Legs : que vais-je laisser derrière moi ?

Songer à ce qui restera de nous revient à penser par là-même que nous sommes de ce qui appartient au passé. Nous envisageons notre héritage comme les vestiges laissés aux générations présentes et futures des personnes qui les ont précédées. Mais la réalité ne relève pas d’une telle rupture. Laisser un héritage, ce n’est pas seulement laisser une trace et un souvenir de son passage. Offrir son héritage, c’est participer activement à la postérité.

Nous esquissons, au travers de nos existences des travaux, des missions, et des principes en lesquels nous croyons. Par notre héritage, nous ne faisons alors pas que léguer et enrichir celui qui reçoit. Nous offrons à l’héritier d’accomplir, de réaliser ce que nous avons mis notre cœur à réaliser tout au long de notre existence. L’héritier n’a donc rien de passif lorsqu’il reçoit un héritage. Il reçoit dans un même temps le devoir de mener à terme les esquisses que notre passage sur terre a dessinées. Perpétuer une tradition au travers d’un héritage, c’est faire prolonger au-delà d’une existence individuelle les principes que nous faisons nôtres, vers un partage dans le temps et l’altérité de ceux-ci. Lorsque nous léguons ce qui nous reste, cela ne s’arrête pas à un vestige matériel. Cela constitue une demande de prise en charge des valeurs que nous souhaitons voir persister dans le temps. Chaque transmission sera alors l’occasion d’une consolidation de ce que nos ancêtres souhaitaient pour nous et ceux qui nous suivront. Quand je laisse ainsi mon héritage derrière moi, je participe à une chaîne de consolidation et de
création de souhaits pour l’humanité entière. Ce que je laisse derrière moi ne sera donc pas de l’ordre de ce qui se conserve, mais de l’ordre de ce qui s’accomplit.

Cette photo ne vous dira rien.
C’est juste celle d’une assiette garnie de pains d’amandes. Ce n’est pas une photo tirée d’un magazine, c’est celle des pains d’amandes que Pia a fait comme Mamie, ma maman, en faisait chaque année à l’approche des fêtes. La recette est écrite – c’est son écriture, belle et déliée qu’elle a gardée jusqu’aux jours où sa mémoire a commencé à lui faire défaut – dans un carnet à spirale, tout simple, acheté à la librairie-papeterie du village. Maman y avait recopié, il y a une dizaine d’années, ses principales recettes : les pains d’amandes, les gaufres, la tarte aux poireaux Tante Anne-Marie…
L’ancien carnet était usé et tout disloqué par le temps. Chaque année, nous nous régalons en mangeant les pains d’amandes…de Mamie.

Jean-François

Léguer en témoignage de sa foi

Une vie est longue, à vue humaine, quand elle commence… Mais il arrive un jour où l’on se prend à compter précisément les jours. Aux approches de l’hiver de nos vies, qui ne se demande pas ce que vont devenir nos biens, grands ou petits, nos avoirs, nos objets, nos chers souvenirs. Qui vais-je gratifier ou… encombrer ?
Mettre en ordre sa succession au moyen d’un testament est un service rendu à tous, à soi-même autant qu’aux proches, ayants-droit ou dignes de faveur. Souvent, ma paix intérieure et ma  tranquillité d’esprit seront à ce prix. Et m’informer auprès d’un notaire ou du service donations et legs d’une association dont les buts reflètent mes préoccupations, dans le cadre de leur habilitation à la reconnaissance d’utilité publique, apparaît comme la première chose à entreprendre dans la mise en œuvre de ce parcours. Le chrétien n’ignore pas que les saintes Écritures où sa foi se condense ont pour nom Ancien et Nouveau Testament. Dieu lui-même s’engage vis-à-vis de nous par un « testament » qui a la force d’une loi sacrée que rien ne
peut venir abroger. L’épître aux Hébreux (He 9, 15-17) nous redit que la passion et la mort de Jésus stipulaient un legs à l’humanité par la voie d’un testament divin qui prit effet réellement lorsque l’homme-Dieu rendit l’esprit sur la Croix. Ainsi, Jésus nous a-t-il transmis la «vie qui ne meurt plus». Un Père de l’Église, au 3e siècle, saint Cyprien de Carthage, dans son traité sur la condition mortelle de l’homme, évoque la compagnie jubilante des apôtres, des prophètes, des martyrs et des vierges que rejoignent tous ceux « qui ont accompli la justice en donnant aux pauvres nourriture et aumônes et qui ont observé les préceptes du Seigneur en transférant leur patrimoine de la terre dans les trésors du ciel ».
La route qui s’ouvre devant nous n’est donc pas celle, obscure, de la fosse (psaume 48), mais celle de la bienheureuse lumière déjà chantée par le cantique d’Anne (1 Samuel 2). Mon testament n’est pas la signature ultime d’un condamné à mort, mais le témoignage éloquent d’une espérance de la foi, d’une volonté de continuité de la mission de l’Église par transfert vers elle du tout ou partie de mes biens subsistants, enfin d’une action de grâce reconnaissante pour la joie partagée avec les frères, dans les épreuves comme dans les jours fastes. Quand vient le soir, comme sur la route d’Emmaüs, je prie Jésus de demeurer pour la fraction du pain et de m’aider à lui dire : « Tu peux laisser ton serviteur s’en aller en paix selon ta parole » (Lc 2, 29).

