Une saison avec Claudel d’Emmanuel Godo

Fiche de l’Observatoire Foi et Culture du mercredi 17 juin avec Emmanuel Godo :  » Une saison avec Claudel ».

claudelIl y a parfois de tout-petits livres qui méritent autant d’attention que des ouvrages volumineux. C’est le cas de Une saison avec Claudel d’Emmanuel Godo. Ce sont 72 pages traversées par un beau souffle spirituel et poétique.

Au cours de l’été 2019, l’hebdomadaire La Vie, avait publié de courts articles d’Emmanuel Godo sur l’un des écrivains catholiques majeurs du XXème siècle, Paul Claudel. Car, dit Emmanuel Godo, « nous avons besoin de toute urgence de nous faire étriller par la puissante pensée d’un Claudel » (p. 14).

Ce petit livre est le fruit d’une connaissance approfondie, accumulée depuis de longues années, de l’œuvre tout entière de Claudel. Emmanuel Godo, enseignant et chercheur à Lille, avait déjà écrit, un magnifique ouvrage de 355 pages, en 2005, Paul Claudel. La vie au risque de la joie (Cerf).

Au fil des pages, Emmanuel Godo, propose les thèmes principaux de l’oeuvre de Claudel : la foi, la joie, l’amour, mais aussi le mal et la prière. Sans oublier notre besoin de vraie parole. Nous en avons besoin aujourd’hui « nous qui sommes saturés de discours, d’images et de simulacres » (p. 15). Pour Claudel, la parole poétique est féconde. Les mots du poète « agissent, déverrouillent les esprits et les coeurs pétrifiés par la peur et l’ignorance » (p. 61). Il n’est donc pas étonnant de constater que l’écrivain va consacrer les vingt-cinq dernières années de sa vie à commenter les livres de la Bible : « Commenter la Parole, dit Godo, l’écouter pour de bon, c’est “prendre Dieu au mot”, “se livrer intégralement et naïvement à la parole de Dieu”. La Bible n’a qu’un auteur dit Claudel, l’Esprit Saint » (p.53).

Godo rappelle évidemment l’événement qui a transformé la vie de Claudel, à l’âge de 18 ans, le jour de Noël. Ce fut une cette sorte d’« illumination », au moment où les enfants de la maîtrise à Notre-Dame de Paris ont chanté à Vêpres le Magnificat. C’était au temps du rationalisme triomphant, du scientisme et de la libre-pensée. Les maîtres à penser de l’époque s’appelaient Taine et Renan. Le mot « illumination » est le mot qui convient puisque la découverte de Rimbaud a précédé la conversion de Claudel. Le poète des Illuminations est la figure essentielle dans la naissance de Claudel à lui-même. Dans l’univers de Rimbaud, qu’il découvre au printemps 1886, il reconnaît un appétit de vivre et d’inconnu ainsi qu’une révolte contre un monde matérialiste (le milieu familial dans lequel Claudel a été élevé ne pouvait guère l’aider dans sa quête, entre la libre-pensée de son père et la religion étriquée de sa mère). Cette conversion poétique, grâce à Rimbaud a permis la conversion religieuse.

Dans le chapitre « croire », Emmanuel Godo fait allusion à un arbre d’Orient, le banyan, colosse végétal qui restera pour Claudel le symbole de son désir de vivre pleinement. Cet arbre « tire de toutes ses forces sur ses racines pour les emporter au ciel » (p. 19). Il est aussi le symbole de la dilatation du coeur. « Claudel refuse le faux enseignement du Connais-toi toi-même. Pour lui, ce n’est jamais par le dedans qu’on se connaît, mais par le dehors, par le choc de la rencontre avec l’autre, avec l’inconnu » (p. 21). Grâce à sa carrière diplomatique, Claudel va arpenter le monde et découvrir d’autres manières de vivre et de penser. Il refusera toujours les pensées qui amoindrissent, la complaisance avec soi-même, les vies et les oeuvres construites devant le miroir. À ce sujet, il est féroce lorsqu’il dénonce les « pourritures terrestres » de Gide et se moque de Barrès « enraciné dans un pot de fleurs ».

Emmanuel Godo aborde la question du mal chez Claudel. La grande leçon qui transparaît dans la dramaturgie de l’écrivain est donnée : le mal ne peut être en aucun cas notre horizon. « Car s’il devient le maître de nos vies, il nous prive de notre fin, qui est de connaître la joie. L’homme est fait pour la confiance, pour la vérité et pour la joie » (p. 44). Cette affirmation de Godo correspond bien à ce que voulait Claudel dans l’acte d’écriture : lutter contre le mal qui dissocie. Il faut éveiller la faim et la soif d’éternité : « Il n’y a que la Croix qui te la donne et ce Christ qui a vaincu la mort » (p. 46). En 1907, Claudel dit cette prière : « Seigneur, vous avez mis en moi un germe non point de mort mais de lumière » (Magnificat).

Le chapitre sur l’amour évoque brièvement l’expérience douloureuse vécue par Claudel. Habituellement les biographes ont montré comment, chez Claudel, la passion amoureuse et tumultueuse envers Rosalie Vetch (Rose), est restée une blessure ouverte et inguérissable. En revanche, Emmanuel Godo n’insiste pas sur cette blessure mais fait référence au Partage de midi, un drame écrit par Claudel en 1905, et qui exprime la passion chaotique avec Rose. Mesa, dans Le Partage de midi se tourne vers Ysé : « Tu n’es pas le bonheur ! Tu es cela qui est à la place du bonheur ! (…) et je t’aime, et je dis que je t’aime, et je n’en peux plus (…) Ô chère chose qui n’es pas le bonheur ! »

Une saison avec Claudel est un livre que l’on peut lire et relire. Il invite à pénétrer davantage dans le théâtre de Claudel : Le Soulier de satin, l’Annonce faite à Marie, Le Partage de midi…

+ Hubert Herbreteau

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