont été d’abord vues comme des entraves à l’exercice de la liberté de culte. Leur application actuelle est suffisamment souple pour ne plus entraîner cet inconvénient. De fait, l’instauration d’articles semblables pour l’Islam permettrait une tutelle pour cette confession jusqu’à ce qu’elle soit arrivée au terme de pouvoir s’en passer.
Article 1 : Contrôle des documents pontificaux (n’est plus appliqué que pour les nominations d’évêques). Cet article pourrait servir, dans le cas d’autres cultes, à filtrer les interventions étrangères.
Article 3 : Conformité des décrets des synodes étrangers et conciles avec les lois, droits et franchises de la République. Cet article n’est plus appliqué.
Article 9 : Le culte est assuré sous la direction des évêques. Cet article indique la reconnaissance par les autorités publiques d’un principe de hiérarchie et de connaissance des responsables.
Article 16 : L’évêque doit être français. Importance aussi, dans le cas d’autres cultes, de l’appartenance des autorités à la citoyenneté française.
Articles 23 et 25 : Organisation du séminaire : règlements et listes ne sont plus envoyés depuis longtemps aux autorités publiques. Ces articles définissent néanmoins une attention de l’Etat vis-à-vis des candidats à un ministère.
Article 32 : Obligation d’agrément pour les ministres du culte étrangers.
Article 41 : Autorisation du gouvernement pour l’instauration des fêtes.
Article 44 : Autorisation à demander pour l’ouverture des chapelles.
Article 49 : Possibilité pour le gouvernement d’ordonner des prières publiques.
Article 52 : Interdiction des attaques, dans les sermons, contre les autres cultes reconnus.
Article 54 : Nécessité de mariage civil avant la cérémonie religieuse.
Article 62 : Nécessité d’autorisation pour la création des paroisses.