Marie au regard de l’histoire

Fiche de l’Observatoire Foi et Culture du mercredi 9 décembre 2020 sur Marie au regard de l’histoire.

Deux livres publiés récemment consacrés à Marie présentent chacun une histoire de la mère de Jésus. Les deux récits sont incompatibles, mais suivent en fait la même méthode consistant à sélectionner parmi les sources les données à même de conforter la thèse de chaque auteur.

James TaborLe livre de James Tabor, sobrement intitulé Marie, est certainement le plus provoquant. Le sous-titre, « de son enfance juive à la fondation du christianisme », cache l’intention de l’auteur. Il faut le traduire par « pourquoi le christianisme nous trompe sur Marie depuis 2000 ans ». Le point de départ de ce bibliste américain repose sur une vieille accusation : saint Paul aurait déformé et perverti le message de Jésus. Celui-ci enseignait la venue du Royaume, et c’est l’Église qui a pris sa place. Et l’auteur puise dans certaines découvertes archéologiques, les évangiles et quelques extraits des apocryphes les éléments qui viennent appuyer sa thèse, en évitant soigneusement de prendre en compte ceux qui s’y opposent. C’est la perversité de ce livre : se présenter comme une étude honnête voire historique en éludant les obstacles. Pour nous convaincre de sa bonne foi, l’auteur ne cesse de répéter qu’il travaille sur le sujet depuis 20 ans, et raconte à plusieurs reprises comment il a été associé à diverses découvertes. Ce storytelling opère une habile manipulation. Ainsi son vécu, qui est indéniable, devrait-il prouver sa thèse, qui l’est moins. À noter plusieurs erreurs historiques et chronologiques plus ou moins grossières, comme celle qui place Jean Damascène au IVe siècle, l’absence des études francophones, et plusieurs confusions sur la société juive de l’époque.

Avec cette méthode sélective et floue, cachée au lecteur, Tabor fait de la vie de Marie un roman de gare. Si l’on en croit le Protévangile de Jacques, elle aurait habité avec ses parents dans la ville de Sepphoris, en Galilée, à quelques kilomètres de Nazareth. Tabor ajoute que ce serait conforme à une tradition chrétienne du VIe siècle (note 9, p. 340). Toute sa méthode est déjà là : seules ces données, en phase avec sa thèse, sont retenues ; les autres sont rejetées, ou occultées. Inversement l’Évangile de Thomas est régulièrement cité comme source fiable, alors qu’il a été unanimement rejeté par les Pères. Marie, originaire d’une riche famille aristocratique de lignée royale, aurait donc été élevée dans un creuset multiculturel urbain mêlant le judaïsme et l’héritage hellénistique.

Marie aurait ensuite fréquenté Pantera, un mercenaire juif à la solde des Romains, dont elle aurait eu un fils, Jésus. Cette proposition est totalement anachronique avec la société juive de l’époque, et contradictoire avec le milieu noble supposé de Marie. Exit aussi l’immaculée conception et la virginité de Marie. La référence à Yeshu ben Pantera renvoie évidemment aux récits juifs du début du siècle, notamment la Tosefta ou le Discours de Celse pris à partie par Origène, qui font de Jésus un enfant illégitime. Selon Tabor, Pantera serait mort sur le limes du Rhin, selon les inscriptions d’une tombe découverte à Bingerbrück au XIXe siècle. Et il affirme avoir retrouvé la dépouille du vrai père de Jésus dans le musée de Kreuznach (p. 165-187). Faut-il le dire, cette identification, tirée par les cheveux, développée dans un livre précédent de Tabor, n’a guère convaincu les historiens et les exégètes.

La cohérence de cette paternité avec les fiançailles de Marie et de Joseph n’est pas interrogée. Marie aurait-elle trompé son fiancé comme le prétendront plus tard le Talmud et les Toledoh ? Joseph, architecte selon Tabor, l’a épousée bien qu’il soit de plus modeste condition, suggérant un mariage arrangé en urgence pour que l’honneur familial soit sauf. La suite de la vie de Marie est celle d’une épouse juive. Elle a sept enfants avec Joseph, qui serait décédé avant l’heure. Jésus, l’aîné, prend la charge de la fratrie. Architecte habitant à Nazareth, il part chaque jour travailler sur les chantiers de Sepphoris, alors en reconstruction. Lorsqu’il commence sa prédication, Marie et ses frères et soeurs l’accompagnent, jusqu’à sa condamnation et son exécution.

La suite de l’histoire de Marie, qui aurait joué un rôle central avec ses enfants au sein de la communauté naissante, aurait été occultée par les Pères de l’Église. Elle passe ses dernières années sur le Mont Sion, chez son oncle, Joseph d’Arimatie. Son corps repose selon Tabor dans le caveau familial redécouvert en 1980 à Talpiot, et qui mentionne entre autres Yeshu fils de Joseph, José, Myriam, Matthieu et Jude, fils de Yeshu. L’excellent John Meier a rejeté la crédibilité de cette hypothèse il y a quelques années en soulignant que ces noms étaient très courants à l’époque, et que ce tombeau creusé au VIIIe siècle avait été réaffecté.
Cette belle histoire serait digne d’un roman, mais telle n’est pas l’ambition du bibliste Tabor, qui affirme avoir fait oeuvre de science. Au-delà des multiples approximations et erreurs, le style du livre, et sa large diffusion, risquent fort de perturber les certitudes de certains croyants.

Pierre PerrierAvec le livre de Pierre Perrier, Marie, mère de mémoire, nous entrons dans un tout autre monde. Cette fois-ci, l’histoire de la Vierge est vue dans le prisme de la tradition orale de l’Église d’Orient. La méthode d’apprentissage oral des catéchètes, qui s’appuie sur l’usage des doigts des deux mains, devient une source historique. Les apocryphes sont considérés comme fiables, la version araméenne des évangiles n’a fait l’objet d’aucune évolution depuis le temps des apôtres, et le miracle est permanent dans la vie de Marie. Cette reconstitution est évidemment plus proche de la tradition chrétienne, mais à quel prix !

Pour Pierre Perrier, la naissance de Marie est miraculeuse, et dès l’enfance elle fait partie des servantes du Temple de Jérusalem. La très jeune Marie est enceinte de l’Esprit Saint alors qu’elle est fiancée au prince Joseph, un veuf d’âge avancé. Il l’épouse néanmoins et l’emmène en Égypte où ils se cachent en attendant la mort d’Hérode, avant de venir s’installer à Nazareth. Elle accompagne Jésus sur les routes, jusqu’au pied de la croix, force silencieuse et priante. Elle soutient ensuite les apôtres dans leur deuil, puis dans le lancement de leur mission. Elle se réfugie avec Jean à Antioche puis à Ephèse, avant revenir à Sion pour y vérifier le texte des évangiles dès lors canonisé. Perrier place la mort et l’assomption de Marie très tard, après le concile de Jérusalem, dont il minimise d’ailleurs l’importance. Puisque Marie est née en 20 avant notre ère et qu’elle a vécu 70 ans selon la tradition orale araméenne, elle meurt donc en 50. Son corps n’endure pas la destruction, et elle est aussitôt élevée auprès de son Fils.

Le livre de Tabor, largement diffusé, et celui de Perrier, diffusé très confidentiellement sont des histoires toutes les deux largement imaginaires. L’histoire de Marie reste à écrire.

Vincent Aucante

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