La foi comme option, possibilités d’avenir du christianisme de Hans Joas

Fiche de l’Observatoire Foi et Culture (OFC) : « La foi comme option, possibilités d’avenir du christianisme de Hans Joas » du mercredi 27 octobre 2021.

Voici un livre ardu mais qui donne beaucoup à penser. Il pose la question de la sécularisation de notre société.  La fin de la religion est-elle une conséquence inéluctable de la modernité ? Hans Joas, proche de la pensée  de Paul Ricœur et de Troeltsch expose ici une position alternative à cette conception si souvent mise en  avant. Pour lui, le phénomène religieux n’a pas disparu du paysage – surtout en dehors de l’Europe. Il faut  aussi savoir reconnaître le rôle joué par le catholicisme dans la modernisation, dont le protestantisme n’a  pas le monopole. La foi chrétienne n’a pas dit son dernier mot et demeure une option toujours crédible.

Dans un premier chapitre, Joas, sociologue et catholique engagé, commence par donner une définition du  mot « sécularisation ». Les sociologues utilisent le concept dans trois sens : perte de signification générale de  la religion ; retrait de la religion hors de l’espace public ; affranchissement de secteurs sociaux (tels  l’économie, la science, l’art ou la politique). C’est surtout le premier sens qui retient l’attention de l’auteur,  mais il le complète par d’autres phénomènes comme la diminution du nombre de membres des Églises et  communautés religieuses, la diminution de la participation aux rituels religieux ou encore la réduction du  nombre de ceux qui approuvent certains contenus de la foi. Sur le concept de modernisation, Joas relève une  ambiguïté : la modernisation pour certains correspond à la croissance économique et aux progrès  scientifiques et techniques. D’autres parlent d’un processus qui fait passer à quelque chose d’historiquement  tout à fait nouveau, une époque que l’on appelle la modernité. Le propos de Joas est clair : « La modernisation  ne va pas nécessairement de pair avec la sécularisation, et la sécularisation a souvent lieu – comme on le  montrera encore – sans modernisation » (p. 43).

Il est bien difficile de faire des pronostics concernant l’évolution religieuse. L’histoire des religions est riche  en développements inattendus, en surgissements nouveaux, en réveils ou ruptures. Elle n’est pas linéaire.  Hans Joas décrit trois tendances : la dissolution des milieux confessionnels et la formation d’un milieu

chrétien supra confessionnel ; une religiosité « vagabondante » ; une globalisation du christianisme. Cela  pose des défis à la transmission de la foi et à la façon dont la foi se comprend intellectuellement à notre  époque. « Lorsque les liens entre la foi et un milieu social homogène se distendent, lorsque la foi se trouve  en concurrence avec un grand nombre de visions du monde et de pratiques de vie soit séculières soit  vaguement religieuses, lorsque la foi est objet d’appropriations nouvelles dans le monde extérieur au cercle  culturel marqué depuis longtemps par le christianisme et dans des conditions de pauvreté et de  déracinement massives – dans tous ces cas, ce que signifie le christianisme doit alors être libéré des  particularismes restés inaperçus pour être articulés à nouveaux frais » (p. 206). Les conséquences de ce  constat s’imposent. Il faut intensifier le dialogue et la collaboration œcuméniques. Mais aussi repérer les  points d’accrochage avec la religion « vagabondante », avec les formes de religiosité ecclésiale qui se limitent  aux actes pastoraux (baptême, confirmation, mariage, enterrement). Tout cela sans brader à vil prix ce qui  est le propre du christianisme.

Selon le philosophe et théologien Troeltsch auquel Joas se réfère, plusieurs aspects essentiels du message  chrétien apparaissent aujourd’hui. Revenant en particulier sur le pluralisme religieux, la sécularisation, la  violence religieuse, la place du sacré ou le rôle des intellectuels, Hans Joas indique notamment quatre défis  majeurs pour l’avenir du christianisme :

  • Il y a tout d’abord l’éthos de l’amour. Ce qui fait difficulté dans le monde occidental, ce sont deux formes  d’individualisme : un individualisme orienté vers « l’utilité », les avantages à court terme et un individualisme  orienté vers les besoins émotionnels. Cette distinction étant faite, il est bon de regarder la conception de la  tradition biblique selon laquelle « les êtres humains sont tenus de prendre en considération non seulement les  autres êtres humains appartenant à la même famille, à la même république, à la même nation, à la même  religion ou à la même classe, mais tous les êtres humains, y compris les générations futures » (p. 213-214).  Orientation universaliste par conséquent !
  • Le deuxième défi concerne la personnalité de l’être humain. Les chrétiens sont persuadés que la tradition  biblique, et tout particulièrement les évangiles, sont profondément imprégnés par la conception d’un noyau  sacré de l’être humain. Cette conception s’exprime dans des idées telles que l’immortalité de l’âme ou  l’homme créé à l’image de Dieu ou enfant de Dieu. Mais l’idée d’une égale dignité revenant à tous les êtres  humains ne s’est pas imposée partout dans toute leur portée. Le défi intellectuel pour les croyants consiste  à procéder à un examen autocritique des liens entre le christianisme et la « sacralité de la personne ». Qu’en  est-il du rôle joué par les chrétiens dans l’abolition de la torture, l’abolition de l’esclavage, la lutte contre la  discrimination des femmes ou des minorités sexuelles ?
  • Troisième défi : la spiritualité. Beaucoup de contemporains disent avoir besoin d’une spiritualité, en  particulier dans la confrontation avec des crises existentielles comme une grave maladie, la peur de la mort  ou la perte d’êtres aimés. Ils se tournent parfois vers des religions exotiques. Comment les chrétiens peuvent ils élaborer une compréhension de l’Église qui ne se réduit pas à une association cultuelle ? L’Église est une,  mais pas uniforme ; elle est sainte, mais aussi pécheresse et a donc toujours besoin de réformes ; elle est  missionnaire comme les apôtres dont elle se réclame ; elle est catholique au sens d’un universalisme concret  dépassant tout ce qui est national et culturellement particulier.
  • Le quatrième défi concerne la transcendance. Celle-ci peut se comprendre comme la désacralisation  radicale de toutes les structures de domination politique et d’inégalité sociale.

Ce livre est à lire au moment où s’ouvre la démarche synodale demandée par le pape François. Il pose la  question d’une profonde remise en question de nos structures et de nos fonctionnements dans l’Église.

+ Hubert Herbreteau