La levée de l’anonymat dans le cadre du don de gamètes

Par Mme Mélina Douchy-Oudot, le vendredi 28 janvier 2011

Alors que la commission spéciale vient de rendre son rapport relatif au projet de loi de bioéthique, nous publions un nouveau billet sur la levée de l’anonymat dans le cadre du don de gamètes. Rédigé par le Pr Mélina Douchy-Oudot, il apporte un éclairage juridique sur l’un des enjeux majeurs de la révision des lois de bioéthique.

blogbioethiqueMélinaDouchyOudotLes articles 14 à 18 du projet de loi relatif à la bioéthique proposent une modification du régime juridique applicable au don de gamètes en laissant d’une part un accès libre à l’enfant, à sa majorité, aux données non identifiantes du donneur 1 et, sous réserve du consentement exprès de ce dernier, accès à son identité 2. Les modalités de mise en œuvre sont fixées au code de la santé publique modifié, mais le principe même de ces modifications serait intégré dans l’’article 16-8 du Code civil complété. Plusieurs questions devraient être examinées à notre sens avant de légiférer 3 :

Le processus juridique proposé dans le projet de loi reprend en partie les solutions de la loi du 22 janvier 2002 sur l’accès aux origines des personnes adoptées et pupilles de l’Etat : réfléchir sur la levée de l’anonymat du don de gamètes supposerait déjà de faire un bilan sur l’application de cette loi 9 ans après.

Le consentement individuel est-il à même de légitimer un acte, à savoir conservation ou levée de l’anonymat ? Le consentement n’est pas en soi cause de légitimation d’un acte. Ce n’est pas parce que je consens à un acte mauvais qu’il devient bon. Autoriser ou interdire la levée de l’anonymat en fonction du consentement du donneur revient à refuser de réfléchir sur l’acte lui-même. Ce refus de réflexion se comprend dans un contexte où il faudrait réfléchir par rapport à l’intérêt de l’enfant au bien-fondé de l’AMP elle-même qui dissocie dans l’engendrement les éléments suivants: donner les gamètes, féconder ces gamètes, donner l’enfant conçu, porter l’enfant conçu pour un autre, élever un enfant pour lequel on a prévu avant même sa conception qu’il n’aurait pas le droit d’être élevé par ses parents biologiques.

La levée de l’anonymat devrait-elle permettre un lien de filiation avec le donneur ? La réponse en droit est toujours négative. Si seul le consentement est le critère des choix juridiques que l’on défend, allons plus loin, pourquoi ne pas autoriser, sous réserve de son consentement exprès, un lien de filiation avec le donneur s’inspirant de l’adoption simple ? Ce serait donner un fondement juridique à une forme de multiparentalité formellement reconnue dans certains Etats des USA. On voit où pourrait conduire une levée de l’anonymat fondée sur le seul consentement. Le véritable enjeu pourrait être celui de la pluriparentalité comme système social, que l’établissement juridique de la filiation soit ou non autorisé.

En cas de refus du donneur de lever l’anonymat, ne prend-on pas le risque que cette filiation finisse par être établie malgré lui ? La loi du 16 janvier 2009 ne fait plus de l’accouchement dans l’anonymat une fin de non recevoir à l’action relative à la filiation. Y a-t-il vraiment différence entre les deux situations ? Dans le premier cas, le donneur a donné les gamètes nécessaires à la vie, dans le second la femme a donné la vie, dans les deux cas il y a don. Pourquoi traiter de façon différente ces deux situations ?

La levée de l’anonymat ne va-t-elle pas de conduire au « droit » dans l’avenir reconnu à l’enfant d’engager la responsabilité du donneur en cas de don défectueux ? La réponse du droit est négative. Le don exonère-t-il pourtant de toute responsabilité ? L’intention généreuse suffit-elle à exonérer celui qui fait l’acte du préjudice qu’il entraîne ? Il faudrait alors revoir une grande partie du droit civil mais aussi du droit pénal…

Faut-il légiférer sur la question de la levée de l’anonymat pour le seul don de gamètes ? Autoriser une solution juridique pour le don de gamètes dans le cadre du projet de loi relative à la bioéthique aura inéluctablement des répercussions sur l’adoption plénière, l’accouchement dans l’anonymat, l’éventuelle gestation pour autrui si elle est légalisée en France comme en d’autres pays européens. Sauf à prôner la politique des petits pas en faveur d’une levée de l’anonymat supposant que le choix en ait été antérieurement posé – hors de tout lieu de débat démocratique- il faudrait traiter de cette question de façon transversale et mener une réflexion sur le bien ou mal fondé d’un accès aux origines en prenant en compte la diversité des modalités de conception de l’enfant.

Mélina Douchy-Oudot Professeur à l’Université du Sud Toulon-Var Agrégée des Facultés de droit

1 L’article 14 du projet rappelle le principe de l’accès à l’identité du donneur et du receveur par le seul médecin et en cas de nécessité thérapeutique.

2 Voir déjà la réflexion sur la question Rapport Léonetti, 20 janvier 2010, p. 100 s. concluant en majorité au maintien de l’anonymat : Proposition 18.

3 Déjà : Table ronde Commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à la bioéthique, ss présidence Alain Claeys, 15 déc. 2010.

Fiches du groupe de travail "bioéthique"

Glossaire

PMA (procréation médicalement assistée) : pratiques cliniques et biologiques visant à remédier à l’infertilité du couple ou à éviter la transmission d’une maladie d’une particulière gravité.
GPA (gestation pour autrui) : le fait, pour une femme, de porter et de mettre au monde un enfant pour le compte d’un tiers.
CELLULES SOUCHES EMBRYONNAIRES : issues de l’embryon à un stade très précoce et douées de deux capacités : celle de se multiplier à l’infini et celle de donner naissance à tous les types de cellules de l’organisme (pluripotence).
(Source : INSERM)
CRISPR-Cas9 (clustered regularly interspaced short palindromic repeat) : « ciseaux génétiques » permettant d’éditer l’ADN d’une cellule somatique ou germinale. Cet outil cible une zone spécifique de l’ADN et la coupe. Cela permet ensuite de corriger ou modifier la séquence ciblée.
(Source : CNRS)
INTELLIGENCE ARTIFICIELLE : théories et techniques « consistant à faire faire à des machines ce que l’homme ferait moyennant une certaine
intelligence ». On distingue IA faible (IA capable de simuler l’intelligence humaine pour une tâche déterminée) et IA forte (IA générique et autonome qui pourrait appliquer ses capacités à n’importe quel problème).
(Source : CNIL)
BIG DATA (« données massives ») : conjonction entre d’immenses volumes de données et les nouvelles techniques permettant de traiter ces données, voire d’en tirer par le repérage de corrélations des informations inattendues.
(Source : CNIL)