Tu ne mentiras point, un film de Tim Mielants
Fiche de l’Observatoire Foi et Culture du 7 mai 2025, OFC 2025, n°16 – sur Tu ne mentiras point, un film de Tim Mielants
Les couvents « Magdalene » sont bien connus. Au moins deux films leur ont déjà été consacrés : Magdalene Sisters de Peter Mullan (2002) et Philomena de Stephen Frears (2013). Et ce sont de bons films.
La République d’Irlande porte ce lourd fardeau de ces maisons religieuses catholiques où étaient placées les filles qui n’avaient pas su « se tenir ». « Filles-mères » ainsi que l’on appelait les mères célibataires, ou filles manifestant une trop grande volonté de liberté. Les parents comptaient sur les religieuses pour ramener leur progéniture sur le droit chemin ; trop assoiffées de liberté, et ayant goût pour le plaisir, elles devaient « expier » à coup, souvent, de traitements ou dégradants ou violents. Nourries, logées, elles constituaient une main-d’œuvre bon marché pour les blanchisseries installées dans ces couvents ; tel le linge, l’âme allait être lavée. Beaucoup de ces jeunes-femmes se voyaient retirer les enfants auxquels elles donnaient naissance pour que ceux-ci soient confiés à de « bonnes familles » (cf. Philomena).
Tout le monde trouvait son compte dans ce système : les familles qui espéraient voir leurs filles « redressées », l’Etat qui tenait à la bonne moralité, et bien entendu une Eglise catholique dont le pouvoir allait de soi dans cette Irlande génétiquement catholique.
Le film de Tim Mielants ne se propose pas de rappeler tous ces faits – ils sont connus, il dresse le portrait d’un homme, marchand en bois et charbons. Livrant ces combustibles au couvent de sa commune irlandaise, il constate l’état de souffrance vécu par une, puis deux de ces « Madeleine pénitentes ».
Tout le film consiste à saisir, par petites touches, délicates, imperceptibles, le cheminement intérieur qui le conduit à agir pour ne plus laisser les choses se faire. Le titre original du film, qui reprend celui du roman dont il s’inspire, Small Things Like These, un roman de Claire Keegan, exprime très justement le projet du film : De petites choses comme celles-là. Ces petites choses ce sont à la fois des indices qui disent les mauvais traitements infligés dans le couvent, mais aussi le cheminement de conscience de Bill.
Tel est en effet le meilleur du film. Il rejoint bien des situations auxquelles beaucoup sont affrontés. Même si nous ne sommes pas en République d’Irlande, chacun, chacune, peut être témoin de situations de violences ou d’injustices qui attirent son attention. Est-il si facile de les prendre en considération ? De donner suite à ce dont on est témoin ?
L’actualité montre que non : Betharram, tel lieu d’enseignement, telle famille, tel religieux honoré, telle personnalité médiatique… on savait, mais…
Bill aurait pu passer son chemin, continuer son travail. On le lui conseille : au sujet des Sœurs, on lui dit : « tu sais, elles ont le bras long. » Il subit des mises en garde : ses deux filles aînées ont suivi leur scolarité dans l’école – de qualité et dotée de bon résultats – dont les Sœurs ont la tutelle ; ses trois autres filles pourraient ne pas être admises dans cette école. Il reçoit une somme d’argent rondelette (un cadeau pour Noël) de la part de la Supérieure alors qu’il a trouvé une des filles enfermées dans la réserve de charbon du couvent. Et il y a cette Supérieure, excellement interprétée par Emily Watson, dont le pouvoir s’affirme sans partage, sur les autres Sœurs, sur les filles placées, sur la vie locale (c’est elle qui déclenche, accompagnée du curé, les illuminations du sapin de Noël municipal), et donc sur Bill. Il n’est pas besoin pour elle d’élever le ton, son seul regard exprime l’absence du moindre doute, l’interdiction de la moindre contestation.
Bill, très bien interprété par Cillian Murphy, est un taiseux. Le film, par ses petites traces, exprime ses interrogations ainsi que le chemin qui le conduit à ne pas accepter ce qu’on veut lui imposer. Son histoire personnelle, rapportée par de (trop) nombreux flash-back, explique aussi son attitude. Il est le fils d’une mère célibataire, heureusement accueillie par une femme qui a pris soin d’elle et de lui, mais il eut cependant à en souffrir : à l’école, on comprend que son enfance fut parsemée de moqueries et d’ostracisme : il est le fils d’une « fille ».
Il a cependant construit une famille heureuse, et dispose d’un bon travail, il a monté sa petite entreprise de bois et charbons. Tout concourt à ce qu’il ne se mêle pas de ce qui ne le regarde pas. Mais, c’est un homme bon, un homme juste ; il ne peut pas ne rien faire.
Le film est tout sauf démonstratif – Small Things Like These –. Les dialogues sont réduits au minimum. La plupart des scènes sont filmées avec très peu de lumière (elles sont de nuit, au petit matin ou dans des lieux peu éclairés). La noirceur du charbon n’est pas seulement celle d’un combustible.
Visitant le National museum of Ireland à Dublin, j’y ai découvert un espace, retiré, obscur, qui rend hommage aux femmes des « Madeleine ». Dans l’obscurité totale, sont suspendues des robes d’un blanc étincelant. L’artiste contemporaine qui a aménagé cet espace a voulu en faire un mémorial pour les milliers de femmes qui eurent à souffrir de ces couvents et de l’accord général qui leur laissait tout pouvoir. Mémorial artistique, comme l’est aussi ce film.
Oui, il faut parfois du temps pour dépasser le déni, pour exercer son courage, pour prendre des risques. L’éveil d’une conscience n’a rien à voir avec une impulsion électrique.
+ Pascal Wintzer, OFC