Mgr Pontier à l’Observatoire de la laïcité : « nous contribuons au vivre ensemble et à la fraternité »

mgr-georges-pontier-archeveque-de-marseille-conference-des-eveques-de-france.-lourdes-france-reference-198628Présidé par M. Jean-Louis Bianco, l’Observatoire de la laïcité doit éclairer les pouvoirs publics sur la laïcité et proposer au Premier ministre toute mesure permettant une meilleure mise en œuvre de ce principe. Il est consulté par le Premier ministre ou les ministres sur des projets de textes législatifs ou réglementaires.
Mardi 10 mars, Mgr Georges Pontier archevêque de Marseille et président de la Conférence des Évêques de France y était auditionné.

Monsieur le Président, Madame, Monsieur,

Je vous remercie de m’avoir invité pour vous partager la perception de la laïcité en France aujourd’hui, ainsi que les propositions de l’Église catholique suite aux événements de début janvier 2015.

I. La Laïcité aujourd’hui en France ?

  • Je n’ai pas besoin de vous rappeler que l’Église catholique ne remet nullement en cause la laïcité de l’État, la laïcité de la République Française. La manière dont les relations institutionnelles entre les Églises et l’État se sont mises en place tout au long du XXème siècle a décliné à partir de la vie concrète le principe de l’article 1er de la loi de 1905 « la République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public ». Nous connaissons l’article 2 qui fait l’objet d’interprétations circonstanciées : « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. En conséquence, à partir du 1er janvier qui suivra la promulgation de la présente loi, seront supprimées des budgets de l’État, des départements et des communes, toutes dépenses relatives à l’exercice des cultes. Pourront toutefois être inscrites auxdits budgets les dépenses relatives à des services d’aumônerie et destinées à assurer le libre exercice des cultes dans les établissements publics tels que lycées, collèges, écoles, hospices, asiles et prisons ». Et nous pouvons y ajouter les aumôneries militaires.

La laïcité de l’État est donc un cadre législatif qui précise les relations entre l’État et les religions. Il y en a d’autres possibles, en particulier les Concordats, pour ce qui concerne l’Église Catholique.
Ainsi l’État dans ses administrations, ses réglementations, ses lois, demeure neutre, respecte les familles spirituelles, les religions de ses citoyens, précise un cadre législatif respectueux de la liberté de conscience, de la liberté religieuse et de celle de ne pas croire.

  • Vous le savez aussi, l’Église catholique observe, déplore, regrette, une forme de laïcisation de la société c’est-à-dire, la mise en œuvre du projet de cantonner l’expression des convictions religieuses des citoyens dans le seul espace privé, lequel devient de plus en plus circonscrit ! Ou du moins ce qui est défini comme espace public devient de plus en plus étendu. L’Église y voit un soupçon porté sur les religions, un jugement négatif et sévère, une crainte injustifiée et surannée.
    La radicalisation d’aujourd’hui n’est pas seulement le fait d’intégristes incontrôlables. Elle peut aussi trouver sa motivation et sa force par opposition avec une démarche « laïcisante » qui nie le fait religieux , lui interdit toute manifestation publique, assimile toute conviction spirituelle à une négation de la République. Cette laïcité est perçue comme agressive. Elle met en cause un élément fondamental de l’identité de très nombreux français de toutes confessions. Elle suscite des résistances le plus souvent passives, silencieuses, mais non moins profondes, et parfois collectives à travers l’appartenance communautaire qui heurte la tradition française.
  • Dit autrement, il y aurait un risque important de passer de la laïcité de l’État à une laïcisation de la société qui manifesterait une réserve, voire une crainte par rapport aux appartenances religieuses de ses concitoyens. Le risque consiste à favoriser la croissance des groupes radicaux ou fondamentalistes qui trouvent dans la valorisation de la posture de résistance un attrait auprès de personnalités fragiles, peu instruites, désorientées et se sentant rejetées de la société. De plus le manque de travail, les questions de logement, la marginalisation de certains quartiers favorisent cette radicalisation. Et certains peuvent facilement ou superficiellement se dire : Quel est ce pays qui ne nous accueille pas, nous tient éloignés du bien-être général et stigmatise notre croyance ? Quel est ce pays qui n’offre comme modèle qu’une réussite matérielle et comme mode de vie un hédonisme sans limite ? Quel est ce pays qui renie une partie de son passé et n’est pas capable d’offrir un cadre de vie respectueux de tous ?
    Je crois que les débats de société sur le port ostentatoire de signes religieux, sur le mariage, sur la fin de vie, sur les crèches de Noël, sur le nom des fêtes religieuses, sur le travail du dimanche, bientôt sur les jours fériés ne sont pas des débats qui libèrent notre société d’une emprise illégitime et dangereuse des religions, mais au contraire qui suscitent en chacune d’elles la constitution de réflexes identitaires immaitrisables et qui peuvent être violents, surtout si on se sent stigmatisés et que le dialogue soit ressenti difficile ou absent.

