La femme de Tchaïkovski de Kirill Serebrennikov
Fiche de l’Observatoire Foi et Culture (OFC) du 22 février 2023, n°10 à propos du film : « La femme de Tchaïkovski » de Kirill Serebrennikov.
Vient de sortir sur les écrans un film qui fit partie de la sélection officielle du festival de Cannes du printemps 2022. Il n’y obtint aucun prix, pourtant… J’ai parfois le sentiment qu’il y a une distance entre la sélection des films et ceux qui se voient décerner un prix. Sans doute ceci exprime-t-il cette autre différence entre un sélectionneur qui est d’abord un cinéphile, dont le projet est de permettre la découverte de nouveaux cinéastes talentueux comme de suivre la carrière de grandes figures de la mise en scène, et un jury qui doit composer avec les nationalités et les figures médiatiques. Mais, et on le comprend, les vedettes apportent la notoriété dont a besoin le 7ème art. Cependant, des films que l’on dit « exigeants » n’en profitent pas toujours et sont oubliés du palmarès. Ainsi, pour La femme de Tchaïkovski, c’est l’actrice Aliona Mikhaïlova, qui incarne ce personnage, , qui aurait mérité, sans aucun doute, le prix d’interprétation féminine. Cependant l’actrice iranienne, Zar Amir Ebrahimi, qui l’obtint pour Les nuits de Mashad, n’a pas démérité.
Kirill Serebrennikov a subi de nombreuses attaques de la part du pouvoir russe, accusé en particulier de détournements de fonds publics. Il est plutôt considéré comme un dissident du régime du Kremlin. Il vit désormais à Berlin.
Son film est l’expression d’une passion. Loin du romantisme qui exalte ce sentiment, ce dernier n’a ici rien de sublime : la passion détruit celle qui s’y adonne. Le désir qui pousse une jeune femme, Antonina, à déclarer sa flamme à Piotr-Illich peut susciter étonnement. Même si elle ne soupçonne pas encore l’homosexualité du musicien, et si elle met bien du temps à la saisir, à en mesurer les conséquences pour elle, on se demande bien ce qui la conduit à vouloir épouser cet homme qui ne lui prête aucun intérêt. Mais, après tout… il s’agit d’une passion. Celle-ci peut elle être autre chose qu’une destruction ?
Pourquoi s’acharner à vouloir aimer cet homme qui ne lui rend que désintérêt, voire mépris ? Pour ne pas se déjuger ? Pour conserver le statut de « femme de » ? Tout ceci et d’autres raisons peut-être ; surtout, elle a décidé qu’elle aimerait cet homme ; mais, la passion… est-elle un amour ? Alors que l’immeuble qu’elle occupe brûle, sa seule attention est consacrée à son alliance de mariage qui est restée dans l’appartement.
Le cinéaste russe développe un film où se conjuguent le sublime, dans la fabrication des lumières en particulier, et il faudrait tout autant parler des ombres, et le sordide, celui des rues peuplées d’un peuple hagard, scrofuleux, ainsi que des salons d’une bourgeoisie qui s’adonne à des plaisirs qui n’apportent que l’étourdissement, jamais de joie.
Même si les esthétiques sont différentes, La femme de Tchaïkovski m’a évoqué un des excellents films de l’italien Marco Bellocchio, Vincere, qui dresse le portrait de la première compagne de Mussolini, Ida Dalser. L’une et l’autre termineront leur vie dans un asile d’aliénés, détruites par les hommes qu’elles ont aimé malgré eux… malgré elles, mais surtout par ce sentiment que l’on aime revêtir de toutes les qualités, héritage d’un romantisme dont il faut mesurer les mensonges : la passion amoureuse. J’y reviens, ces deux mots vont-ils vraiment ensemble ?
La femme de Tchaïkovski invite à découvrir ou à revoir quelques-uns des excellents films russes de ces dernières années, deux en particulier, des portraits de femmes : Une grande fille de Kantemir Balagov et Une femme douce de Sergei Loznitsa. On en vient à se demander si le sort des femmes, en Russie, n’est pas de souffrir.
On regardera ce film sur l’horizon de ce qu’est aujourd’hui la Russie, son peuple, ses élites. Il ne se présente cependant pas comme une parabole d’une Russie en guerre ou dominée par la volonté de puissance d’un homme et de son clan. Non, c’est bien de passion dont il s’agit. Mais, ces grands artistes permettent de ne pas identifier la Russie à la guerre que ses gouvernants lui font mener actuellement. La culture russe est grande, elle est européenne et elle développe des richesses spécifiques, dont la démesure, la violence des sentiments, les excès.
+ Pascal Wintzer
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