Réflexion sur la fin de vie : le rapport Claeys-Léonetti
Mgr Pierre d’Ornellas, archevêque de Rennes, chargé des questions de bioéthique par les évêques de France, a proposé aux « correspondants diocésains à la fin de vie » un temps de formation et d’échanges sur le rapport Claeys–Léonetti. Synthèse des interventions de Jean-François Richard (soins palliatifs), Jacques Ricot (souffrance et solidarité), Marie-Sylvie Richard (sédation) et Jean-Michel Boles (directives anticipées).
Soins palliatifs : « Développer la médecine palliative »
Jean-François Richard, médecin chef de service à la Maison médicale Jeanne Garnier (Paris), enseignant au centre d’éthique médicale à la Catho de Lille, intervenait sur le thème : « Développer la médecine palliative, la formation des professionnels de santé et l’information des citoyens. »
Il note une insuffisance de soins palliatifs dans notre pays, à un point tel que ceux-ci sont inaccessibles en de nombreux endroits du territoire. Le problème d’accès n’est d’ailleurs pas qu’en terme de territoire, mais aussi de culture palliative selon les types de services médicaux, de lieux de vie (quasi impossible à domicile ou très rare en E.H.P.A.D.). Les soins palliatifs sont destinés aux personnes pour qui la médecine, malgré toutes ses possibilités, est dans l’impasse.
Il s’impose aujourd’hui d’irriguer l’ensemble du corps hospitalier et soignant de cette réalité palliative, de cette « culture palliative ». Actuellement de 4000 à 4500 lits sont dédiés aux soins palliatifs en France : c’est nettement insuffisant. La médecine palliative doit aussi tenir une plus grande place dans les formations des facultés de médecine.
Dans le vocabulaire, on parlait de douleurs, on parle maintenant de « souffrance ». Si la douleur n’est pas contagieuse, la souffrance l’est : « Nous sommes ensemble en souffrance autour de celui que la douleur accable ». Il faut remettre le patient en lien, en relation d’humanité. Apprécier « l’obstination déraisonnable de soins » est particulièrement complexe et exigeant. C’est à vivre dans le dialogue médecin/famille ; ce que Paul Ricoeur appelait « l’alliance thérapeutique ».
Quatre dimensions sont à prendre en compte pour une formation afin d’œuvrer en soins palliatifs : technico-scientifique, relationnelle, éthique, organisationnelle (savoir comment passer de la médecine curative à la médecine palliative).
« Le code de la santé ne peut se fondre avec le code de la consommation »
Jacques Ricot, docteur en philosophie, cofondateur de ‘’solidaires en fin de vie’’ a donné un exposé : « Pour apaiser la souffrance, valoriser l’autonomie dans son lien intrinsèque avec la solidarité et la fraternité ».
Jacques Ricot distingue la souffrance physique et la souffrance existentielle (‘’Ca ne vaut plus le coup de vivre’’) ajoutant que, dans le débat actuel, il y a, en filigrane, non plus l’idée d’accompagner la mort mais l’intention de la provoquer et parfois d’envisager de donner suite à la demande de suicide assisté. C’est préoccupant car la liberté individuelle n’est pas auto centrée, auto suffisante, mais se vit dans un cadre, un environnement social. « Ma vie ne concerne que moi ! » s’inscrit dans une logique d’expansion indéfinie des libertés individuelles qui amène à déliter le lien social et à maltraiter la liberté à laquelle on croyait initialement. Il faut envisager la liberté dans un tissu relationnel. Il y a une culture minimaliste aujourd’hui qui consiste à dire « tant que je ne fais de mal à personne, je fais ce que je veux ! » Cette conception devient très prégnante dans une société libérale/libertaire qui tente de tout déréglementer. Cela conduit à une atomisation dramatique de l’individu. L’autonomie, il faut la penser avec d’autres concepts pour une prise en charge de l’individu par le groupe. On ne peut séparer la liberté de la fraternité. « Certains demandent qu’on les fasse mourir car ils ont peur de mourir. C’était déjà présent dans la culture grecque ». Dans tout ce débat, le code de la santé ne peut se fondre avec le code de la consommation qui ferait que le médecin rencontre des demandeurs-consommateurs qui enjoignent au corps médical de mettre en œuvre leur demande personnelle. Il y a aussi cette dérive : « Quand on n’est plus utile, on doit disparaître ! » Ce regard utilitaire sur la vie anéantit toute dignité humaine, tout respect de la personne en tant que telle. N’oublions pas ce qu’est le soin, cela veut d’abord dire « prendre soin de »… « Ce n’est pas un acte de soin de faire mourir quelqu’un. Si la société veut organiser le suicide, elle ne peut le demander aux médecins ! »
Jacques Ricot et les autres intervenants abordent la question de ce qui était appelé ‘’acharnement thérapeutique’’ et que l’on appelle maintenant « obstination déraisonnable de soins ». En citant l’exemple de Jean-Paul II qui avait souhaité qu’on « le laisse partir », les propos de l’intervenant invitent à approcher ces réalités de fin de vie avec un infini respect et une grande humilité.
