Michel Bernard, Le bon cœur, La table ronde
Fiche de l’Observatoire Foi et culture (OFC) du mercredi 20 juin 2018 sur Michel Bernard, Le bon cœur, la table ronde.
Le dernier roman de Michel Bernard, paru début janvier 2018, raconte l’histoire de Jeanne d’Arc, cette paysanne de dix-sept ans qui sauva le royaume de France presque entièrement occupé par les Anglais. Michel Bernard n’a pas pour objectif d’apporter de nouvelles découvertes historiques. Il ne s’attarde pas non plus sur le mystère des voix divines dont la jeune fille se prévalait. Mais il fait une œuvre romanesque attachante, passionnante et pleine de poésie.
Pour autant, en réalisant ce roman, il n’a pas mis de côté certains travaux historiques récents : Jeanne d’Arc de Colette Beaune (éd. Perrin) ; Jeanne d’Arc, histoire et dictionnaire de Philippe Contamine, Olivier Bouzy et Xavier Hélary (éd. Robert Laffont, collection « Bouquins »). Chaque chapitre commence par la mise en scène d’un personnage de l’histoire : Jean de Metz, le premier à escorter Jeanne ; Charles VII de Valois, roi indissociable de l’épopée de Jeanne ; Jean d’Alençon ; Jean d’Orléans et… Pierre Cauchon.
La première phrase du roman nous plonge dans une drôle d’ambiance : « Cette fois, il la gifla. » L’incipit fait entrer d’emblée dans l’aventure extraordinaire de Jeanne. Pour Michel Bernard, dans Le Bon Coeur, tout commence avec cette gifle donnée par Robert de Baudricourt, Seigneur de Vaucouleurs, agacé par les propos extravagants de Jeanne. Passons sur la véracité du fait ! La gifle est le prétexte pour dresser un premier portrait de la jeune fille : « Elle n’était pas comme les autres. Grande, carrée d’épaules, bien campée sur ses jambes, le visage ouvert, les yeux vifs, le regard profond, intense » (p. 14). Robert de Baudricourt regrette son geste. Finalement, bouleversé, il offrira à cette fille qui entendait des voix venant du ciel depuis l’âge de douze ans une escorte pour qu’elle puisse se rendre auprès du roi Charles VII à Chinon.
Le Bon Cœur se présente comme la chronique d’une époque et nous fait chevaucher avec Jeanne à travers les sentiers, les bois, les plaines et les villes. Les paysages sont décrits avec poésie. Les descriptions de la nature ne sont pas simplement décoratives. Elles apportent une intensité au drame qui se joue. Jeanne et ses compagnons d’armes quittent Vaucouleurs et la vallée de la Meuse : « Voyageurs furtifs en vêtements sombres, ils recherchaient le couvert des arbres qui les dérobaient à la curiosité des regards et au fouet de la bise. Les sons et les mouvements de la nuit ne les inquiétaient plus. Leurs sens s’étaient habitués. Le hululement d’un hibou sur son territoire de chasse, suave et prenant, la solitude d’un chêne, son orbe découplé par la nuit, le vol errant d’une chauve-souris, étaient le signe d’amitié de la forêt. Ils avançaient comme des ombres dans un rêve, et c’était le rêve de la jeune fille » (p. 32-33).
Chapitre après chapitre, nous traversons un pays ravagé par la guerre (cf. p. 94-95). La population, au passage de Jeanne et de ses compagnons d’armes est tantôt enthousiaste mais prompte aussi à la violence.
Michel Bernard rejoint tous ceux qui de Jules Michelet à Georges Duby, de Joseph Delteil à Anatole France, de Dreyer à Victor Fleming et Otto Preminger, de Robert Bresson à Jacques Rivette ont retracé l’histoire de la paysanne de Domremy. Historiens, musiciens et cinéastes, et même le chanteur Gérard Manset (Jeanne dans le CD Long, Long Chemin) ont eu une passion commune pour Jeanne. Comme eux, mais avec un talent bien à lui, Michel Bernard nous donne de saisir le visible et l’invisible.
Certes, l’héroïne est une icône de l’histoire de France. Pourtant l’auteur de Le Bon Cœur s’éloigne de l’image sulpicienne souvent diffusée dans les esprits et du froid récit d’un destin extraordinaire. Il s’efforce plutôt de montrer comment les cœurs se dénouent au fur et à mesure que les villes sont délivrées. Les visages s’éclairent, les mains se lient, et Michel Bernard en peintre romancier en décrit les lumières et les ombres qui glissent sur la Loire. Jeanne met un peu d’humanité dans un monde brutal. Femme d’action, « chef de guerre et pieuse enfant » elle donne un beau témoignage de chrétienne. « La foi des fidèles s’approfondissait à la voir s’abîmer dans la méditation » (p. 93).
Le roman ne met donc pas seulement l’accent sur les faits de guerre, les détails concrets de cette chevauchée mais avant tout sur l’aventure spirituelle de Jeanne. Ainsi, avant de partir pour une autre destination, Jeanne se recueille, assiste à la messe, se confesse. L’arrivée à la cathédrale d’Orléans est remarquable de profondeur : « Son visage était radieux et recueilli en même temps, comme s’il absorbait toute l’animation joyeuse de la cohue. (…) Devant la cathédrale, Jeanne mit pied à terre. La foule s’était écartée et formait une sorte de demi-cercle sur le parvis. Elle confia son étendard et son épée à ses écuyers et s’agenouilla devant l’évêque qui l’attendait sur le seuil. Quand elle eut baisé l’anneau consacré, il la releva et la fit pénétrer dans l’ombre fraîche et profonde du sanctuaire. (…) Ceux qui n’avaient pas pu prendre place dans le bâtiment étaient restés autour de la cathédrale, heureux simplement d’être là, de respirer un air de fête dans la douceur du soir. Ils entendaient les chants franchir les portes et voyaient les vitraux rutiler entre les murs » (p. 86-87).
Le Bon Cœur est un roman. Il ne faut pas lui demander ce qu’il n’est pas : une enquête historique. Ce roman est aussi la description d’un itinéraire spirituel. Jeanne fait la volonté de Dieu telle qu’elle lui a été révélée. « Ses traits n’avaient rien de l’illuminée ou de la voyante, mais la calme assurance de celle qui sait » (p. 110). Le récit de son procès est poignant. Face à la mauvaise foi des accusateurs, Jeanne fait preuve de calme. Elle a le sens de la réplique. Le roman rappelle que Jeanne a toujours montré sa fidélité à l’Église. On connaît la fin tragique de la jeune femme, sur le bûcher. Ce n’est donc pas une surprise. Mais que ce chapitre est magnifique ! Jeanne meurt le 30 mai 1431, à Rouen, sur la place du Vieux-Marché.
Le roman de Michel Bernard peut faire partie des bagages au moment des vacances. Bien écrit, il montre comment la paysanne de Lorraine « changea le cours de l’Histoire en réveillant dans le coeur usé des hommes la force de croire et d’aimer » (4e de couverture).
Hubert Herbreteau