Catherine Aubin, sept maladies spirituelles
Fiche de l’Observatoire Foi et Culture du mercredi 1er mai 2019 sur « Les sept maladies spirituelles, Entrer dans le dynamisme des mouvements intérieurs » de Catherine Aubin.
L’homme occidental du XXIe siècle est malade intérieurement. Cette situation est d’autant plus paradoxale que certains pays ont atteint un incroyable niveau de développement, de confort. Mais le vrai bonheur appartient à une autre dimension. L’œuvre de Catherine Aubin propose un chemin de guérison. Journaliste bien connue de Radio Vatican, la sœur dominicaine enseigne aussi la théologie dans plusieurs universités, notamment à l’Angelicum à Rome et à l’Institut pastoral des Dominicains à Montréal. Nul ne s’étonnera donc que ses ouvrages soient pétris de références bibliques et de citations des Pères de l’Église. Mais le chemin qu’elle nous propose n’est pas purement intellectuel. Elle a en effet mis à l’honneur l’enseignement de saint Dominique sur la prière corporelle dans deux livres précédents : Prier avec son corps (2005) et les Fenêtres de l’âme 2010). En soulignant l’importance du corps dans la démarche spirituelle, elle s’est placée au cœur d’une des difficultés que rencontrent les chrétiens de notre temps. Le chrétien réconcilié avec son corps, appelé à ressusciter, voit s’ouvrir devant lui de nouvelles perspectives qui permettent d’écarter l’encratisme et ses dérives ascétiques mortifères. Ce recentrage sur l’homme tout entier, âme, corps et esprit, l’a conduite à proposer un chemin de conversion, commencé avec les Saveurs de la prière (2016) et Prier avec son cœur. La joie retrouvée (2017).
Les Sept maladies spirituelles sont le troisième volet de ce triptyque. La personne humaine inscrit sa vie dans le temps, elle change, évolue intérieurement, et se trouve inexorablement face à diverses tentations qui vont l’écarter d’elle-même, l’éloigner de Dieu et de la joie parfaite. Le chemin du croyant consiste à « avancer vers lui-même et vers son Seigneur ». Ces sept maladies qui entravent notre progression sont bien connues des Pères de l’Église : l’orgueil, la gourmandise, l’avarice, la luxure, la colère, la tristesse, l’acédie. Elles s’incarnent de diverses manières dans notre quotidien, dans notre manière d’être, et forment autant d’impasses qui nous ôtent la joie lumineuse. Catherine Aubin propose un « traité de jardinage intérieur », une approche pragmatique enracinée dans le monde contemporain, qui nous replace dans la perspective de l’espérance. En repérant ces voies sans issue et ses comportements déviants, nous pouvons trouver la force de les éviter, ou d’y renoncer. Et respectivement la découverte des mouvements de l’âme révèle la voie du salut qui mène à la conversion. Ne croyons pas, comme les pharisiens du temps de Jésus, que nous soyons épargnés par ces maladies. Elles nous habitent, que nous le sachions ou pas.
Sa méthode de guérison intérieure commence par nommer ces mouvements intérieurs qui nous perturbent. Nommer, c’est déjà prendre conscience de ce qui nous affecte, créer une distance par rapport à la tentation, et entrevoir ainsi une libération. Il faut ensuite faire le vide, accepter de se dépouiller soi-même. On ne s’étonnera pas de reconnaître dans cette étape un lieu commun enseigné par les mystiques et maîtres de toutes les religions. Comme l’enseignait saint François, la sainteté, c’est un vide que l’on découvre et que l’on accepte. Mais il faut aller plus loin pour rencontrer Dieu, jusqu’au plus profond de l’âme, dans le coeur. Pour cela, l’orant devra entrer dans un véritable combat spirituel, une lutte contre lui même, contre le monde et ses tentations, contre Satan enfin, le prince du mal. Pour « demeurer constamment dans la vigilance du coeur », nous devrons lutter contre le Mal intérieur qui nous assaille.
Catherine Aubin nous emmène dans le monde des maladies spirituelles en commençant par l’orgueil et son grand remède, l’humilité. Être humble, c’est reconnaître que Dieu est premier, et que nous ne pouvons rien sans lui. C’est aussi renoncer au fantasme de la toute-puissance humaine, à l’idée que l’homme se fait par lui-même. Avec l’humilité, nous acceptons l’humanité réelle, avec sa pauvreté, sa faiblesse. Ne croyons pas que l’ascèse et le jeûne suffisent à l’humilité. A l’extrême, ils peuvent renforcer notre orgueil. L’humilité est amour, pardon, service, don de soi. Avec l’humilité, le regard sur soi et sur l’autre se transforme. Catherine Aubin nous invite à « devenir coquelicot » : c’est la voie du non-jugement, de la bonté, de la bienveillance, et de la vigilance.
