Jean-Marie Lustiger, entre crise et recompositions catholiques (1954-2007)

Fiche de l’Observatoire Foi et Culture (OFC) du mercredi 30 mai 2018 sur le Cardinal Jean-Marie Lustiger « entre crise et recompositions catholiques (1954-2007) »

2005, Le cardinal Jean-Marie LUSTIGER procédant à l'appel décisif des catéchumènes à l'église de la Madeleine, Paris (75), France.

Jean-Marie Lustiger, archevêque de Paris entre 1981 et 2005, est mort à Paris le 5 août 2007. Dix ans après sa disparition, l’Institut Jean-Marie Lustiger a réuni, avec la collaboration de l’École Pratique des Hautes Études et l’Association Française d’Histoire Religieuse Contemporaine, un colloque universitaire intitulé « Jean-Marie Lustiger entre crises et recompositions catholiques de 1954 à 2007 » qui a rassemblé 25 historiens et les contributions exceptionnelles d’Hélène Carrère d’Encausse, Secrétaire perpétuel de l’Académie française, de Gabriel de Broglie, chancelier de l’Institut et du cardinal André Vingt-Trois qui a conclu la manifestation. Ce colloque s’est tenu rue d’Ulm dans les locaux de l’École Normale Supérieure, à l’Institut de France, quai de Conti et au collège des Bernardins. Il a aussi été l’occasion de donner à entendre une facette peu connue de Jean-Marie Lustiger : celle du créateur de chants liturgiques.

Cette œuvre considérable a été partiellement présentée le vendredi 13 octobre 2017 lors d’un concert à Notre-Dame en présence du cardinal Vingt-Trois et de ses évêques auxiliaires. La création des chants liturgiques à Sainte-Jeanne de Chantal, rendue possible par la rencontre avec un jeune musicien talentueux, Henry Paget, titulaire de l’orgue de Sainte-Jeanne de Chantal, obéissait à trois objectifs : la mise en place de la réforme liturgique dont la vocation n’était pas le renoncement à la qualité artistique de la vie de l’Église mais à son approfondissement ; l’utilisation des paroles de l’Écriture pour permettre aux fidèles de s’en saisir et de les méditer ; enfin, la volonté de mettre en pratique une des orientations de la pastorale du concile qui appelait à la participation active des fidèles. Qualifiées de « prémonitoires » par le cardinal Vingt-Trois, ces créations de Jean-Marie Lustiger et de Henry Paget ont passé avec succès l’épreuve du temps et doivent être inscrites au patrimoine artistique et spirituel de l’Église de Paris.

Le programme du colloque, encore disponible (1) envisageait trois temps d’une carrière et d’un ministère qui sont aussi trois échelles différentes pour prendre la mesure de la réalité historique et spirituelle de l’Église. Jean-Marie Lustiger a déployé ses ministères dans une conjoncture historique et spirituelle marquée par une forme d’effondrement et de recomposition. Il est ordonné en 1954 et il meurt en 2007. D’abord aumônier d’étudiants, il observe la transformation des attentes de la jeunesse en essayant de lui apporter des éléments nouveaux de formation, tant spirituelle (notamment biblique) qu’intellectuelle pour comprendre le monde qui vient. Curé à Paris (Sainte-Jeanne de Chantal, 1969-1979), il applique les réformes liturgiques du Concile tout en restant concentré sur l’enjeu de la formation des laïcs. Évêque d’Orléans (1979-1981), puis archevêque de Paris (1981-2005), il conduit son diocèse tout en articulant sa pastorale aux défis de l’Église universelle.

