Edmond Michelet, la hantise des autres

Fiche de l’Observatoire Foi et Culture (OFC) du mercredi 28 octobre sur l’ouvrage : « Edmond Michelet, La hantise des autres »par Mgr Jacques Perrier.

Edmond MicheletEdmond Michelet est mort 9 octobre 1970, un mois après François Mauriac et un mois avant le général de Gaulle (1). À l’occasion du 50e anniversaire de sa mort, Mgr Jacques Perrier fait paraître une biographie enrichie de documents inédits, dont les messages échangés entre Edmond Michelet et sa femme Marie ainsi que le cahier que celle-ci a tenu en 1943 à partir du moment où elle a été sans nouvelles de son mari. Ce cahier qui n’a été ouvert qu’à la mort de Madame Michelet en 1990, révèle les angoisses d’une épouse et d’une mère, le courage dont elle s’arme pour traverser l’épreuve de la séparation et le combat spirituel pour rester ancrée dans l’espérance.

Né le 8 octobre 1899 dans une famille d’épicier, Edmond Michelet – qui ne passera pas son bac – a le profil d’un militant catholique de l’entre-deux-guerres, à cheval entre l’Action française (avec laquelle il rompt en 1927) et l’Action catholique dont il sera le responsable pour le diocèse de Tulle en 1933-1934. Attaché à la pratique religieuse et à la formation du chrétien et du citoyen, Michelet est à l’origine de nombreuses initiatives – création de cercles, animation de groupes – qui, malgré ses responsabilités comme courtier en alimentation et l’éducation de ses sept enfants, l’engagent pleinement dans la vie de la cité. Son destin bascule en même temps que celui de la France, le 17 juin 1940. Refusant l’armistice, il édite un tract, puisant dans Péguy pour appeler à une résistance qui sera aussi une croisade antinazie.

Les actions de résistance de Michelet (il est responsable de la Région 5 du mouvement Combat de Henri Frenay puis des Mouvements Unis de la Résistance) finissent par le faire « tomber ». Arrêté en février 1943, il est interné six mois à Fresnes avant de rejoindre Dachau le 15 septembre 1943. Responsable des Français du camp – il s’effacera devant l’autorité du général Delestraint lorsque celui-ci arrivera à Dachau (2) – Edmond Michelet y acquiert une autorité et une stature morale et spirituelle exceptionnelles. Lorsque le camp est libéré par les Américains, le 29 avril 1945, Edmond Michelet ne quittera les lieux qu’un mois plus tard. Immédiatement la vie politique le happe. Député MRP de Corrèze, il est surtout gaulliste et sera ministre des Armées (1945-1946) pour contrebalancer l’influence communiste (on a donné le ministère de l’armement à Charles Tillon). Battu en 1951, il continue de militer et sera sénateur de 1952 à 1959. Ses jugements sévères sur ses camarades démocrates-chrétiens, sa « fidélité » – un mot clef de son vocabulaire – au général de Gaulle lui permettront un retour à partir de 1958. Ministre des Anciens Combattants, ministre de la Justice en 1961 et 1962 – au moment où les affaires d’Algérie confrontent le ministre à l’instruction des demandes de grâce des condamnés à mort3 – membre du conseil constitutionnel entre 1962 et 1967, député du Finistère, ministre de la Fonction Publique et enfin ministre des Affaires culturelles dans le gouvernement Chaban-Delmas de la présidence Pompidou : le parcours de Michelet impressionne. Même si succéder à Malraux n’est pas simple pour le fils d’épicier – il dira lui-même « François Coppée succède à Pindare » témoignant par-là que son inculture n’est pas grande !

Mgr Perrier restitue par-delà les honneurs accumulés le fil rouge qui court tout au long de cette vie qui s’est consumée dans le service (Michelet meurt en fonction après avoir témoigné de sa grande faiblesse physique lors de l’hommage national à Mauriac le 4 septembre 1970) : « la hantise des autres ». Michelet a des convictions solides, un tempérament volontaire qu’accompagne son épouse. Le secret de l’homme cependant est spirituel. C’est le chrétien Michelet qui fait vivre le politique Edmond Michelet.

