Les rendez-vous de la synodalité

Le père Étienne Grieu présente le processus synodal de l’Église catholique en cours à la fois en esquissant ses basses théologiques et historiques et en posant des questions décisives, y compris aux autres Églises à son sujet.

Centre jésuiteLa question de la synodalité est particulièrement d’actualité dans l’Église catholique, du fait du synode en cours. Il s’agit, comme le dit le document préparatoire, « de redécouvrir le visage et la forme d’une Église synodale où chacun a quelque chose à apprendre. Le Peuple fidèle, le collège épiscopal, l’évêque de Rome, chacun à l’écoute des autres et tous à l’écoute de l’Esprit Saint, l’Esprit de Vérité, pour savoir ce qu’il dit aux Églises » [1]. Voilà une très belle manière de présenter la synodalité, comme une dynamique qui concerne tous les chrétiens, et les invite à apprendre les uns des autres. Le même texte donne une définition plus précise de la synodalité : « la synodalité est bien plus que la célébration de rencontres ecclésiales et d’assemblées d’évêques, ou qu’une question de simple organisation interne à l’Église ; elle désigne le ‘modus vivendi’ et ‘operandi’ spécifique de l’Église Peuple de Dieu qui manifeste et réalise concrètement sa communion en cheminant ensemble, en se rassemblant en assemblée et par la participation active de tous ses membres à sa mission évangélisatrice. Ainsi s’imbriquent ce qui constituent les piliers d’une Église synodale : communion, participation et mission » [2].

Beaucoup plus qu’un simple processus qui s’étale sur deux ans, c’est donc la manière de vivre en Église qui est sur la sellette. Et sans doute faut-il mettre cela en perspective avec l’événement du concile Vatican II. On a affaire ici à une étape majeure dans la réception de ce concile.

Il faut reconnaître que l’Église catholique est passée par une phase de son histoire (de la fin du Moyen Age au XIXe siècle) où sa dimension synodale a été minorée. Que nous est-il donc arrivé, pour que nous ayons aujourd’hui à redécouvrir celle-ci ?

On a assisté, dans l’histoire de l’Église, à une sorte de séparation entre les clercs et les laïcs. Des facteurs culturels ont joué : la langue latine qui était celle de l’Église échappait à une large partie de la population. Des raisons politiques également : le souci de soustraire l’Église à l’influence des princes et des rois. Mais cela a débouché sur une perte de confiance dans les capacités des fidèles à apporter leur contribution pour le travail de discernement qui concerne l’Église. L’insistance sur sa dimension hiérarchique a conduit à reporter cette responsabilité sur les seuls clercs, avec à leur tête la figure du pape qui a pris beaucoup d’importance. C’est ici la gouvernance de l’Église qui est en cause.

Aux premiers facteurs explicatifs invoqués, d’ordre culturel ou politique, il faut, je crois, ajouter des éléments théologiques : à partir de la fin du Moyen Age, nous en sommes venus à penser de plus en plus le salut (et donc la vie chrétienne) d’un point de vue individuel. Il est plus difficile de faire vivre une Église synodale – où chacun a conscience qu’il a besoin des autres – quand l’itinéraire vers Dieu est pensé avant tout comme une affaire personnelle. Corollaire : l’Esprit Saint a tendance à être relégué dans l’ombre et l’Église est appréhendée souvent d’abord à partir de sa dimension juridique, et moins comme fraternité et communion.

Le concile Vatican II remet en valeur la dimension plus que personnelle de la vie chrétienne, notamment dans le chap. II de Lumen gentium (la constitution dogmatique sur l’Église), lorsqu’il a recours au vocabulaire de « peuple de Dieu » pour désigner l’Église, lorsqu’il souligne l’importance du sacerdoce commun des fidèles, et lorsqu’il fait crédit aux fidèles (« des évêques jusqu’aux derniers des fidèles laïcs » LG12) du sensus fidei. Par ailleurs, il se trouve qu’au XXe siècle des théologiens avaient remis en valeur la notion de corps pour penser l’Église, ce qui permettait de retrouver le lien entre la personne du Christ, l’Église, la communion des saints où chaque fidèle est attendu, et la célébration des sacrements. Il y a donc des outils théologiques pour penser une Église synodale où les relations, les liens entre les croyants et vis-à-vis de tous leurs frères et sœurs participent du tissage du corps du Christ, où la création sera réconciliée.

Depuis le concile Vatican II, des pas importants ont été effectués (création des conférences épiscopales, célébration de nombreux synodes diocésains, possibilité – peu utilisée – de tenir des conciles régionaux, forme nouvelle prise par les synodes des évêques, avec désormais une large consultation des fidèles) ; mais plus qu’une série de dispositifs à mettre en place, ce qui est en cause aujourd’hui, c’est la culture même de l’Église catholique. Allons-nous aller vers une conscience ecclésiale, où chacun se sait attendu, appelé à participer aux discernements sur la communauté chrétienne et sa mission ? Voilà un changement profond par rapport à la manière de se penser catholique d’il y a six ou sept décennies.

comment vivez-vous la dimension politique de la synodalité ?