Il revenait au cardinal Vingt-Trois de conclure un colloque ambitieux mais forcément incomplet. L’appel au successeur de Jean-Marie Lustiger obéissait à une double logique. D’une part l’Institut Lustiger est présidé par l’archevêque de Paris. D’autre part, le cardinal André Vingt-Trois, qui allait être atteint par la limite d’âge et qui allait présenter sa démission au pape François, était le collaborateur le plus proche du cardinal Lustiger. Sans lui demander des confidences, il apparaissait aux organisateurs de la rencontre que son témoignage, rendu possible par la disparition d’enjeux de pouvoirs, pouvait éclairer le parcours exceptionnel de Jean-Marie Lustiger. C’est comme jeune séminariste qu’André Vingt-Trois a connu le curé Jean-Marie Lustiger dès 1969, puis comme vicaire à Sainte-Jeanne de Chantal, comme vicaire général en 1981 avant d’être nommé évêque auxiliaire de Paris en juin 1988. Nommé archevêque de Tours en 1999, il revient à Paris comme nouvel archevêque après que le cardinal Lustiger a mobilisé sa capacité d’action pour obtenir cette nomination. Il y a là un « compagnonnage » – le terme est du cardinal Vingt-Trois – assez exceptionnel dans la durée, surtout quand on connaît le caractère parfois difficile de Jean-Marie Lustiger. Mais il n’est pas dans la personnalité du cardinal Vingt-Trois de s’abandonner à des anecdotes et des dévoilements indiscrets. En guise de conclusion, il a proposé une réflexion sur la tension intime qui habitait le prêtre et évêque Lustiger : « que faire pour que l’Église soit fidèle dans les conditions qui sont celles de l’époque ? ». Comme le souligne le cardinal Vingt-Trois, « le travail opéré sur ses activités et sur ses écrits, ne relève pas simplement d’une chronique de la vie personnelle de Jean-Marie Lustiger mais procède d’un regard sur une période de la vie de l’Église étendue sur un demi-siècle et caractérisée par le titre – et je crois par la réalité – : entre « crises et recompositions ». On peut dire d’une certaine façon que la vie du cardinal Lustiger a coïncidé avec cette période de l’histoire de l’Église qui a été en même temps, une période d’effondrement par rapport à une certaine image de l’institution ecclésiale telle qu’elle existait au moment de la Seconde guerre mondiale, et une période de reconstruction telle qu’elle a essayé de la mettre en oeuvre après le Concile Vatican II. Il se trouve que le ministère sacerdotal et épiscopal du cardinal Lustiger se situe à ce moment charnière d’un écroulement et d’une reconstruction » (2)

La conclusion du cardinal Vingt-Trois reprenait quelques propositions avancées par Denis Pelletier dans son introduction. L’hypothèse majeure est que Jean-Marie Lustiger est entré dans le christianisme de l’aggiornamiento de Vatican II avant Vatican II. Ses maîtres – Jean Daniélou, Gaston Fessard, Louis Bouyer, Henri de Lubac –, dont il lit les oeuvres et suit les enseignements pour certains, ont ouvert les voies de la
recomposition catholique. Par son histoire personnelle, il ne procède pas d’une famille chrétienne héritière de traditions régionales, spirituelles ou historiques. Il entre dans le christianisme non seulement avec la force du converti mais avec la nouveauté du christianisme. Sans doute peut-on ainsi comprendre le caractère inclassable de Jean-Marie Lustiger dans une cartographie des familles du catholicisme français. Et c’est ce caractère singulier qui le rend atypique et attirant. Mais il est une erreur de perspective qu’il faut éviter : Lustiger n’est pas réductible à Lustiger. Autrement dit, Lustiger ne bouleverse pas le catholicisme selon son humeur et son tempérament. Car « un élément constant du ministère du cardinal Lustiger, de même que son sens de l’Église était la conviction qu’on ne pouvait pas être chrétien sans la médiation du peuple de Dieu » (cardinal Vingt-Trois). Jean-Marie Lustiger est entré, avec son baptême dans une histoire de l’Église, qu’il a interprétée à la lumière de la signification profonde de son baptême et non selon un héritage sociologique et politique dont il ne se sentait pas solidaire. Aussi est-ce pourquoi la parole radicale de l’archevêque de Paris a tout à la fois dérouté nombre de ses interlocuteurs et séduit beaucoup d’autres.

Les actes du colloque seront publiés sous la direction de Denis Pelletier et Benoît Pellistrandi et reprendront l’intégralité des communications, enregistrées par KTO et disponibles sur le site de l’Institut Lustiger (www.institutlustiger.fr).

Benoît Pellistrandi

(1) https://www.paris.catholique.fr/colloque-jean-marie-lustiger-entre.html

(2) Transcription de l’intervention du cardinal Vingt-Trois le 14 octobre 2017 au collège des Bernardins.