Teresa, film de Teona Strugar Mitevska
Fiche de l’Observatoire Foi et Culture du 02 décembre 2025, OFC 2025, n°36 sur Teresa, un film de Teona Strugar Mitevska
Les êtres humains ont besoin d’admirer. Malgré les déceptions, ce désir demeure. Il peut être un des motifs qui préside au vote pour tel ou tel candidat, avec cette faculté à accorder crédit à des promesses que la formulation même révèle illusoires.
Le cinéma, cette machine à rêves, nourrit ce besoin d’admirer ; de diverses manières. D’abord par les biopics (genre cinématographique que je fuis ordinairement) ; ceux-ci vont de l’hagiographie au portrait de l’artiste tourmenté, victime de telle ou telle addiction, et souvent mort très jeune. Ce sont aussi les films de super-héros. Le plus souvent, les neurones de ces « œuvres » sont inversement proportionnels aux effets spéciaux. Tous ces films, dans leur diversité, parfois aussi lorsqu’ils dressent le portrait d’un saint ou d’une sainte, éloignent de l’humanité ordinaire, laissant sous-entendre que celle-ci ne pourrait être le lieu d’une vie belle, voire sainte.
Heureusement, Teresa échappe à tout cela. Ouf !

Ce film qui sort aujourd’hui sur les écrans français est l’œuvre de la réalisatrice macédonienne Teona Strugar Mitevska. C’est l’actrice suédoise Noomi Rapace, qui incarne le rôle-titre ; on l’avait découverte dans le rôle de Lisbeth Salander, l’héroïne de Millenium.
Le film est construit comme un compte à rebours, il suit les sept deniers jours de Teresa avant qu’elle ne quitte son couvent, à Calcutta, pour fonder les Missionnaires de la Miséricorde. Elle a en effet demandé au Saint-Siège de pouvoir vivre cela, et elle attend la lettre qui le lui confirmera ; pour elle, cette autorisation ne peut que venir.
La réalisatrice croit en la force des images, mais aussi de la musique, souvent du hard rock ; les paroles sont peu abondantes, sans que cela soit préjudiciable au film.
Il s’agit d’une œuvre de cinéma – c’est à tout le moins ce que l’on peut attendre lorsque l’on achète un billet et que l’on va en salle ; d’autres « films » sont sans doute mieux adaptés à des salles paroissiales.
La réalisatrice développe un point de vue sur son personnage ; elle n’entend pas la statufier. Le parti-pris est esthétique, j’ai parlé de la musique, on peut aussi mentionner une séquence onirique. Le parti-pris est aussi scénaristique : Teresa est montrée résolue, presque obsessionnelle ; pour elle, il ne faut s’attacher à rien. Ainsi, elle change constamment la place des pauvres meubles de sa pauvre cellule. Autoritaire, supérieure de sa communauté, elle se montre exigeante avec ses Sœurs.
Teresa est aussi dépeinte comme féministe ; elle vit dans un monde de femmes où l’autorité dernière revient à des hommes, prêtres, religieux, évêques. Elle tient pourtant à ne pas oblitérer sa liberté. Face à une situation complexe que vit une des Sœurs – on y reviendra –, une religieuse propose que l’on demande conseil au prêtre qui est leur confesseur. « Que fera-t-il de mieux que nous ? » rétorque Teresa.
L’aspiration profonde de Teresa est de consacrer sa vie aux foules de miséreux qui peuplent les rues de Calcutta, elle qui vit dans un couvent qui instruit les filles de la bonne société de la ville. Teresa n’est pas dupe de ce que ce désir peut comporter comme tentations ; héroïsme, recherche de l’exceptionnel… orgueil. Le film fait sentir cela de manière juste.
Mais, pour le moment, elle doit être la Supérieure de ses Sœurs. La réalisatrice choisit de donner une place particulière à l’une d’entre-elle, Sœur Agnieszka. On apprend qu’elle est entrée dans un couvent pour fuir la Shoah, elle est Polonaise et Juive. Teresa voit en elle celle qui pourrait lui succéder lorsqu’elle sera partie. Mais… Agnieszka lui apprend qu’elle est enceinte. Teresa ne peut le comprendre : « Comment as-tu pu me faire cela ? » Que faire ? L’avortement est possible ; le suicide envisagé ; il semble que ce sera une fausse-couche. On peut s’interroger : ce personnage, ses relations avec Teresa, tout cela est-il nécessaire ? N’y a-t-il pas une accumulation de situations qui finissent par devenir peu croyables ? Peut-être ; tout cela pouvait ne pas être nécessaire. Cependant, si on va au-delà de l’anecdote, le film peut souligner qu’il n’est pas facile d’aider ses plus proches, ceux qui nous ressemblent. Aider les lointains, les très différents de soi, l’est sans doute davantage ; pour Teresa ce seront les lépreux de Calcutta.
J’ajoute que la réalisatrice a choisi de montrer plusieurs fois la croix, mais toujours inscrite dans les images, ainsi que le montre l’affiche.
On comprend ainsi que le spirituel est toujours incarné. Ce sont aussi ces boulettes de pain que façonne Teresa, le soin des corps atteints de la lèpre, le sang des religieuses, celui des menstrues comme de la fausse couche.
Le chemin de la sainteté ne se vit pas en dehors de l’humanité la plus concrète ; Teresa, le film et son personnage le soulignent.
Pascal Wintzer, OFC