    Je me dois d’ajouter ici cette nouvelle offensive législative au sujet de la création d’un principe de neutralité religieuse qui devrait s’appliquer aux structures privées pour respecter la liberté de conscience des enfants mineurs éventuellement accueillis et tout spécialement pour celles recevant des subventions publiques. Lier subventions et neutralité religieuse est contraire à la Loi de 1905 qui n’interdit les subventions que pour les activités cultuelles.
    Et on sait encore qu’on envisage d’étendre le concept d’espace public aux universités et d’y interdire aux adultes étudiants le port de tout signe religieux. Cette création du concept de neutralité est bien le signe de cet esprit militant qui veut laïciser à tout prix la société. Ne suffirait-il pas de confier aux règlements intérieurs de ces institutions ou de ces associations le soin de préciser les règles de sagesse et de bon sens ? Pourquoi vouloir légiférer au risque de réveiller les plus vieilles querelles ?

    Il ne faut jamais oublier qu’on ne gagne rien à humilier une catégorie de citoyens, les membres d’une religion, voire même le fait religieux. L’humiliation prépare à plus ou moins long terme des violences revanchardes redoutables.

  • Un courant de pensée en France me paraît mal à l’aise par rapport à la persistance du sentiment religieux dont la mort a pourtant été annoncée depuis plus de 3 siècles. Ne faut-il pas prendre acte de sa persistance ? Ne faut-il pas aller jusqu’à penser que ce n’est pas un risque pour la République et que des croyants peuvent être de bons citoyens ? La guerre de 14/18 a permis de réconcilier ceux qui croyaient au ciel et ceux qui n’y croyaient pas. La laïcité de l’État donne un cadre de vie respectueux de tous les citoyens et de leur diversité de croyances, de philosophies. Une laïcisation de la société engendre un sentiment d’exclusion et de rejet qui produit l’inverse de ce qu’il recherche : la paix sociale et le vivre ensemble.
    Oui, je puis vous le dire, beaucoup de croyants, beaucoup de jeunes chrétiens, sont lassés par l’image qui est donnée du christianisme et des chrétiens. Beaucoup de jeunes chrétiens subissent encore des moqueries, des réflexions à l’emporte-pièce de la part d’enseignants bien éloignés de la laïcité demandée par l’État à ses fonctionnaires. La possibilité de créer des aumôneries en milieu scolaire s’est dégradée ou complexifiée. La possibilité d’obtenir des subventions pour des activités éducatives et de loisir (camps de vacances et autres) est soumise à l’ouverture d’esprit de responsables administratifs. Les départements religieux dans les bibliothèques ou les médiathèques offrent souvent des ouvrages nullement fondamentaux et sans consistances. Et on pourrait ajouter à cette liste qui ne se veut pas accusatrice mais douloureuse.
    Nous savons que nous n’endoctrinons personne, nous savons que nous contribuons de manières multiples au vivre ensemble et à la fraternité. Nous savons que nous venons en aide à une partie de ceux qui sont le plus en difficulté dans la société.
    Si un cimetière juif est profané on parle d’antisémitisme, et on a raison. Si 21 Coptes égyptiens sont assassinés parce que chrétiens, on parle de ressortissants égyptiens. C’est tout cela aussi qui fragilise notre société qui semble renier son passé et son aujourd’hui, qui n’a pas d’autre idéal à proposer qu’un individualisme moral, économique, social, qui est mortifère pour nos sociétés, qui contredit les solidarités nécessaires et le respect de tous. Nous entendons positivement les prises de conscience qui invitent à redonner des valeurs communes aux habitants de ce pays pour fortifier le désir de vivre ensemble dans nos profondes diversités.

    Permettez-moi une remarque avant de passer au second point que vous m’avez proposé. C’est au sujet de votre instance : Observatoire de la laïcité.
    Il joue peu à peu un rôle reconnu. Sa crédibilité tiendra, à mes yeux, au fait que vous arriverez à servir la juste laïcité de l’État sans prendre une part active en faveur de la laïcisation de la société. Votre tâche est difficile, exigeante et nécessaire. Votre responsabilité n’en est que plus grande. Vos avis, vos recommandations sont d’une grande importance et contribuent à l’élaboration d’une culture commune en ce qui concerne la compréhension du vivre ensemble dans une société de plus en plus plurielle.

