Grâce au jardin : l’intuition intégrale

Temps pour la création

Le Temps pour la Création invite, chaque année du 1er septembre au 4 octobre, les chrétiens du monde entier à se mettre à l’écoute des cris du monde et à s’engager davantage sur le chemin de la conversion écologique. Focus sur Grâce au jardin : cinq jardins cultivés en maraîchage sur sol vivant pour prendre soin des hommes et prendre soin de la terre. Par Florence de Maistre.

Temps pour la Création“Je vais sur le terrain régulièrement. J’aime énormément mettre les mains dans la terre, enlever les feuilles des gourmands de tomate, tailler les arbustes. Et aussi mettre les gens en relation. Une de mes filles m’accompagne parfois”, indique Patricia Loyer, dentiste à la retraite, investie avec son mari Thierry, dans l’association Grâce au jardin. Il s’agit d’une ferme de maraîchage et d’insertion, implantée sur un terrain de 7,5 hectares à Tremblay-les-villages (28), entre Beauce et Drouais. Ou plutôt d’une future ferme, puisqu’une grange commune devrait voir le jour à l’horizon 2024 et qu’il n’y a sur place à l’heure actuelle aucun bâti. Mais l’aménagement du terrain, les plantations et les cultures, ont bel et bien commencé, il y a plus de deux ans. Le projet, porté par le P. Jean-Marie Lioult, prêtre du diocèse de Chartres, expérimente la technique du sol vivant pour mieux prendre soin du vivant dans sa globalité : terre et homme.

Qu’attend-on pour se mettre en route ?

Temps pour la Création“Partout dans le monde, des solutions existent” : l’affiche du film Demain (2015), ce documentaire environnemental de Cyril Dion et Mélanie Laurent, l’annonçait en lettres capitales. À la fin de la projection en avant-première à Dreux, le P. Jean-Marie Lioult, alors curé de la paroisse Saint-Étienne en Drouais, s’était levé en interpellant toute la salle : “Qu’attend-on pour se mettre en route ?” De fait, des équipes se sont mobilisées, une marche pour le climat lancée, ruchers, jardins partagés, pistes cyclables, etc. se sont développés. Premier élément déclencheur de l’aventure. “Profondément atteint par ce qui arrive à notre planète”, le curé de Dreux relit l’encyclique Laudato si’ à la faveur du confinement. En juin 2020, les conditions sanitaires l’empêchent de célébrer ses trente ans de sacerdoce. Il rassemble alors simplement une dizaine de proches et bâtit son projet en une journée. “J’ai l’impression qu’il a reçu comme une révélation. Une réflexion très profonde l’a conduit à la nécessité de se préoccuper de la Création. Non seulement des hommes, mais aussi des animaux, des végétaux, de tous les êtres vivants. Et il a sorti de son chapeau son bac agricole et son BTS horticulture-paysage, suivis avant le séminaire, sourit Patricia. Ensuite tout va très vite : la composition d’un collectif d’un dizaine de personnes prêtes à travailler, la proposition d’un terrain par la mairesse de Tremblay-les-Villages et le soutien des collectivités locales, le partenariat avec des associations d’insertion et le feu vert de l’évêque de Chartres Mgr Philippe Christory. Mais tout reste à faire ! Le terrain est grand et entièrement nu, sans eau ni la moindre cabane de jardin.