Sédation : « Le médecin ne peut être qu’interrogatif lorsqu’il cesse de soigner »
Le docteur Marie-Sylvie Richard intervenait sur « Mieux comprendre et prescrire la sédation ».
La sédation est définie par le recours à des moyens, le plus souvent médicamenteux, pour soulager et apaiser le patient en vue de pratiquer les soins. La dérive de la sédation serait d’endormir le malade au lieu de rechercher tous les moyens de le soulager. « La sédation n’est jamais irréversible, le dosage consiste à administrer juste ce qu’il faut pour que le malade supporte le mal puis se réveille. Ce n’est pas la sédation qui fait mourir le patient, c’est l’évolution de sa maladie. Si la sédation est bien faite, elle ne précipite pas la mort, elle est là pour soulager. »
Dans la loi en débat actuellement (à partir du rapport Claeys-Léonetti), au nom de la mort dans la dignité, il est dit d’ « éviter toute souffrance et éviter de prolonger inutilement la vie ». Il s’agit alors d’une sédation profonde et continue qui s’accompagne d’un arrêt des traitements et de l’alimentation (hors hydratation). Le geste du médecin doit être interrogé puisqu’il cesse de soigner.La notionde « prolonger inutilement la vie, ne veut rien dire en soi ! » Les termes actuels du projet de loi font craindre une dérive si on est sur une sédation « d’emblée continue. » On parle beaucoup de la demande du patient. Il faut aussi se poser la question : « Est-ce que le patient est en mesure de demander ? A-t-il capacité à demander ? » Bien sûr, pour répondre à cette objection, il est possible de mettre en avant les directives anticipées dont parle la loi de 2005. Elles traduisent la volonté du malade.
Les directives anticipées
Le professeur Jean-Michel Boles, chef du service de réanimation médicale du C.H.U. de Brest, a présenté un diaporama très complet de l’histoire récente des directives anticipées.
Il estime que l’on va trop vite vers les directives contraignantes pour le médecin, alors que l’on n’a pas fait une évaluation des directives anticipées depuis qu’elles existent. De plus, il précise que, pour lui, ces directives sont « un élément majeur mais non unique dans la prise de décisions du médecin », de l’équipe médicale à qui elles ne peuvent s’imposer. Elles sont aussi à remettre dans l’histoire de la personne avec des évolutions dans la perception qu’elle a de sa situation.
Avec l’aimable autorisation de Guy Fournier, Représentant Fin de vie du diocèse de Sées à cette rencontre, Responsable diocésain du Service Evangélique des Malades.
L’Eglise apporte son soutien critique à la proposition de loi
Chargé des questions de bioéthique par les évêques de France, Mgr Pierre d’Ornellas, archevêque de Rennes, a conclu : « Deux mondes s’accostent » : le monde médical qui va à grande vitesse dans ses progrès et le retour d’un monde qui a été occulté, le monde de la mort. Une œuvre de discernement s’impose donc pour que ces deux mondes s’accostent : L’enjeu, c’est de bien soigner et de bien mourir. Dans ce domaine, le travail de l’Eglise est très important. Elle se veut en dialogue et lieu d’échange et de réflexion. Appelant au soutien critique de cette proposition de loi, Mgr d’Ornellas indique que l’Eglise agira en faisant des propositions pour que la loi se situe dans une médecine palliative, respectueusement de la personne et du soin qui lui est dû.