Note de lectures : trois romans, trois essais

Fiche de l’Observatoire Foi et Culture (OFC) du mercredi 12 mai 2021 à propos de trois romans et trois essais.

Dans le flot perpétuel des publications, il est parfois difficile d’en sélectionner une en particulier. Il arrive donc que s’impose d’en présenter plusieurs en même temps, parce qu’elles ne sont pas sans rapports entre elles, même si elles ne sont pas concertées. Dans la production de ces derniers mois, on peut ainsi relever trois romans plus ou moins autobiographiques qui s’avèrent convergents.

Le premier a eu quelque audience : La Grâce, de Thibault de Montaigu (Plon, août 2020), couronné par le Prix de Flore, raconte sa conversion foudroyante d’homme encore jeune, sans doute trop bien né (sa mère est une Gallimard), émule des « Hussards » des années 50 et 60, déjà lancé comme journaliste et écrivain. Au cours d’une enquête destinée à combattre la déprime qui le menace, il découvre un oncle paternel qui, après avoir comme lui fait les quatre cents coups, a eu, à l’âge qu’il a alors lui-même, une illumination – la sensation charnelle d’être aimé, qui l’a guéri et libéré –, et est entré chez les franciscains, au service des plus pauvres. Il s’engage alors sur le même chemin, frayé par François d’Assise et Charles de Foucauld, par le témoignage de l’écriture.

Dans Ce monde est tellement beau (Actes Sud, janvier 2021), le bernanosien Sébastien Lapaque, lui aussi journaliste et écrivain, fait le récit d’une autre conversion, qui n’est ni brutale ni la sienne, mais celle d’un anti-héros fictif nommé Lazare, assez représentatif d’une génération de jeunes « quadras ». Professeur de lycée, issu d’une famille décomposée, lucide mais sans horizon, il prend conscience de la laideur de l’univers dans lequel il vit, « défini par la rencontre du technique, du collectif et de l’abstrait » et qu’il finit par nommer « l’immonde ». Y appartient comme carriériste la femme avec laquelle il vit sans que – significativement – ils réussissent à procréer. En son absence (sans qu’il soit besoin de rupture), des amitiés et un séjour estival près d’une abbaye lui font progressivement accueillir la réalité et la beauté de la vérité chrétienne, qui délivre jusque dans le quotidien et est concrètement accessible à chacun dans la liturgie et les sacrements.

Le roman de Jean Chavot, Zéro avant Jésus-Christ (Conférence, juin 2020), est autobiographique. Le narrateur qui se raconte est un double de l’auteur : né dans une famille communiste, enfant de Mai 68, guitariste, chanteur, parolier, scénariste… Entre drogue et alcool, les amitiés sont plus durables que les amours. Une de ses compagnes l’emmène à Rome, dans sa famille très croyante. Il a toujours été fasciné par le religieux, les petites chapelles dans les campagnes, Dieu… Enfant, il allait au catéchisme en cachette. Il partage la sensibilité de ses amis italiens. Les épreuves d’un abcès cérébral qui le laisse plusieurs mois paralysé, puis d’une paternité qu’il assume émerveillé intensifient sa quête. Il parle avec des prêtres. Mais la conversion ne vient pas : « le sentiment de vie éternelle qui comble [s]es failles, recolle [s]es fractures et réunifie tous les morceaux [de lui-même] » se heurte en lui au « sentiment d’indignité qui se refuse au pardon ». Ce témoignage ne laisse pas indifférent et, en attirant l’attention sur ceux qui parviennent jusqu’au seuil sans réussir à le franchir ni à s’en éloigner, il complète ce qu’offrent Thibault de Montaigu et Sébastien Lapaque.

Au rayon des essais, celui de Philippe Herzog, intitulé La Trajectoire des religions dans notre histoire (ASCPE, janvier 2021), s’inscrit dans une proximité plus distanciée et plus théorique que le roman de Jean Chavot. La thèse est qu’est dépassée l’incompatibilité entre la foi et la raison, ou entre le catholicisme et les Lumières. Ces dernières ne sont pas plus exemptes de reproches que l’Église. Pour l’auteur, économiste de formation, qui a été député communiste au Parlement européen puis conseiller de Michel Barnier à Bruxelles et se reconnaît marqué par la pensée de René Girard, l’humanisme sécularisé repose sans l’avouer sur des valeurs chrétiennes, et les chrétiens se sont ralliés aux principes démocratiques et aux droits de l’homme qu’il a promus. Ces apports mutuels devraient permettre une coopération pour redonner un élan à la vie sans nier son tragique.

Le dernier livre d’Olivier Rey traite sous un tout autre angle de la place et du rôle de la foi dans la société. Gloire et misère de l’image après Jésus-Christ (Conférence, septembre 2020) part du constat de la prolifération littéralement cancéreuse des images, dont la réalité omniprésente se substitue à celle qu’elles sont censées représenter. Le christianisme l’a indirectement permis en reconnaissant leur puissance : non sans polémiques, il est vrai, il a reconnu en Orient qu’elles donnent en quelque sorte à voir ce que dit la Parole de Dieu, parce que l’art révèle plus que ce qui paraît. En Occident, la chrétienté latine ne s’est pas interrogée. La peinture est devenue de plus en plus réaliste, afin d’« exalter le mystère de l’Incarnation », et l’entreprise a débouché sur une occultation de tout mystère – ce contre quoi l’iconoclasme protestant s’est insurgé en vain. Il revient désormais à l’Église romaine de relancer la réflexion à la fois sur le pouvoir des images, sur l’art qui peut ou bien ouvrir au spirituel ou bien l’évacuer, et sur le besoin d’icônes (c’est-à-dire d’images suscitant la prière) dans la culture croyante. Ce livre est le dixième d’Olivier Rey, polytechnicien, officier de marine avant d’entrer au CNRS en mathématique puis philosophie (qu’il enseigne maintenant à l’université). Il a publié deux romans. Parmi ses essais, les deux précédents (et non moins stimulants) sont Leurre et malheur du transhumanisme (DDB, 2018) et L’Idolâtrie de la vie (Gallimard, 2020).

Le récent ouvrage d’Yves Chiron ne porte pas sur le rapport de l’Église au monde, mais sur un phénomène interne, comme l’indique son titre : Françoisphobie (Cerf, novembre 2020). Le paradoxe est que « le pape le plus apprécié hors de l’Église est le plus mal-apprécié au sein de l’Église ». Ses détracteurs sont vaticanologues, cléricaux, voire prélats et il y a même des cardinaux. En enquêteur rigoureux (journaliste et historien non universitaire mais réputé, et auteur de quelque vingt-cinq livres déjà), Yves Chiron examine une à une toutes les accusations portées contre le pape depuis son élection en 2013 et montre méthodiquement qu’il s’agit de fake-news, de procès d’intention ou de surinterprétations de phrases isolées de leur contexte, et que l’argumentation (quand il y en a une) manque de consistance. Parce que les critiques reposent sur des détails ou des questions de forme, l’examen des contentieux ne porte pour ainsi dire jamais sur le fond. On aimerait par exemple mieux comprendre les problèmes que pose le traité entre le Vatican et la Chine communiste. Mais Yves Chiron y a consacré son livre précédent : La Longue Marche des catholiques de Chine (Artège, 2019). En tout cas, ce travail est d’autant plus remarquable qu’il émane d’un catholique classé « traditionnaliste ».

Jean Duchesne

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