Coté jardin

“Nous avons commencé dare dare, au début de l’hiver 2021 et planté 1500 arbres à la sainte Catherine. Depuis, nous en avons planté 1000 de plus, creusé une mare et un puits, semé une prairie mellifère, construit des serres avec le soutien de France Relance, récolté une première, puis une deuxième saison complète de légumes. Nous ne vivons que de dons et de subventions”, détaille le P. Jean-Marie. Le projet se décline en quatre jardins différents : un jardin expérimental, deux jardins de proximité cultivés par les personnes aidées par le GIP relais logement et par les Restos du cœur, des espaces-test pour apprentis maraîchers, et la fameuse ferme d’insertion avec des emplois-relais à venir. Une vingtaine de bénévoles réguliers s’activent deux jours par semaine, sous la houlette du P. Jean-Marie, dans le jardin expérimental. Il comprend un verger circulaire. “L’idée est de créer un écosystème agroécologique en plantant les arbres sur neuf cercles concentriques, les uns protégeant les autres des courants d’air, du gel, etc. Cela favorise aussi l’habitat des hérissons, serpents, crapauds et autres insectes. Le lieu est beau et agréable, avec une biodiversité incroyable !”, explique le prêtre-jardinier. La forêt comestible commence elle aussi à voir le jour. Avec ses quatre à cinq cents espèces prévues sur plusieurs années, elle favorisera des récoltes en fruits, feuillages et racines : une diversité alimentaire méconnue, mais offerte par Dame nature.

Temps pour la CréationLe principe du maraîchage sur sol vivant ? “Copier la Création, regarder ce qui se passe en forêt. Ça pousse tout le temps pourtant personne n’apporte ni traitement, ni soin quelconque et des tonnes de bois sont produites chaque année. Il s’agit de prendre en compte le sol : c’est une réalité vivante ! Des milliards d’habitants s’en nourrissent et créent de la fertilité. Il ne faut pas trop le retourner pour éviter de l’abîmer. D’où l’importance d’avoir un sol toujours couvert de matière végétale, d’herbes et de feuilles mortes pour nourrir les êtres vivants du sol et favoriser ce cercle vertueux”, développe le P. Jean-Marie, intarissable sur le sujet. Grâce au jardin bénéficie de paille déclassée, donnée par un agriculteur voisin. Les pieds des arbres et tous les endroits à cultiver adoptent cette couverture et voient ainsi augmenter leur nombre de vers de terre. Ces derniers ingèrent la matière végétale infestée de bactéries et de champignons, la transforment en matière organique. La plante nourrit sainement est nettement moins malade. Le goût des légumes est incomparable aux dires des consommateurs. “L’an dernier nous avons planté en urgence des tomates, des aubergines, des melons, des concombres donnés par un maraîcher voisin. Nous avons paillé et laissé faire : c’est délirant ! Les plants ont la même origine, mais leur goût est différent du simple fait de la manière de cultiver. Les gens sont ravis”, souligne le P. Jean-Marie. Les expériences de techniques vertueuses au jardin se poursuivent.

Côté cœur

Temps pour la Création“J’ai reçu ce matin un appel d’une étudiante en paysagisme, qui souhaite venir nous aider. Les bénévoles sur le terrain sont nombreux, ils vont et viennent. Leurs profils sont très divers, nous apprenons à nous connaître. Il y a plus d’aînés que de jeunes, mais ça tourne. Certains passent un coup de fil pour dire qu’ils arrivent à la gare de Chartres et demandent que l’on vienne les chercher : c’est très vivant”, assure Patricia. Chacun s’adapte au travail à faire, selon ses compétences et les besoins du jour. Une petite communauté fraternelle naît dans ce site marqué par l’authenticité. En chaussant une paire de bottes, un petit mot attentionné est partagé. Au déjeuner, une dizaine de personnes peut rester dans le bungalow installé temporairement et agrémenté d’une vigne, qui permet de se retrouver, s’abriter le cas échéant et développer des liens autrement.

La vision de Grâce au jardin ? Honorer la Création

D’autres groupes fréquentent également les lieux. “Nous avons tissé des partenariats avec le lycée d’enseignement agricole privé de Nermont à Châteaudun, avec le Château des Vaux – Apprentis d’Auteuil à La Loupe. Nous accueillons aussi des groupes des établissements scolaires publics, les éco-délégués de classe, etc. Nous travaillons encore avec le Grand Monarque, le restaurant étoilé de Chartres, particulièrement intéressé par les saveurs nouvelles et les légumes rares”, précise le P. Jean-Marie. Grâce au jardin arrive à mobiliser plus de deux cent personnes les jours de grandes plantations et compte depuis le 15 avril dernier son premier salarié, grâce au fonds de la fondation SNCF.

