La France et l’Allemagne prennent ensemble leurs responsabilités

Francoall

1. En signant le Traité de l’Elysée, le 22 janvier 1963, la France et l’Allemagne ont voulu sceller entre elles une union étroite. Nos deux pays entendaient ainsi pérenniser le processus de réconciliation entamé dès la fin de la Seconde Guerre mondiale. Nous saluons avec joie et avec une profonde gratitude la résolution de nos deux peuples à s’engager, avec autant de conviction, sur cette voie de la réconciliation. Ainsi a-t-il été possible de mettre fin à des siècles de conflits et de guerres entre nos deux pays et entre nos deux peuples. Ainsi ont été affermies les bases d’une Europe unie, en paix dans ses frontières et capable de contribuer à la paix dans le monde.

2. Par le Traité de l’Elysée, la France et l’Allemagne voulaient maîtriser leur passé. Elles voulaient aussi construire ensemble leur avenir. Afin d’obtenir des effets durables, le Traité a créé des institutions. Celles-ci ont un double objectif : promouvoir l’union entre les Etats et l’union entre les citoyens. Grâce à des consultations régulières, les gouvernements se sont engagés à dialoguer aussi durant les phases difficiles. Chacun des deux pays a décidé de promouvoir l’apprentissage de la langue de l’autre. Par exemple, l’Office franco-allemand pour la jeunesse, la chaîne ARTE et de nombreux jumelages ont permis de multiples rencontres et favorisé une prise de conscience réciproque. Ainsi se sont rapprochés Français et Allemands, grâce à la multiplication des contacts humains.

3. Au fil du temps, ce qui pouvait sembler exaltant dans ce rétablissement de rapports amicaux entre Français et Allemands a pu céder la place à une sorte de « coexistence de routine », privée d’enthousiasme, y compris en ce qui concerne l’Union européenne. Pour cette raison, nous souhaitons que le 40e anniversaire du Traité de l’Elysée soit l’occasion de lier encore plus intimement la France et l’Allemagne. Nous espérons que les gouvernements de nos deux peuples sauront trouver ensemble des solutions novatrices. Mais nous savons aussi que ce processus engage bien plus que des démarches officielles. Tous les citoyens, toutes les institutions et toutes les associations qui sont à l’œuvre dans nos sociétés doivent approfondir les contacts déjà existants et poursuivre le processus de compréhension mutuelle entre la France et l’Allemagne. Chaque génération doit comprendre l’enjeu que représente le fait de vivre cette fraternité réconciliée.

4. Nous encourageons par conséquent nos gouvernements à poursuivre avec constance sur la voie de la concertation et sur celle – qui a obtenu bien des succès par le passé – des initiatives européennes conjointes. Les différences entre la France et l’Allemagne sont souvent représentatives de différences entre de nombreux Etats européens. Si la France et l’Allemagne parviennent à synthétiser leurs différences de façon féconde, de nombreux autres Etats européens parviendront eux aussi à suivre la voie ainsi tracée. Nous nous félicitons en particulier de ce que nos gouvernements collaborent étroitement à ce projet capital de réforme qu’est la Convention sur l’avenir de l’Europe.

5. Nous sommes conscients que la France et l’Allemagne se caractérisent par de nombreuses différences qui ont façonné leur identité respective. On ne saurait passer sous silence leurs expériences différentes au plan historique, dans leurs relations avec leurs voisins et le monde, les processus différents qui ont conduit à l’instauration des deux Etats, les deux langues et aussi, il faut bien le dire, deux modes de vie différents. Nous voyons dans ces différences une source enrichissante. Chaque fois que ce point de vue a réussi à s’imposer, la France et l’Allemagne ont joué un rôle phare dans l’Union européenne.

6. Nous savons aussi que l’accueil de l’Evangile aux premiers siècles de l’ère chrétienne a fondé une culture conjointe qui unit nos deux peuples jusqu’à aujourd’hui. L’inviolabilité de la dignité humaine, la reconnaissance de la liberté, la volonté de travailler à la solidarité et à la justice sont des valeurs qui, selon nous, s’enracinent dans notre statut de créatures de Dieu, tel qu’il s’est révélé à nous en la personne de Jésus Christ. Jusqu’à nos jours, ces valeurs ont inspiré le modèle européen de société. C’est sur leur base que nous pouvons aujourd’hui continuer le processus d’intégration. L’Union européenne est, en effet, avant tout, une communauté de valeurs.

7. L’Europe doit contribuer à ce que le monde développe un ordre régi par le droit à l’instar de celui dont l’Union Européenne veut faire sa réalité. Pour nos peuples, l’Union européenne fait œuvre de paix. Il faut qu’elle soit artisan de paix pour d’autres parties du monde, par une politique commerciale et financière plus juste, par une politique étrangère conjointe, par une politique de développement intensifiée et par une politique de sécurité mieux coordonnée.

8. Nous aussi, représentants de l’Eglise catholique, nous voulons apporter notre contribution à la réconciliation et à la construction d’un avenir commun pour les peuples d’Europe. L’Eglise catholique encourage depuis longtemps des contacts multiples et étroits, par exemple entre diocèses voisins le long de notre frontière commune, mais aussi entre diocèses d’autres régions. Nous souhaitons intensifier ce processus par des contacts plus soutenus entre paroisses, écoles, mouvements et associations. Nous souhaitons également un approfondissement du dialogue théologique face aux nouveaux défis pastoraux que nous pose l’évolution de la société.

9. Nous avons tenté, au cours des décennies passées, d’apporter notre contribution, dans les rencontres internationales, préalables décisifs à l’instauration de la confiance, ainsi que dans le domaine de l’aide au développement. Nous voulons maintenant réfléchir à la façon dont nous pourrons, ensemble, contribuer au plein développement de nos activités futures. Ce n’est qu’ensemble que la France et l’Allemagne se maintiendront à la hauteur de leurs responsabilités, pour le bien de leurs citoyens, pour l’Europe et pour le monde

Paris / Bonn, le lundi 20 janvier 2003

Monseigneur Jean-Pierre Ricard,
Archevêque de Bordeaux
Président de la Conférence des évêques de France

Cardinal Karl Lehmann,
Evêque de Mayence
Président de la Conférence des évêques d’Allemagne