    II. Suite aux événements de janvier 2015. Quelles propositions ?

    Les événements de janvier dernier nous ont marqués doublement comme citoyens et comme croyants.

    •  Comme citoyens, nous avons été heurtés comme toute la nation par cette barbarie qui s’est manifestée face à un hebdomadaire symbolique, ô combien, de la liberté d’expression, contre la communauté juive et contre les forces de police. Nous avons condamné ces actes. Nous l’avons fait aussitôt de nous-mêmes, en tant qu’Église catholique. La plupart des Evêques ont pu participer à la minute de silence et aux manifestations organisées dans beaucoup de villes de notre pays. Nous l’avons fait avec les responsables des autres religions. Nous avons valorisé le mot fraternité de notre devise républicaine.
    •  Comme croyants, nous avons été blessés par l’image la plus déformée de la croyance qui puisse être donnée : le fondamentalisme, l’extrémisme : tuer au nom de Dieu, tuer pour sauver Dieu, tuer pour plaire à Dieu, c’est insensé. Nous avons observé la souffrance et la peine des musulmans. Nous avons entendu les craintes de ceux qui ne sont pas croyants.
  • Que proposer face à cela ?
    L’ignorance profonde au sujet de sa propre famille spirituelle et de celles des autres nous paraît être un des facteurs les plus évidents dans la compréhension des radicalisations de tous ordres, dans celle de la transformation de certains individus en extrémistes et aussi dans les relations entre citoyens de philosophies et de religions différentes. Le développement des connaissances est donc un premier objectif : connaissance de l’histoire de notre pays, connaissance des religions et des éléments du judéo christianisme particulièrement, des philosophies diverses, acquisition d’un esprit critique, développement de l’usage de la raison. Cela est bien sûr utile pour transmettre la culture de notre pays mais c’est indispensable pour entrer dans une compréhension plus juste des autres, dans un dépassement des peurs irraisonnées, dans l’apprentissage réel d’un vivre ensemble.
    La manière d’organiser cela fait débat et peut faire débat. On le comprend. On veut éviter tout prosélytisme, tout endoctrinement et toute présentation des religions comme seulement un fait culturel du passé. Le rapport de Mr. Régis Debray, voici 10 ans a proposé un enseignement du fait religieux. Il a semblé préférable dans un premier temps de ne pas en faire une matière particulière. Il paraissait meilleur que cet enseignement passe à travers celui des matières diverses : histoire, littérature, philosophie, SVT, biologie, etc. Cela supposait bien sûr que les enseignants y soient préparés et qu’ils le soient de manière empathique et non soupçonneuse. En voyant comment peu a été fait en ce domaine, on peut se demander si cela était réaliste et possible. Revient alors l’hypothèse d’en constituer une matière particulière. Cette question mérite débat et réflexion. La question de la formation des enseignants se pose dans l’un et l’autre de ces choix. On pourrait penser que s’agissant de la formation d’enseignants, la participation de formateurs appartenant à ces grandes familles religieuses et philosophiques puisse y être envisagée selon des critères et des exigences à préciser. Quelqu’un qui connaît bien une religion et en vit n’est pas nécessairement prosélyte et dénué de l’usage de la raison. Cela passe aussi par la qualité des outils pédagogiques utilisés comme supports à cet enseignement. Permettez-moi de rappeler que l’enseignement catholique prend des initiatives en ce domaine et qu’un certain nombre d’écoles ayant des pourcentages élevés d’élèves musulmans en particulier sont des lieux d’apprentissage du vivre ensemble pour eux et leurs parents, grâce à une meilleure connaissance les uns des autres et au respect mutuel.

    • Manifestement l’insertion de l’Islam dans notre société pose un problème politique et un problème culturel. C’est un défi essentiel. Il ne m’appartient pas d’aborder le problème politique, même si on voit bien qu’il se pose d’abord à l’islam pour trouver les contours d’une représentation crédible et efficace et ensuite à l’État pour peser ce qui relève des exigences du respect de l’ordre public.

