La filiation en question

Par Mme Sylvie Bagot le vendredi 25 juin 2010

La réflexion se poursuit sur l’assistance médicale à la procréation, l’un des enjeux majeurs de la prochaine révision des lois de bioéthique. Sylvie Bagot apporte un éclairage au niveau psychologique.

blogbioethiqueSylvieBagotDans le cadre de la révision des lois de bioéthique, le gouvernement a appelé l’ensemble du pays à une large concertation, conférences débats, blogs internet, états généraux. Il y a un an se tenait à Rennes le forum citoyen sur l’Assistance Médicale à la Procréation. Un rapport a été transmis aux parlementaires qui devraient statuer prochainement (1).

Qu’en sera-t-il dans le domaine de la procréation et de la filiation ? Les questions sont complexes, au carrefour de plusieurs champs, social, juridique, médical, technologique, et suscitent autant d’espoir que de crainte. Où mettre les limites devant tous les possibles en matière d’assistance médicale et l’insistance de certains groupes de pression ? Comment établir une filiation humaine pour les parents comme pour les enfants de demain ? Le débat reste ouvert.

L’un des enjeux actuel est le passage d’une médecine qui soigne à une médecine instrumentale qui donnerait des enfants à qui le désire, une médecine qui sortirait du champ de la maladie… Comment la médecine s’insère-t-elle dans le champ du désir, du langage, du symbolique, de l’histoire du couple, de l’organisation de la filiation et de la parenté ? Jusque là les règles bioéthiques ont essayé de porter assistance à une nature défaillante mais n’ont jamais permis ce qui n’aurait pas pu exister sans artifice au regard de la réalité, femme ménopausée, célibataire, homosexuelle, veuve… La culture doit-elle transformer la nature ?

D’autre part la génétique occupe une place sans cesse grandissante. La société évolue vers une tendance à la transparence, à la traçabilité, à une certaine idéalisation du génétique, qui permettrait de donner le fin mot sur l’origine. Face à des situations familiales complexes, qui va dire le vrai sur la paternité ? La filiation se résume-t-elle à la génétique ? Il convient d’interroger le réseau psychique, symbolique, social, culturel dans lequel s’insère la filiation, c’est-à-dire la parole adressée, échangée et pas seulement la science.

Il importe aussi de réfléchir à l’importance donnée aujourd’hui à la « parentalité » au regard de l’axe conjugal. Les relations de parenté ne se structurent plus autour d’un axe conjugal stable. Les principes de l’alliance homme-femme et de la filiation parent-enfant sont séparés. Il faut prouver qu’on est de « bons parents » parfois dans une rivalité homme-femme. Avec l’assistance médicale la sexualité n’est plus nécessaire pour faire un enfant. La demande est adressée à un autre sur une autre scène, médicale. L’enfant n’est plus engendré, il est procréé. Il est au centre des préoccupations parentales et devient l’objet de beaucoup de soins et d’attention. Quelle représentation pourra-t-il se faire de sa venue au monde, de la scène originaire et du rapport à l’autre ? Et par trop d’attention ne risque-t-il pas de devenir l’enfant-roi comblé avant d’avoir manqué, sans interdit et sans limite ?

Comment pour chacun occuper une juste place, homme, femme, enfant, médecin, et construire avec nos enfants une histoire qui puisse un jour devenir pour eux un récit de vie ? (2)

Sylvie Bagot Psychologue clinicienne au CECOS et centre d’AMP du CHU de Rennes

(1) Alain GRAF, Rapport final, États Généraux de la bioéthique, 1er juillet 2009. Voir aussi le Rapport d’information n°2235 fait au nom de la mission d’information sur la révision des lois de bioéthique, 20 janvier 2010.

(2) Pour en savoir plus sur ce que dit l’Eglise catholique sur l’AMP voir Mgr Pierre d’Ornellas, Bioéthique. Questions pour un discernement., DDB/Lethielleux, 2009, pp.71-98

Fiches du groupe de travail "bioéthique"

Glossaire

PMA (procréation médicalement assistée) : pratiques cliniques et biologiques visant à remédier à l’infertilité du couple ou à éviter la transmission d’une maladie d’une particulière gravité.
GPA (gestation pour autrui) : le fait, pour une femme, de porter et de mettre au monde un enfant pour le compte d’un tiers.
CELLULES SOUCHES EMBRYONNAIRES : issues de l’embryon à un stade très précoce et douées de deux capacités : celle de se multiplier à l’infini et celle de donner naissance à tous les types de cellules de l’organisme (pluripotence).
(Source : INSERM)
CRISPR-Cas9 (clustered regularly interspaced short palindromic repeat) : « ciseaux génétiques » permettant d’éditer l’ADN d’une cellule somatique ou germinale. Cet outil cible une zone spécifique de l’ADN et la coupe. Cela permet ensuite de corriger ou modifier la séquence ciblée.
(Source : CNRS)
INTELLIGENCE ARTIFICIELLE : théories et techniques « consistant à faire faire à des machines ce que l’homme ferait moyennant une certaine
intelligence ». On distingue IA faible (IA capable de simuler l’intelligence humaine pour une tâche déterminée) et IA forte (IA générique et autonome qui pourrait appliquer ses capacités à n’importe quel problème).
(Source : CNIL)
BIG DATA (« données massives ») : conjonction entre d’immenses volumes de données et les nouvelles techniques permettant de traiter ces données, voire d’en tirer par le repérage de corrélations des informations inattendues.
(Source : CNIL)