L’Empire, film de Bruno Dumont
Fiche de l’Observatoire Foi et Culture du 28 février 2024, OFC 2024, n°9 sur L’Empire, de Bruno Dumont
Je crois avoir vu, et apprécié, tous les films de Bruno Dumont, depuis son premier, La vie de Jésus, en 1996, jusqu’aux deux séries diffusées sur ARTE, P’tit Quinquin et Coincoin et les Z’inhumains.
L’Empire appartient à la veine burlesque de sa filmographie, veine inaugurée avec Ma Loute et illustrée brillamment par les deux séries d’ARTE.
Il est difficile de caractériser d’une seule manière le travail de Bruno Dumont ; en effet, il cherche toujours à conjuguer des réalités qu’habituellement on sépare. Ainsi des acteurs qu’il choisit, certains sont très chevronnés, tel Fabrice Luchini (inénarrable en empereur démoniaque, n’ayant peur d’aucun excès dans son jeu), et Camille Cottin, et il faudrait aussi nommer de plus jeunes acteurs, d’autres sont des amateurs. Dans L’Empire, on aime ainsi retrouver le commandant de gendarmerie Van der Weyden et son adjoint Carpentier ; les regarder et les écouter procure une joie à nulle autre pareille. Pourtant, c’est vrai, il faut accepter de se laisser dépayser au regard de nos habitudes cinématographiques et culturelles.
La filmographie de Dumont est aussi faite de contrastes, avec des films graves, je souligne ses deux premiers, La vie de Jésus et L’Humanité, des portraits, de Camille Claudel et de Jeanne d’Arc et ici, le burlesque. Loin de se contredire, tout ceci concourt à rappeler que la vie est faite de tous ces contrastes, voire de ces contradictions.
Il y a tout de même des éléments communs à beaucoup des films de Bruno Dumont, avant tout les lieux où ils se déroulent, d’abord ce fut le Nord avec Bailleul, et désormais le Pas-de-Calais, comme c’est le cas avec L’Empire. Il donne à voir des paysages et des lumières magnifiques. Je crois aussi que Dumont manifeste beaucoup d’empathie pour ses personnages. Ils pourraient bien vite être moqués, ils ont en effet une part de ridicule, mais, au milieu d’événements qui les dépassent, contre lesquels ils ne peuvent mais, ils suscitent le sourire, la sympathie, jamais le sarcasme.
Bruno Dumont conjugue aussi le très beau, des images magnifiques des paysages boulonnais et des ciels du nord, les peintres flamands ne sont pas loin, et le trivial de dialogues et de situations : les extra-terrestres ayant pris forme humaine, ils vont profiter des avantages que ceci leur offre. Avant d’entamer sa carrière des images, Bruno Dumont enseigna la philosophie, cet art de poser des questions, surtout de déjouer les certitudes, d’autant plus fragiles qu’elles sont assénées avec force. Il faut donc accepter d’être dérouté par son art, sa manière, ses choix d’écriture. La réalité est plus complexe qu’il n’y parait. Et quand c’est dit avec le sourire…
Sur le fond, il est ici question du pouvoir, de la puissance et de la fascination que leur spectacle fait naître chez nous. Or, le pouvoir est fantoche, il se présente comme sérieux, puissant, mais n’est que ridicule. Le comprendre permet de déjouer ses pièges et de ne succomber ni à sa fascination ni à son emprise, tout ce à quoi peuvent concourir à entretenir les films de space opera (ainsi la saga Star Wars) et de super-héros. En contemplant Fabrice Luchini et son accoutrement, je me suis pris à penser à un certain défilé de mode dans le Roma de Federico Fellini. Or, le roi qui est donné à contempler aux chrétiens n’a de trône qu’une croix.
On aura compris que les films de Bruno Dumont peuvent surprendre, déplaire, on peut y rester totalement étranger. Si L’Empire se laisse apprécier, il me conduit cependant à quelques réserves. Une durée excessive alors que les inventions présentes dans des métrages bien plus longs, je pense aux séries en particulier, sont ici moins au rendez-vous. Sans doute peut-on en voir une raison dans la place occupée par les effets spéciaux, nécessaires lorsque l’on veut figurer un monde extérieur à la terre. Mais, leur redondance et ce qu’ils demandent de technicité nuit à l’ensemble de l’œuvre qui, pourtant, présente de l’intérêt.
Pascal Wintzer, OFC