« Apocalypse » par Mgr Stenger
A la suite des événements qui se sont passés sur les bords de la Méditerranée, un nombre important de jeunes en particulier, fuyant les difficultés de leur pays en « révolution », ont cherché à rejoindre la France. Cet afflux est dénoncé en termes à peine moins apocalyptiques pour ce qui est des conséquences économiques et sociales qu’il entraîne dans notre pays. Et des mesures radicales sont prévues pour barrer la route à ces « envahisseurs ».
Dans le domaine environnemental, il ne manque pas non plus de prêcheurs de catastrophes : dans cinq ans, dans dix ans, la terre sera devenue inhabitable, les températures auront monté, les catastrophes naturelles se multiplieront, les guerres opposeront de plus en plus de peuples.
Quelles perspectives ! Nul ne peut nier que nous vivons dans un monde complexe, qu’un certain nombre de dangers se sont accumulés sur nos têtes, mais il n’est pas sûr que le catastrophisme entretenu dans certaines sphères politiques, économiques, sociales, scientifiques, soit l’expression la plus juste de l’aujourd’hui et la plus porteuse d’avenir. Pour échapper à l’incertitude de l’histoire, on décrète la certitude du désastre.
Une espérance
La perspective chrétienne est toute autre. Du reste quand dans le Nouveau Testament il est question « d’Apocalypse », il n’est pas question simplement de catastrophe, le mot veut dire dévoilement, révélation, passage dans un autre ordre du temps, espérance tendue vers l’avènement du Royaume de Dieu, promesse.
Il est important de ne pas se voiler la face. Savoir ce qui nous menace, connaître nos limites, permet de réagir, de résister. Mais cette résistance, pour n’être pas celle de la chèvre de Monsieur Seguin, a besoin d’avoir pour point d’appui une promesse, une espérance. Au cœur de la révélation chrétienne, il y a l’affirmation du projet bienveillant de Dieu pour le monde et pour l’homme. L’homme n’est pas condamné à tomber dans le précipice. On peut tabler sur sa capacité de s’en sortir et de mettre en œuvre les richesses de son intelligence pour se tirer des situations les plus périlleuses.
L’homme acteur
Pour nous chrétiens, ce programme de résistance et d’espérance s’appuie sur une certaine vision de l’homme au cœur du monde, en relation avec les autres hommes et avec son Dieu. La résignation est l’envers de l’orgueil. Ayant cru que nous pouvions tout, que les ressources que nous avions à notre disposition étaient sans limites, prendre conscience que nous ne pouvons pas tout, que les éléments de la nature résistent, que les ressources s’épuisent, nous conduit à penser que nous ne pouvons rien et le cas échéant à laisser d’autres agir pour nous.
Ce que Jésus-Christ est venu nous redire, c’est que l’homme n’est pas voué à la mort, qu’il a vocation à se remettre debout et à se développer dans une relation harmonieuse avec son environnement humain et naturel. Ce développement harmonieux implique les notions de justice, de solidarité, de partage, dans le rapport avec nos frères humains. Mais il veut dire surtout une nouvelle appréciation de ce qui nous fait vivre en remplacement de ce qui nous fait mourir. Tous les prophètes de malheur qui nous entourent prédisent la mise en péril voire la destruction du monde de démesure, de surconsommation, d’hyper-protection que nous avons construit. Ils appellent donc à réduire, à décroître, à se replier, à se protéger. Ce que nous propose la vision chrétienne, c’est que l’homme regarde ce dont il a besoin pour être pleinement homme. Il a certes besoin de pain, mais il n’a pas besoin de la multiplication des biens de consommation. Il a besoin de moins consommer et de plus aimer. Il a besoin de moins s’agiter et de vivre davantage. Il a besoin de moins d’évasion et de plus de proximité.
L’homme a besoin de se ressaisir comme le destinataire et l’acteur d’un projet de vie, de croissance et de bien pour tous, le projet créateur de Dieu.
+ Marc Stenger
Evêque de Troyes
Extrait de la revue « Eglise dans l’Aube » n° 5 de mai 2011.