La musique à Notre-Dame selon Emmanuel Bellanger

Fiche de l’Observatoire Foi et Culture du 23 avril 2025, OFC 2025, n°14 sur la musique à Notre-Dame selon Emmanuel Bellanger

LA VOIX PORTEUSE DU VERBE

Le programme des conférences de Carême 2025 à Notre-Dame de Paris s’est appuyé sur la renaissance de la cathédrale comme espace de beauté tant architecturale que musicale. L’une et l’autre techniques artistiques sont en réalité étroitement liées. La deuxième conférence de la série, donnée par Sylvain Dieudonné qui a longtemps œuvré dans cette cathédrale, a été le lieu d’une belle expérience esthétique et spirituelle. Il nous a permis de redécouvrir ce qu’est une véritable vie musicale dans une civilisation qui risque de l’avoir quelque peu oublié.

L’expression sonore est, sans doute, la plus ancienne manière que les hommes ont développée pour, non seulement s’exprimer, mais aussi échanger, s’organiser entre eux, marquer leur territoire, rechercher un contact avec la transcendance ou simplement s’abandonner au plaisir du son produit et projeté. Les anthropologues nous ont appris à quel point l’homme est un frère des animaux sur ce point : le chant des oiseaux, des cétacés ou des primates remplit les mêmes fonctions élémentaires : s’installer, s’unir, échanger ou simplement se laisser aller au plaisir gratuit du corps devenu son. L’ethnomusicologie nous apprend que toute société humaine, quelle qu’elle soit, a toujours produit un univers symbolique lié au son et à la musique.

Ces rappels élémentaires des origines de la musique ne sont pas inutiles dans notre monde contemporain ou ces fondements de l’univers sonore se diluent dans des techniques qui ont, semble-t-il, radicalement transformé notre rapport au son et au chant. Les constatations sont évidentes : la presque totalité de nos contemporains n’ont de contacts avec la musique que par l’audition et non par la pratique. Le corps comme premier instrument de musique est complètement ignoré. Les techniques de diffusion transforment la musique en produit de consommation qui enferme l’auditeur dans son propre univers (les écouteurs sur les oreilles) alors que, comme l’ensemble des expressions artistiques, la musique est essentiellement ouverture, accueil de ce qui advient. La musique, en effet, a ceci de particulier qu’elle n’est qu’une succession d’événements toujours inattendus (même quand on croit connaître ce qui est donné) et disparus aussitôt qu’émis. Elle est à la fois l’art par excellence de l’éphémère et pourtant du charnel dans l’effet qu’elle produit sur l’auditeur. D’autre part, la musique comme phénomène de résonance, est par nature liée à un espace, la salle de concert, la cathédrale et non à des effets artificiels de techniques numériques même les plus élaborées. Il n’existe aujourd’hui pour beaucoup de nos contemporains qu’un lieu où une véritable expérience musicale est possible : l’espace liturgique. C’est une des grandes richesses à laquelle Sylvain Dieudonné nous a permis de participer.

En arrière-plan de ce qui nous a été donné de découvrir et d’entendre au cours de cette conférence peut-on discerner la grande question du chant dans l’Eglise : l’union du Verbe et de la Voix. C’est par l’entrée dans la cathédrale depuis la montagne Sainte Geneviève, un dimanche des Rameaux du XIVème siècle que nous avons été introduits dans le propos. Nous entrons dans la cathédrale, image de la cité de Dieu, Jérusalem céleste, sur les mots du Cantique des Cantiques « tota pulchra es », étonnés de chanter la beauté au seuil de la grande semaine : cette cathédrale Notre-Dame image de nos vies, ravagée mais restaurée.
Tout au long de cette conférence, dans un parcours diachronique, nous ont été donnés à entendre des pièces grégoriennes, des polyphonies les plus anciennes de Léonin et de Pérotin, chanoines de cette cathédrale où est née la technique de la polyphonie, du chant devenu architecture, jusqu’à un motet polyphonique d’Antoine Brummel qui ouvre la porte à la Renaissance.
Par le chant du Magnificat, c’est le Christ lui-même qui s’adresse à nous à travers le chant de sa Mère, devenu voix de l’Eglise qui résonne dans la cathédrale, cité de Dieu.
Comme Jean-Baptiste, le chanteur est la Voix qui annonce la venue du Verbe.
La mission du musicien, qu’il soit chanteur ou instrumentiste, est bien de nous tourner vers la Montagne sainte, les yeux levés sur les voûtes de l’antique cathédrale, échos de chants que l’espace transforme par le jeu des résonances en polyphonies. Nous voilà très loin des pauvretés de nos pratiques musicales artificielles. Dans la liturgie, la mission du musicien est, selon les mots des Pères de l’Eglise, de « charmer les savants, instruire les ignorants. »

Le musicien porte les mots de l’Ecriture sainte, Verbe de Dieu. C’est bien la principale fin du chant dans la liturgie : porter la Voix de Dieu vers l’assemblée et faire monter cette voix de l’assemblée vers Dieu.
Par la voix résonant dans l’espace de la cathédrale, l’homme accède à l’indicible de la contemplation du Verbe. C’est la noblesse et l’humilité du chanteur. La voix comme l’architecture sont appelées à devenir transparence de Dieu.
« La Voix cesse graduellement son office à mesure que l’âme progresse vers le Christ. C’est ainsi qu’il faut que le Christ grandisse et que Jean s’efface. » (Saint Augustin Sermon 288)

Emmanuel Bellanger

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