La révolution agro-écologique de Matthieu Calame (La république des idées, Seuil, 2022)

Fiche de l’Observatoire Foi et Culture du 31 mai 2023, n°22, à propos de La révolution agro-écologique de Matthieu Calame (La république des idées, Seuil, 2022)

La question écologique, avec toutes ses expressions, climat, biodiversité, modèles de croissance, agriculture, etc., est certainement le premier défi pour notre XXIe siècle. Les plus jeunes générations, qui vont connaître les conséquences du modèle adopté par l’Occident depuis le XIXe siècle sont les plus sensibles à ces enjeux. Ils l’expriment parfois de manière spectaculaire, voire violente.

Parmi les domaines interrogés, il y a l’agriculture, selon le modèle encouragé depuis la Seconde guerre mondiale. Ainsi, les méthodes et les équipements qui entretiennent ce modèle, telles les réserves de substitution (les fameuses « bassines ») sont refusées par des groupes de plus en plus nombreux.

Dans un livre récemment publié, Matthieu Calame, ingénieur agronome, à la fois penseur et acteur de transitions agricoles, développe une critique sévère du modèle dont nous héritons. Son livre a un parti-pris clair ; il est à verser avec ce qui alimente le débat et aide à poser des choix.

Dès les premières pages, il exprime son choix : « Le modèle agro-industriel, à bout de souffle, nécessite un sérieux aggiornamento. L’agriculture, comme l’ensemble de l’activité humaine, doit prendre ses distances avec le modèle industriel et envisager un mariage avec l’écologie » p. 8. Or, le politique, qui devrait être le lieu des choix, a justement fait un choix, celui de l’encouragement du modèle industriel. « Le format actuel d’élaboration des politiques ne permet pas de résorber le hiatus qui s’élargit entre la société et les acteurs de la filière » p. 14. « A partir de 1992, l’Union européenne fait le choix calamiteux d’un système d’aides directes à l’hectare, une rente foncière assurée par l’argent public qui encourage l’agrandissement » p.42.

La nécessité de changer ne date pourtant pas de 2023. « En 2010, le rapporteur des Nations unies au droit à l’alimentation, Olivier De Schutter, écrit dans son rapport annuel : ‘’Il ne suffit pas de mettre de l’argent dans l’agriculture, le plus important est de prendre des mesures qui facilitent la transition vers un type d’agriculture à faible émission de carbone, économe en ressources, qui bénéficie aux agriculteurs les plus pauvres. Cela ne se fera pas tout seul. Ce ne peut être que le fruit de stratégies et programmes soutenus par une forte volonté politique et éclairés par a prise en compte du droit à l’alimentation’’ » p. 11-12.

Dans bien des domaines de la société – et pourquoi pas dans l’Eglise – changer, en mesurer la nécessité et les bienfaits, se révèle difficile ou impossible. Certes le politique y joue son rôle, 2aussi dans sa liberté par rapport aux groupes de pression – « Le blocage (de toute évolution du système) est imputable au succès du lobbying opiniâtre du complexe agro-industriel, qui trouve son origine et sa force dans le gigantesque effort d’armement des deux guerres mondiales. Les industries des tracteurs issus des chars d’assaut, des biocides issus des gaz de combat, des engrais issus des explosifs sont parvenues à reporter sine die toute réforme d’un secteur devenu leur débouché en temps de paix » p. 55-56 – mais il s’agit tout autant de modifier nos comportements personnels, nos modèles de consommation, notre frénésie de déplacement et de vitesse. « Un aller-retour en avion entre Paris et New York a un impact climatique supérieur à l’assiette alimentaire annuelle d’un Français » p. 51. « Nourrir les populations restera une fonction primordiale de l’agriculture. Une modification des habitudes alimentaires, au premier rang desquelles la consommation des produits de l’élevage, constitue le passage obligé de toute sécurité alimentaire » p. 67.

Les expressions violentes qui s’expriment contre de nouveaux équipements interrogent les capacités du politique comme de l’ensemble de la société à mener des débats sereins, libérés des lobbys, se donnant le temps de décisions qui tiennent compte des rapports scientifiques, dont ceux du GIEC. Si le politique doit jouer son rôle, les groupes qui composent la société doivent aussi y prendre leur part. Ceci a existé : La JAC, les paroisses ont beaucoup accompagné la modernisation de l’agriculture en France. « La société civile moderne n’a pas reproduit d’institutions équivalentes. Dans nos sociétés sécularisées, c’est du côté du maillage des collectivités locales qu’il faudra se tourner pour animer les territoires et faciliter la traduction locale de la transition agro-écologique » p. 81.

Permettez à l’archevêque de Poitiers la citation suivante, au risque d’y trouver des arguments pour se justifier : « Les acteurs agro-industriels privilégient les retenues d’eau et les bassines. Cette technique est absurde, comparée à l’effet d’un massif forestier : l’eau est maintenue en surface par une imperméabilisation du sol qui empêche de recharger les nappes et il se produit en été une forte évaporation. La forêt certes transpire, mais outre le fait que son enracinement permet l’infiltration dans le sol, son évapotranspiration se distingue fondamentalement de l’évaporation : elle s’accompagne de la production de biomasse. Or, les bassines n’en produisent pas » p. 74.

  Matthieu Calame remet en cause bien des discours qui justifient la perpétuation du modèle actuel. « L’idée que l’industrialisation de l’agriculture abaisse les coûts de production relève de la légende agraire. L’intensification et l’augmentation de la dimension des exploitations permettent bien une augmentation de la productivité du travail en termes physiques (nombre d’unités produites par travailleur), mais elles provoquent en même temps une hausse du coût de production unitaire. Cela s’explique par l’augmentation très forte des facteurs de production à mobiliser – engrais, machines, bâtiments, carburant, biocides. L’agriculture industrielle a besoin de prix plus élevés que l’agriculture paysanne et ne peut survivre sans un important dispositif de soutien public » p. 40.

« L’apport d’azote stimule les plantes, mais aussi la dégradation de la matière organique des sols. Ce phénomène se cumule avec l’irrigation, le travail mécanique, l’absence de couverture dès la fin de la moisson et, pour presque tout l’hiver, les biocides qui affaiblissent la vie biologique, pour accélérer la destruction des sols. Les intempéries, vents et fortes pluies, emportent limons et argiles, ne laissant plus sur place que les éléments lourds : les sables et les rochers » p. 49. « L’agriculture industrielle affecte la biodiversité par la destruction des habitats et par l’épandage de biocides qui perturbent à la fois la chaîne alimentaire et la reproduction » p. 50.

On le comprend, la question agricole ne peut être comprise ou changer indépendamment des autres domaines de la vie sociale. « Tout est lié ». « Les écosystèmes forment une chaîne depuis le littoral jusque vers l’intérieur. La destruction des forêts littorales, en rompant le premier maillon de cette chaîne, conduit à un dessèchement en profondeur des continents qui empêche toute reconstitution d’un couvert forestier » p. 52. « L’écologisation de l’agriculture est tributaire de l’écologisation des sociétés, et il n’y aura pas d’agriculture écologique dans le cadre des sociétés industrielles » p. 63.

+ Pascal Wintzer Archevêque de Poitiers

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