Quand on se demande ce qui peut freiner le chemin vers une telle Église synodale, dans le contexte catholique actuel, trois éléments me viennent : Nos représentations ont la vie dure, et l’on ne se défait pas facilement de ce cléricalisme qui a habitué les fidèles laïcs au silence. Mais un deuxième danger menace aussi le processus synodal, qui consisterait à penser la synodalité en termes essentiellement politique, comme espace d’affrontement entre courants et sensibilités ecclésiales différentes. Dans la culture catholique, une telle vision de la synodalité fait épouvantail. Et c’est peut-être aussi cette méfiance vis-à-vis d’une synodalité seulement politique qui explique que les jeunes catholiques de profil plutôt classiques se sont très peu mobilisés dans la phase de consultation du synode. Sans doute craignent-ils que cette insistance sur la synodalité n’apporte rien de bon à l’Église, si cela revient à instituer des lieux pour simplement gérer les différents et les conflits. Le Document Préparatoire au synode est conscient de cette difficulté quand il mentionne : « la consultation du Peuple de Dieu n’entraîne pas que l’on se comporte à l’intérieur de l’Église selon des dynamiques propres à la démocratie, basées sur le principe de la majorité, car à la base de la participation à tout processus synodal se trouve la passion partagée pour la mission commune de l’évangélisation et non pas la représentation d’intérêts en conflit [3] ». A partir de là j’ai envie de poser une question aux membres des autres Églises : comment vivez-vous la dimension politique de la synodalité ? Dès l’instant qu’il y a synodalité, il y a une dimension politique qui entre en jeu ; mais comment faire pour que ce ne soit pas elle qui donne le la, de sorte que la gouvernance de l’Église serait ramenée à des jeux d’équilibre entre tendances qui s’affrontent et font des compromis ?

Troisième point qui peut entraîner une critique de la notion même de synodalité, c’est la crainte qu’on aille vers une Église pensée de part en part comme communion, au détriment de sa dimension hiérarchique. Or dans la compréhension théologique qu’on peut en avoir, celle-ci intervient non pas comme un style de gouvernement autoritaire et descendant, mais comme une manière de signifier que l’Église se reçoit de l’appel de Dieu. Les ministres ordonnés sont là pour rendre sensible cet appel (ce qui ne veut pas dire qu’ils soient identifiés avec lui – même s’il faut reconnaître qu’il y a ici un risque toujours possible). À partir de là, j’aurais encore envie de poser une question aux autres Églises : comment faites-vous, de votre côté, pour combiner cette dimension horizontale de la communion avec la symbolique verticale d’une communauté qui se reçoit d’un autre que d’elle-même ?

Dernière remarque : toutes les Églises, sur cette question de la synodalité ont un rendez-vous, qui pourrait nous aider à retrouver les chemins de l’unité. C’est le rendez-vous avec ceux qui dans nos sociétés, n’ont pas accès à la parole, ceux dont on n’attend jamais l’avis, ceux qui ne comptent pas. Ce sont tous ceux qui sont considérés comme guère pertinents pour participer à tout ce que nous sommes en train d’échafauder. Ce sont les pauvres, les personnes marquées par le handicap, les personnes en souffrance psychique, les tout petits, les personnes très âgées et qui sont sans force, ce sont aussi les étrangers, ceux qui ne maîtrisent pas les codes que nous manions habituellement. Une Église peut-elle se prétendre synodale dans l’oubli de ces personnes ? Et ne faisons-nous pas preuve de beaucoup de légèreté quand nous pensons qu’elles n’ont rien à dire ? Une Église synodale, du coup, c’est une Église qui pense d’abord à ceux qu’on n’entend jamais et qui se met en marche et cherche les moyens met pour que ceux-ci puissent être entendus (et cela demande beaucoup d’énergie).

Quand nous prenons au sérieux ces rendez-vous, nous sommes presque toujours reconduits à l’essentiel. Toutes nos disputes, petites ou grandes, sont relativisées, car il y a là des êtres dont l’existence même ne tient qu’à un fil. Cela nous place devant une urgence, celle de la vie ou de la mort, du choix de la vie ou de l’abandon aux portes de la mort. C’est une urgence qui a une coloration pascale. Il y a ici pour les Églises, un chemin pour être ensemble reconduites vers le Christ qui nous donne rendez-vous depuis la Pâque de ceux qui ne comptent pas, cette Pâque qu’il a tout entière faite sienne.

[1] Document Préparatoire, § 15.

[2] Ibid., § 10.

[3] Document préparatoire, § 14.

P. Etienne Grieu

Père Etienne Grieu, recteur du Centre Sèvres, Facultés jésuites de Paris.

D’où vient cet article ?

Il est tiré de la revue trimestrielle Unité des chrétiens. Depuis 1972, cette revue apporte des pistes de réflexions et d’actions au service de l’unité de tous les Chrétiens.

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