    Nos relations avec des responsables de cette religion, nationalement et localement nous font percevoir qu’un débat sur ces sujets s’est ouvert entre eux et que de plus en plus de leaders peuvent désormais s’exprimer sur l’urgence pour l’Islam de relire son texte fondateur et ses pratiques et sur les enseignements donnés en son nom.
    Notre histoire peut nous permettre surement de les aider à mieux comprendre la culture de notre pays et la pratique de la laïcité. Nous le faisons localement dans des rencontres et colloques, trop peu nombreux. Nous le faisons dans plusieurs lieux de France, souvent à partir des universités catholiques en proposant des formations voire des diplômes universitaires intitulés par exemple : Religions, société et laïcité. Nous le faisons encore en offrant des modules de formation pour des agents de collectivités ou d’ entreprises afin d’offrir des éléments de formation pour mieux comprendre l’Islam et ainsi mieux être à même de gérer des équipes composées de personnes de religions différentes.

    • Pour notre part, Église catholique, nous sommes persuadés que le seul chemin possible pour les bonnes relations entre personnes de religions différentes est celui du dialogue interreligieux. Nous nous y employons de manière modeste mais réelle avec des Imams et des associations musulmanes comme avec les membres d’autres religions. Nous encourageons les catholiques à pratiquer positivement le dialogue de la vie, du travail ensemble, de l’engagement commun dans le tissu associatif particulièrement. Soutenir et favoriser cela paraît nécessaire aujourd’hui. Nous nous efforçons de donner à nos fidèles une plus juste connaissance de l’Islam et des textes de l’Église sur ce même dialogue.
    •  Ne peut-on pas penser, au-delà de toute appartenance religieuse, qu’il y a encore tout un travail de réconciliation des mémoires à opérer. Beaucoup de nos concitoyens sont marqués à tort ou à raison par l’histoire qu’ont vécue leurs ancêtres du temps de la colonisation. Des blessures culturelles existent plus profondes qu’on ne peut l’imaginer à première vue. D’autre part le regard posé sur les personnes de religion musulmane est ici, en France, influencé par le contexte international, notamment les exactions commises par « Daesch » et « Boko-haram ». Il est nécessaire et urgent, afin d’éviter tout amalgame, de développer une juste connaissance des religions et que chacune puisse s’interroger : « Que dit-on de l’autre dans les diverses traditions ? Que transmet-on à nos enfants ? »
    • Il faut valoriser les exemples nombreux d’intégrations réussies de la part de français de confession musulmane et le faire de manière respectueuse et juste.
    • La perspective de développer le service civil est sûrement à encourager et à rendre possible au maximum. Compte tenu de la diversité religieuse, souvent présente dans les lieux où ce service civil est accompli, il apparaît important de préparer les jeunes volontaires à accueillir cette diversité plutôt qu’à l’ignorer au nom d’une laïcité mal comprise. Cela doit bien sûr s’accompagner du développement de l’instruction civique et de la connaissance des valeurs et des codes de vie qui régissent notre pays.
    •  Il faudrait aussi poursuivre une réflexion sur le rapport entre droits et devoirs, exercice des libertés et sens des responsabilités, critiques et respects, militances et patiences, convictions et dialogues.

    Voici quelques propositions qui ne prennent pas en compte les responsabilités plus spécifiques relevant de l’État en ce qui concerne la sécurité et la lutte contre les fondamentalismes ou encore ce qui relève d’une politique familiale encourageante et d’un accès au travail et au logement mieux facilités ou enfin de l’aménagement du territoire pour éviter la concentration de populations en difficultés dans les mêmes zones d’habitation au risque de constituer de véritables ghettos.
    Tout cela demande une grande implication de toutes les forces de la nation. Tout cela demande un état d’esprit ouvert, confiant, courageux, bienveillant aussi.
    Notre pays a su montrer sa cohésion face au danger des extrémismes fous. Le danger qui nous guette ne vient pas que de l’extérieur du pays. Il vient aussi de l’intérieur, du manque de perspectives, du manque de transmissions, du manque de projet ou d’idéal : quelle vision de société poursuivons-nous ? Quels liens entre citoyens voulons-nous vivre et promouvoir ? Quelles valeurs communes pouvons-nous énoncer et transmettre ? Quelle conscience et quelle recherche du bien commun nous habitent-elles ? Quelle conception de la nation possédons-nous ? Quelle vision de l’homme guide notre nation? L’élaboration de réponses à ces questions ne peut se faire qu’avec la participation de toutes les familles de pensée et les religions ne sont pas sans ressources pour y prendre leur part.
    Notre pays a su traverser de grandes épreuves. Il saura le faire une fois encore pourvu que nous le fassions les uns avec et pour les autres.

    G. Pontier

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