Spirituel et matériel vont de pair

À la question « Qu’est-ce que la foi ? », nous pouvons répondre qu’en son fond, c’est une attitude de gratitude. Notre foi constitue une réponse à l’acte de don immense d’une personne, que nous appelons Dieu. Cette attitude de fond transparaît dans de très nombreux passages des Écritures : « De tout mon cœur, Seigneur, je te rends grâce » (Ps 137, 1)
Jésus va hériter d’une très haute conception de l’aumône qui se développait dans la communauté juive depuis deux siècles. Elle s’appuyait sur des versets tels : «Les trésors mal acquis ne profitent jamais mais l’aumône délivre de la mort » (Pr 10, 2). L’aumône fait réellement entrer dans la vie de Dieu. Nous sommes tous des débiteurs de Dieu et, si nous pouvons, ne serait-ce qu’un petit peu, faire de lui notre débiteur, nous y gagnons la vie éternelle. C’est par le don que l’on acquiert la vie (cf. Tb 4, 7b-10 et 12, 7-9). « Souvenez-vous de ces paroles que le Seigneur Jésus lui-même nous a dites : “Heureux le donner plus que le recevoir!” » (Ac 20, 35).
Luc semble résumer dans cette maxime toute la vie de Jésus, à la fois toute son attitude existentielle et son rapport aux biens. Toute la vie de Jésus est sous le signe du don : le don concret financier aux pauvres et le don de soi – le don de sa personne – qui ne peut pas en être séparé. C’est pourquoi Jésus a admiré la pauvre veuve qui versait deux piécettes dans les troncs du Temple (cf. Mc 12, 41-44). Elle unissait ainsi, en un seul acte, amour de Dieu et du prochain.

La communion spirituelle ne peut donc être séparée de la communion matérielle. Pour Paul, dès le début, le partage concret des ressources appartient à la nature même de l’Église. L’universalité de l’Église se traduit dans un partage des biens : Jésus est mort pour tous. Cette offrande matérielle est comme un sacrement – le signe visible et tangible – d’une communion spirituelle. Mais Paul ose lier ce geste financier à la vie et à la mort du Christ lui-même : « Vous connaissez en effet la générosité de notre Seigneur Jésus Christ qui, pour vous, de riche qu’il était, s’est fait pauvre, pour vous enrichir de sa pauvreté » (2 Co 8, 9). En donnant pour la communauté de Jérusalem, les chrétiens de Grèce honoraient leur baptême. Pour Paul, la solidarité entre chrétiens est le signe concret de l’appartenance à un même corps. Elle passe par la prière les uns pour les autres, par l’accueil de tous et par une solidarité matérielle financière concrète. C’est dans cette démarche de foi que s’inscrit le legs à l’Église. Il s’agit d’imiter la générosité des premiers chrétiens qui, eux-mêmes, étaient inspirés par la générosité du Christ qui les appelait au partage effectif de leurs ressources spirituelles et matérielles.