Histoire du repos d’Alain Corbin , Éditions Plon, 2022

Fiche de l’Observatoire Foi et Culture (OFC) du 1er juin 2022, n° 21 à propos de Histoire du repos d’Alain Corbin , Éditions Plon, 2022

Les figures du repos n’ont cessé de varier au cours des siècles. Alain Corbin, l’un des plus grands historiens français, s’est intéressé à cette notion avec un livre étonnant. Il nous avait déjà donné une histoire du silence (cf fiche OFC 2016, n° 30) qui faisait découvrir d’autres manières de se taire et exaltait le rôle préparatoire à toute activité. L’objet de ce nouvel essai est « de faire comprendre le chemin qui mène du temps où le repos était identifié au salut, c’est-à-dite à un état d’éternité heureuse, au “grand siècle du repos”, qui s’étend, pour faire simple, entre le dernier tiers du XIXe et le milieu du XXe » (p. 12).

Il faut remonter tout d’abord à l’origine du repos, aux temps bibliques. Alain Corbin se réfère au repos sabbatique des Juifs, lequel résulte d’injonctions diverses contenues dans l’Exode, le Lévitique et les Nombres. Ensuite, durant près de deux millénaires, le repos éternel fut la grande préoccupation des théologiens, des prédicateurs et des moines. La messe de requiem en témoigne : « Donne-leur le repos éternel, Seigneur. » Très justement, Alain Corbin note que les plus grands chefs d’œuvre musicaux invitent au doux repos. Dans la Passion selon saint Matthieu de Jean-Sébastien Bach, il est répété par le chœur des fidèles : « Jésus repose doucement. » De même, à la fin du Samson de Haendel, le héros est conduit à sa dernière demeure pour un repos « éternel et doux ».

Le plein repos peut conduire à l’ennui et à la tristesse. La tentation est de le remplacer par du divertissement, du jeu, de l’agitation. Blaise Pascal confie dans les Pensées : « J’ai découvert que tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos, dans une chambre. » Il conclut en disant que le repos consiste à chercher Dieu. Au XVIe siècle et au XVIIe siècle, la quiétude est l’objet de débats. Thérèse d’Avila la considère comme un don de Dieu accordé lors du deuxième degré de l’oraison : « Laissez l’âme reposer dans son repos, mettez le savoir de côté. » François de Sales dans Introduction à la vie dévote précise l’état de repos qu’il qualifie de quiétude en prenant appui sur les textes évangéliques. Il met en garde celui qui prie : « L’âme (…) à qui Dieu donne la sainte quiétude (…) se doit abstenir tant qu’elle peut de se regarder soi-même ni son repos, lequel pour être gardé ne doit point être curieusement regardé, car qui l’affectionne trop, le perd. » Face à Fénelon et François de sales, Bossuet s’est opposé farouchement au quiétisme. Pour lui, le repos est avant tout le repos éternel. Le chrétien doit donc toujours se tenir en haleine, ne jamais se relâcher en se croyant arrivé à la perfection. Il doit lutter contre « l’assoupissement de l’âme ».

Aux personnes actives et suroccupées, Montaigne, à la fin du XVIe siècle, conseille de « faire retraite », de se « resserrer en soi », de se donner un temps de repos pour penser à soi et régénérer l’esprit. De même, un siècle plus tard, La Bruyère invite à désirer trois choses : la santé, le repos et la liberté.

Autres cas de figure analysés par Alain Corbin : la disgrâce comme occasion de repos ; le confinement volontaire ou non ; la réclusion ; le comportement lymphatique et l’indolence ; la flânerie. Autant de formes de repos qui souvent imposent la chambre comme refuge (lire à ce sujet Voyage autour de ma chambre de Xavier de Maistre, auteur du XVIIIe siècle). Le fauteuil, la chaise longue, le rocking-chair sont des objets propices à un abandon corporel. Une thématique intéressante développée par Alain Corbin est celle du repos au cœur de la nature. Comment ne pas citer les modes de délassement présentés par Virgile dans ses Bucoliques et ses Géorgiques ? Le genre bucolique a connu un certain succès en littérature, en Occident. Deux exemples parmi beaucoup d’autres illustrent cette aspiration à vivre dans la nature. Ronsard tout d’abord. Héritier de la sensibilité antique, il décrit souvent le repos sur l’herbe, au pied des arbres, à proximité des fontaines, dans la forêt de Gastine. Dans ses poèmes, évoquant rarement le repos éternel et le salut, mais plutôt la décrépitude de la vieillesse, il se dit cependant sensible à la fraîcheur de l’herbe et du vent. Jean[1]Jacques Rousseau, deux siècles plus tard, dans La Nouvelle Héloïse, les Confessions ou surtout les Rêveries du promeneur solitaire se dit intensément sensible au repos au sein de la nature. La fuite loin de l’agitation sociale est une nécessité. Mais, pour lui, le repos doit être avant tout « un mouvement uniforme et modéré qui n’ait ni secousses ni intervalles ». Associé à la rêverie, au bord du lac de Bienne, c’est un état intérieur. Il impose de faire le vide en soi.

Après Rousseau se développe l’idée que la villégiature dans les stations du bord de mer est bénéfique pour la santé et offre un remède à la mélancolie. Progressivement un basculement s’est opéré du thérapeutique à l’hédonique à partir des années 1860, avec la plage. Un autre aspect est à souligner : le repos correspond à la succession des saisons et au rythme des travaux agricoles. Le temps hivernal réduit les activités des champs mais n’est pas pour autant temps de repos. Au sein du monde rural, le repos n’est pas une valeur en soi. L’acharnement au travail est préférable à l’oisiveté.

Le repos du dimanche est une antichambre du repos éternel. Le concile de Trente (1545-1563) en dessine le sens et la pratique. C’est un temps de nourriture spirituelle grâce aux sermons, à la récitation des prières qui permet d’obtenir le salut. Jour de la célébration de la résurrection du Christ, on s’endimanche avec des habits différents de ceux portés la semaine. On constate ensuite, peu à peu, une sécularisation du dimanche due à la progression des activités festives.

Alain Corbin consacre enfin deux chapitres, toujours dans une perspective historique : la relation entre fatigue et repos ; la fonction thérapeutique du repos (de la fin du XIXe siècle au milieu du XXe siècle).

Cette Histoire du repos est bien documentée et mérite que l’on s’y attarde. À lire en temps de vacances !

+ Hubert Herbreteau

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