Au contraire l’orgueil est source de souffrance dans l’isolement du rendez-vous manqué avec Dieu. D’une manière générale, l’orgueil cache la vérité, il masque ce que nous sommes réellement en produisant une image valorisante de ce que nous croyons être. Ce décalage se décline aussi dans la pratique religieuse, chez ceux qui sont assurés de leur propre perfection et de leur pureté, comme le pharisien hypocrite de l’Évangile, dont la prière est pervertie par l’orgueil, et qui clame : « Mon Dieu, je te rends grâce par ce que je ne suis pas comme les autres hommes » (Luc 18, 11).
L’orgueil se décline de multiples manières dans nos vies. Catherine Aubin en développe les plus courantes : le pouvoir qui vous place au-dessus des autres dans une posture de domination, la séduction avec la vanité qui découle du succès de l’entreprise, l’autosatisfaction d’accumuler les mérites et ainsi de se sauver soi-même, l’autojustification qui donne la fausse certitude d’être dans son droit. L’orgueilleux se prend pour la référence, il se place au centre du monde, à la place de Dieu.
La gloutonnerie et l’avarice sont ensuite abordées. Elles ont des traits proches : pour repousser la peur du manque, qui génère une insatisfaction chronique, l’homme a tendance à engloutir ou à thésauriser sans limite. Catherine Aubin propose comme remède de cultiver la joie de donner, et d’entrer progressivement dans un véritable détachement.
La luxure repose sur l’idolâtrie du corps. Le plaisir charnel et sexuel devient une fin en soi. Si, comme le disait saint Paul, « le corps n’est pas pour la débauche » (1 Co 6, 13), il n’y a rien non plus de mal en soi dans le sexe. Sinon, Dieu aurait créé l’homme asexué. La luxure perturbe totalement la rencontre : « l’autre est réduit à une chose, une objet ou un animal », souligne Catherine Aubin. Il faut, pour se libérer du fléau de la luxure, purifier son regard, opérer une ascèse, s’habituer à la retenue.
La colère, tout comme la tristesse, sont des passions plus ambiguës. Elles peuvent en effet avoir une dimension positive, ce qui rend le discernement délicat. La colère des saints contre le mal est par exemple une colère vertueuse. De même Dieu se met régulièrement en colère contre l’homme infidèle dans l’Ancien Testament. Catherine Aubin a recensé 170 occurrences du terme aph dans la Bible, qui veut dire « colère ».
C’est presque toujours quand l’homme rompt sa relation à Dieu ou quand il fait le mal. De même la colère de Jésus chassant les marchands du Temple est bien connue (Jean 2, 13-16). Mais le visage de la colère est le plus souvent tout autre. Caïn est notre frère dans le péché lorsqu’il se met en colère contre son frère Abel, par jalousie. Marthe est notre sœur dans le péché quand elle se met en colère contre sa sœur Marie qui ne l’aide pas aux tâches ménagères et préfère rester à écouter Jésus. Qu’elle soit « rouge ou noire », « blanche ou froide », la colère est un mal qui ronge l’âme, et contre laquelle il est bien difficile de lutter car elle touche aux profondeurs de la personne, à ses émotions. La charité, la douceur, la patience, le pardon, sont autant de remèdes contre la violence de la colère.
La tristesse a elle aussi une nature ambivalente. Ainsi la tristesse d’Adam après avoir péché, la tristesse de Jésus devant Jérusalem, sont-elles exemplaires. On retrouve les larmes de componction, les larmes de
compassion, de réconciliation, de retrouvailles. Ce sont alors des signes d’amour, d’éveil, de naissance intérieure. Mais à l’inverse, il y aussi la tristesse du désespoir qui mine l’âme de l’intérieur, et la pousse dans le découragement, voire dans la dépression. Les causes en sont multiples, et parmi les remèdes conseillés, le plaisir procuré par la beauté artistique et la gratitude sont peut-être les plus accessibles.
Ainsi arrivons-nous à l’acédie, la dernière et la plus difficile des maladies spirituelles. C’est cet ennui destructeur qui ôte le goût de vivre, et surtout qui ôte à l’âme toute envie de prier, de chanter, de jouir de la spiritualité. L’acédie est un état permanent qui ronge tout toute la personne. Ses manifestations sont variables et contradictoires, ce qui n’en facilite pas le diagnostic. Tous les Pères de l’Église ont tenté de la décrire. Les remèdes sont nombreux, et nécessitent un accompagnement spirituel éclairé. On retiendra surtout le recours à la prière du corps par des gestes, à la manière de saint Dominique, qui permet d’ouvrir
une voie jusqu’au cœur. La richesse de ce livre, et son abord facile, en font un manuel utilisable par tous, laïcs et religieux, en communauté ou dans une lecture solitaire.
Vincent Aucante