Temps pour la CréationLa vision de Grâce au jardin ? Honorer la Création. Son ADN ? Créer du lien social. Comment agir ? Ouvrir enfin le chantier en lien avec les associations d’insertion socio-professionnelle. Pour accueillir les futurs bénéficiaires des emplois-tremplin, l’aménagement de la grange commune est le projet d’envergure de 2024. Les besoins de financement sont colossaux : l’appel aux dons est renouvelé. “Nous avons déjà des soutiens étonnants et espérons vraiment construire cette grange, de façon à entrer pleinement dans le cœur du projet. Outre des vestiaires, des sanitaires et des espaces de stockage, le bâtiment permettra d’accueillir davantage de groupes et de proposer des formations”, révèle la retraitée très active dans l’association. Lors des journées portes ouvertes de Grâce au jardin, la prochaine étant le 14 octobre, il est possible de s’initier à la taille des arbustes. Mais à terme le projet entend développer les formations au maraîchage sur sol vivant, à l’équilibre alimentaire, ou encore à la cuisine écologique.

Dans l’action de grâces

Temps pour la CréationIl n’y a pas de pancarte à l’entrée du terrain indiquant “Ici vous allez rencontrer Jésus Christ”, et pourtant… “Je vis l’Évangile concrètement. J’ai la chance incroyable de vivre mon ministère autrement. Je suis pleinement pasteur, ne serait-ce qu’en donnant l’exemple, à la suite de Laudato si’ : en prenant soin de la planète et soin des personnes. Des gens s’étonnent. Je fais des rencontres comme nulle part ailleurs. Des questions personnelles surgissent. Je vis pleinement l’Église aux périphéries : tout est lié”, confie le prêtre du diocèse de Chartres. Chrétiens ou non s’engagent aux côtés du collectif avec une générosité manifeste, portés par l’importance d’être utile ici et maintenant “de fleurir là où Dieu nous a planté” pour reprendre les mots de saint François de Sales. Ils croient, comme Patricia, à la force des petites actions et à celle du collectif. Ils sont vigilants sur leurs objectifs : il ne s’agit pas de produire pour produire, mais produire pour partager à foison.

Nous sommes des chercheurs de Dieu

Et voici que le thème du Temps pour la Création 2023 est naturellement rejoint : que la justice et la paix se répandent ! “Il y a comme un mystère de la relation dans notre aventure qui est véritablement collective. Nous avons une chance inouïe au regard de l’individualisme de nos contemporains. Mon engagement me permet de sortir de l’entre-soi, d’ouvrir les portes de la justice et la paix, même si c’est tellement imparfait. Avec mon mari, nous apprenons à mieux nous écouter depuis que nous partageons cette expérience”, souligne Patricia. Cette dernière avait pris quelques distances avec l’Église du fait de son parcours de divorcée et remariée. Mais elle assure se sentir profondément croyante dans la démarche proposée par Grâce au jardin. “Nous sommes des chercheurs de Dieu. Dans la nature, il se donne. Il se dit autrement. Les cœurs s’ouvrent. En jardinant, on peut discuter avec d’autres. On peut être seul. C’est un lieu de liberté. J’aime travailler dans la solitude, je m’y sens très apaisée. Je repense aux mots de la messe  Pour la gloire de Dieu : je crois qu’il y a quelque chose de cette âme-là qui unit l’ensemble des acteurs du projet”, confie l’ancienne dentiste. Le P. Jean-Marie Lioult ponctue : “Nous avons la grâce de vivre cette expérience, de voir de nombreuses personnes, des jeunes évoluer et découvrir la réalité du sol vivant. C’est tellement important d’agir : l’Église doit être devant. La spiritualité écologique dont parle le pape François, je la vis dans l’émerveillement de l’œuvre de la Création.

 

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