Luther, Œuvres
2017 verra célébrés les 500 ans de la Réforme ou plutôt le souvenir du geste inaugural de Luther du 31 octobre 1517. La collection de la Pléiade qui avait, en 1999, publié un premier volume d’œuvres de Luther, commémore ce cinquantième centenaire avec la parution tant attendue du second volume. Les maîtres d’œuvre restent Marc Lienhard et Matthieu Arnold, aidés d’une équipe de 15 personnes. Autant le premier volume était relativement facile à penser – il s’agissait de donner à lire les grands textes fondateurs à commencer par les fameuses 95 thèses affichées à Wittenberg la veille de la Toussaint 1517 –, autant le second volume posait plus de problème dans la sélection d’écrits susceptibles d’intéresser un public pas seulement théologien ou expert. Les écrits de Luther sont nombreux et beaucoup sont des écrits de circonstances qui demandent un appareil critique considérable. En outre, après 1525 et la Guerre des paysans, Luther semble s’éloigner de cette inspiration de liberté et de paix qui le guidait pour se rapprocher du pessimisme et de l’intolérance. On pourra lire dans ce volume des textes essentiels de ce combat politique et religieux mené par le réformateur comme la Lettre aux princes de Saxe au sujet de l’esprit séditieux. Et aussi Exhortation à la paix et Contre les hordes pillardes des paysans. On y trouvera quelques écrits contre les juifs qui posent la question de l’antisémitisme de Luther (En quoi les chrétiens sont-ils concernés par Moïse ?) et qui tranche avec Que Jésus Christ est né juif (Œuvres, I, pp. 1183-1209).
Mais se limiter à cette lecture politique de la vie de Luther conduit à oublier tout le travail d’organisation d’une nouvelle Église. Luther travaille à une réorganisation de la messe (Préface à De la messe allemande et de l’ordonnance du service divin), s’emploie à une diffusion de son catéchisme (Le petit catéchisme) et écrit des cantiques appelés à jouer un rôle majeur dans la structuration de la piété évangélique (pp. 727-819).
Sans doute, ces textes (traduction de psaumes ou gloses sur le Notre Père) sont plus faciles d’accès car on y sent la piété sincère de cet homme brûlé par l’amour de Son Seigneur tandis que les textes polémiques renvoient d’abord à une actualité devenue histoire et soulèvent des débats religieux qui ne sont plus les nôtres. Pour autant, ils font partie de l’histoire de l’Église et les parcourir nous rappellent qu’il n’y a pas d’Église figée et que la Parole de Dieu ne cesse d’interpeller. Son interprétation est redoutable. Dans ces temps d’intégrismes, n’en avons-nous pas conscience ?
Découvrir Luther aujourd’hui, c’est pour les protestants retrouver l’origine de leurs Églises et pour les catholiques c’est retrouver le drame spirituel d’un de leurs frères. Dans la biographie qu’il lui consacre, Matthieu Arnold nous entraîne dans les débats intérieurs de Luther. Il est vrai que la documentation est riche et que les écrits et les propos du réformateur – notamment ses Propos de table si vivants – permettent d’entrer dans l’intimité d’une âme qui s’est débattue avec la question du Salut.
Nous avons la chance de vivre 500 ans après la Réforme et de pouvoir jeter sur cette période un regard historique, sans avoir à nous inscrire dans un camp comme ce fut le cas au moment des guerres de religion,
mais au contraire avec la sympathie de l’historien qui cherche à comprendre. La déchirure de l’Église fut douloureuse pour tous : et chacun de se penser fidèle à la vraie Église. Depuis, le temps a passé et l’œcuménisme nous a progressivement rapprochés sans abolir des traditions différentes. Aux anathèmes a succédé le dialogue. Il faut rendre grâce à la patience de Dieu dans l’histoire pour ce résultat et sans demander des redditions aux uns ou aux autres, entrer dans l’histoire de ce qui se passa à partir du 31 octobre 1517 et qui eut les conséquences si décisives pour l’histoire de l’Allemagne, de l’Europe, de l’Église… et de l’humanité.
Relire Luther aujourd’hui c’est rencontrer un chrétien de la fin du Moyen âge dont les angoisses spirituelles vont accoucher d’une reconfiguration religieuse (on peut le lire de manière limpide dans De la cène du Christ, confession, pp. 353-363). C’est donc retrouver un temps où la question du Salut était existentielle. Ce détour par l’histoire est aussi un moyen d’interroger notre foi.
Benoît Pellistrandi