Grâce aux archives familiales auxquelles il a eu accès et grâce aussi à sa sensibilité et son ministère, Mgr Jacques Perrier laisse entendre la foi d’Edmond et Marie Michelet. Le livre est autant un livre d’histoire qu’un ouvrage spirituel. Il ne s’agit pas d’hagiographie, ni d’une admiration béate. À mesure qu’on avance dans le livre, on sent une attraction exercée par Edmond Michelet. L’exemple humain et politique est expliqué à la lumière de sa vie de prière, enracinée dans une pratique de l’eucharistie. Rarement dans un ouvrage qui répond aux exigences universitaires, il est donné de sentir l’action concrète que la messe peut avoir sur un homme et son engagement. À ceux qui, lorsqu’il était ministre, lui conseillaient de s’abstenir de communier en public lors d’une messe où il représentait le gouvernement de la République, il répondait qu’il avait couru suffisamment de risques à Dachau pour avoir le droit de communier où et quand il voulait !

La dernière étape Edmond Michelet fut celle de ministre des Affaires culturelles (juin 1969-octobre 1970) où il s’attacha à organiser le septième centenaire de la mort de Saint Louis. L’homme de foi ne s’effaçait jamais et sa foi avait été nourrie de ses lectures de Péguy, de Maritain, de Saint-Exupéry, des conseils du Père Maydieu et de l’amitié du Père Sommet. Edmond Michelet est bien une illustration de l’alliance de la foi et de la culture !

On le sait : la cause d’Edmond Michelet a été introduite à Rome après la clôture de l’enquête diocésaine. Quel qu’en soit le résultat, ceux qui ont croisé Edmond Michelet, notamment ses compagnons de souffrance à Dachau, ont reconnu en lui un saint, un juste. « Il réussissait à entraîner ses compagnons à ne pas exercer la seule liberté qui leur restait, celle de haïr » dira Jean Dannenmuller, un de ses codétenus. Michelet, quelques semaines avant sa mort, répétera à Rocamadour : « Nous ne voulons plus porter en nous le poids de la haine ». Jacques Perrier, le temps d’un livre, nous a restitué cette figure humaine qui s’était configurée dans le Christ souffrant au service des hommes dans la tempête de la barbarie nazie mais aussi dans la reconstruction d’une France et d’une Europe qu’il a voulu plus fraternelles.

Benoît Pellistrandi

  1. Signalons l’excellent livre de Xavier Patier, Demain la France. Tombeaux pour Mauriac, Michelet, de Gaulle, Paris, Le Cerf, 2020. Petit-fils d’Edmond Michelet (et donc cousin de Mgr Benoît Rivière), Xavier Patier propose un ouvrage très personnel dans lequel il médite sur ces trois grandes figures catholiques qu’il assimile aux trois vertus théologales (la foi pour Mauriac, la charité pour Michelet, l’espérance pour de Gaulle). Leurs disparitions concomitantes servent de point de départ à une réflexion attendrie sur les transformations religieuses, culturelles et politiques en France sur l’ensemble du demi-siècle. Xavier Patier refuse le discours réactionnaire et conservateur pour proposer au contraire une réflexion sur la responsabilité des catholiques dans le temps présent. Il s’appuie beaucoup sur l’oeuvre de Mauriac pour montrer « l’actualité » du catholicisme, non pas comme identité mais comme réalité transformant les consciences et les actes.
    2. Mais le général Delestraint, chef de l’Armée secrète, est exécuté sur ordre de Berlin le 19 avril 1945.
    3. Rien de plus utile que de lire en contrepoint à cette biographie, le travail que Benjamin Stora a consacré à François Mitterrand et la Guerre d’Algérie, Paris, 2010 repris dans Benjamin Stora, Une mémoire algérienne, Paris, Robert Laffont, 2020.