Anonymat du don de gamètes
Par Pascal Jacob le vendredi 07 janvier 2011
Alors que le débat s’intensifie sur l’éventuelle levée de l’anonymat du don de gamètes, Pascal Jacob apporte un éclairage d’ordre philosophique sur cette question délicate qui constitue sans doute l’un des enjeux majeurs de la prochaine révision des lois de bioéthique. (1)
Lorsqu’un homme ou une femme donne ses gamètes afin de permettre à un couple d’être parent, il semble que la notion même de don implique qu’il n’attende rien en retour et se retire dans l’anonymat. L’enfant ainsi conçu peut, de son côté, considérer comme très légitime de connaître ses origines et d’accéder à un certain nombre d’informations sur le donneur qui est, après tout, son père biologique.
Le problème est bien réel, mais doit peut-être attirer notre attention sur ce qui, au point de départ, a créé cette situation, à savoir l’obstination peut-être pas si raisonnable à vouloir produire un enfant en dehors de la rencontre sexuelle. Nous sommes donc en train de nous demander quelle réponse donner à une situation qui est la conséquence d’un acte qui pose en lui-même un problème éthique majeur qu’il ne faut pas occulter pour autant. En d’autres termes, accepter de réfléchir à cette question de l’anonymat du don de gamètes dans le cadre de l’AMP ne signifie que l’on juge que l’AMP avec donneur soit une pratique bonne ou simplement neutre.
Sur quoi reposent donc le droit affirmé par le donneur à rester anonyme, et celui de l’enfant à connaître ses origines ? Peut-être est-il malaisé de répondre à cette question, tant nous sommes habitués à établir le droit sur la volonté : volonté de savoir contre volonté d’être ignoré, volonté d’avoir un enfant…
Don et responsabilité
On dira que le don ne va pas sans responsabilité, et qu’ainsi le donneur ne peut se retirer totalement sans être connu par celui qui hérite de ce don. Car après tout : sait-il ce qu’il a donné ? Comment peut-il être responsable de ce qu’il ignore ? Mais est-il responsable d’ignorer ce que l’on donne ? Comme donneur de gamète, ce n’est pas la vie qu’il donne : de quoi est-il réellement responsable ?
Les parents ne donnent pas non plus la vie, ils la transmettent. Les gamètes ne sont pas donnés à l’enfant, mais ceux à qui ils sont donnés n’en subissent pas la charge.
Responsabilité partagée
La réalité dont nous parlons en évoquant le don de gamète n’est donc pas si claire. Le problème se complique si l’on tient compte du fait que la plupart des AMP avec donneur se pratiquent par ICSI. C’est plusieurs gamètes que donne chaque donneur, mais le choix du gamète revient au technicien. Nous sommes ici dans une responsabilité partagée par des donneurs, des receveurs et des techniciens, et seuls les receveurs échapperaient à l’anonymat. Le premier mouvement serait de se dire que nous ne devrions pas nous engager dans de telles situations, mais nous y sommes : quel éclairage éthique pouvons-nous espérer ?
A quelle vérité l’enfant a-t-il droit ?
Nous sommes devant une question de justice, c’est-à-dire dans un effort pour déterminer ce qui est dû à chacun : à quelle vérité l’enfant a-t-il droit ? Nous ne pouvons fonder son droit sur sa volonté de savoir, car alors nous nous heurtons à la volonté du donneur. Il faut en vérité accepter de fonder le droit non pas sur la volonté subjective des individus, mais sur la réalité objective des personnes, en particulier celle de l’enfant, et de la procréation.
Objectivement, l’enfant est un sujet qui a le droit de ne pas être produit comme un objet. Certainement a-t il donc le droit de connaître cette première injustice qui lui est faite d’être le fruit d’une manipulation technique et non d’une rencontre amoureuse. Objectivement encore, le donneur initie une généalogie. S’il doit être sans aucun doute protégé contre tout mauvais procès que lui feraient les receveurs ou l’enfant, peut-il invoquer de solides raison pour se rayer lui-même de cette généalogie qu’il institue et rester ainsi dans l’ombre ? Objectivement encore, chacun se connaît soi-même également dans le récit qu’il peut faire de son histoire. Saurons-nous déterminer quelle part de son histoire propre le donneur donne-t-il avec ses gamètes ?
Parenté biologique et sociale
Nous séparons de façon assez brutale et artificielle la parenté biologique et la parenté sociale. Dans l’adoption, celle-ci se substitue à celle-là. Dans l’AMP, elle lui déni le statut de parenté. Paradoxalement, la parenté se trouve « débiologisée » parce que l’on insiste sur sa dimension sociale, tandis que la conception est réduite à un processus biologique parce qu’on la veut en dehors d’une relation charnelle. Sans préjuger de la qualité de l’amour qui anime chacun des acteurs du don, il reste que nous obligeons le principal concerné, l’enfant, à poser des questions dont nous ignorons la réponse.
Tentons une réponse : que le donneur assume son don, sans aucun anonymat, qu’il puisse dire à l’enfant « voilà, j’ai donné un gamète, je souhaite ou non faire partie de ta vie. » Celui qui marche dans la vérité ne craint pas la lumière.
Pascal Jacob, professeur de philosophie, marié et père de six enfants, enseigne l’Ethique en Faculté.
(1) Pour connaître le point de vue de l’Eglise sur cette question, voir Mgr Pierre d’Ornellas, Bioéthique. Questions pour un discernement., DDB/Lethielleux, 2009, pp.77-82
Fiches du groupe de travail "bioéthique"
- Assistance médicale à la procréation ou AMP
- Don de gamètes
- Dons d’organes
- Fin de vie
- Gestation pour autrui
- Intelligence artificielle
- Interactions biologie-psychisme
- Mégadonnées (Big Data)
- Utilisation des biotechnologies sur les cellules embryonnaires et germinales humaines
- Recherche sur l’embryon humain
- Thérapie génique germinale