Vers un avenir radieux, film de Nanni Moretti
Fiche de l’Observatoire Foi et Culture du 5 juillet 2023, n°25, à propos de Vers un avenir radieux, film de Nanni Moretti
Depuis quelques années, je reconnais que je suis peu intéressé par les films qui obtiennent la Palme d’or au Festival de Cannes, le jury a souvent privilégié des films tape à l’œil au détriment d’œuvres plus belles, plus exigeantes sans doute.
Cependant, le sélectionneur des films en compétition, Thierry Frémaux, retient chaque année des œuvres de grande qualité. C’est vrai, certains cinéastes sont presque des « abonnés » de Cannes, chacun de leurs films se retrouve dans la sélection officielle. Faut-il s’en étonner ? Il est naturel que de grands artistes réalisent de grandes œuvres. Il en est de même pour chaque art, il y a des « classiques ». Alors, peut-être pour encourager de plus jeunes cinéastes, les jurys préfèrent distinguer tel ou tel d’entre eux, il en est encore ainsi cette année. Peut-être irai-je voir le film de Justine Triet, même si je reconnais que ses précédents films ne m’ont pas paru exceptionnels (et puis, a-t-on le droit de ne pas apprécier le jeu d’actrice de Virginie Efira ?). Pourtant, le palmarès ne devrait pas masquer que les grands films, cette année encore, sont l’œuvre de cinéastes qui, pour la plupart d’entre eux, ont déjà été distingués par une ou plusieurs palmes d’or : Aki Kaurismaki, Nuri Bilge Ceylan, Marco Bellocchio, Ken Loach.
Au fil des mois à venir, les écrans vont projeter les films du dernier Festival de Cannes. Le premier à sortir est le film de Nanni Moretti, Vers un avenir radieux (le titre original est Il sol dell’ avvenire). J’apprécie beaucoup cet homme. C’est un bonheur de réentendre sa voix cassée – il est à la fois le metteur en scène et l’acteur – ses commentaires sur le monde, le cinéma, la chanson, lui-même… ici se déplaçant, non plus sur une vespa mais une trottinette dans les rues de Rome, où « il tourne en rond » !
Moretti est un diariste, un de ses meilleurs films l’exprimait explicitement, Journal intime. Il porte un regard de moraliste, à la fois amusé et désabusé, sur la société et sur lui-même. On le sent de plus en plus étranger à ce monde, voire à ce cinéma qui privilégie le clinquant, le vide, la violence gratuite. Une longue scène le montre en perturbateur lors du tournage d’un film qui se voudrait inspiré de Shakespeare – en tout cas, c’est ce que revendique son jeune metteur en scène – mais qui n’est qu’un vain spectacle de violence.
Inactuel, Moretti l’est aussi par la modestie de son propos, signe de ces grands qui peuvent dire et montrer l’essentiel sans l’asséner à coups de marteau. Aurions-nous perdu toute capacité à la délicatesse pour que les choses aient toujours besoin d’être surlignées, sur-affirmées pour que nous les comprenions ? Vers un avenir radieux suit le travail et la vie d’un réalisateur, interprété par Nanni Moretti, qui peine à mener à bien la réalisation de son film, son producteur va le lâcher. De plus, son couple bat de l’aile ; sa femme, après quarante ans de vie commune va le quitter. N’a-t-il d’autre choix que de choisir l’esbroufe ou de se vendre à Netflix ? (Scène très drôle avec des dirigeants de cette plate-forme).
Ceci entre en résonnance avec le film qu’il tourne. Il suit une section romaine du Parti communiste italien au moment de la répression de Budapest en 1956. Le secrétaire de la section va-t-il oser se démarquer de la ligne officielle qui ne peut désavouer l’URSS malgré les chars en Hongrie ?
On le comprend, Moretti plaide pour une résistance humble, heureuse, fantasque, courageuse aussi, tant à la ligne du parti, pour le héros du film qu’il tourne, que pour les canons de la pratique artistique de 2023. Modestie, délicatesse, pari sur l’intelligence, refus du clinquant.
Moretti est un autarcique, c’était le titre de son tout premier film, il le demeure. Il est accro aux antidépresseurs et au somnifère, en tout cas son personnage le reconnaît à sa fille, laquelle vit une histoire amoureuse étonnante, mais on se fait à tout pour ceux que l’on aime. Nanni Moretti illustre ainsi ce combat salutaire de ceux qui se tiennent à distance, par la pensée et les actes, ici par les films, d’une société qui n’offre guère de perspective exaltante. Vers un avenir radieux… mais à la mesure où l’on choisit la distance, le retrait, voire le refus, la douce liberté de l’originalité.
+ Pascal Wintzer Archevêque de Poitiers
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