Homélie de Mgr Jean-Marc Aveline, premier jour de l’Assemblée plénière des évêques de France d’automne 2025

Le Cardinal Jean-Marc Aveline, archevêque de Marseille, Président de la CEF, prêche la messe d’ouverture de l’Assemblée plénière de novembre 2025.

Homélie pour la messe du mardi 4 novembre 2025, en la mémoire de saint Charles Borromée, prononcée par Mgr Jean-Marc Aveline, archevêque de Marseille, devant ses frères évêques rassemblés pour la 96ᵉ Assemblée plénière des évêques de France à Lourdes.

Hier après-midi, après avoir traversé un banc de nuages bas égarés aux alentours de Toulouse, le soleil est soudain revenu, resplendissant, alors même que l’autoroute, en s’élevant sur le plateau du Lannemezan, dégageait l’horizon jusqu’aux Pyrénées majestueuses. Et sur le plateau, une multitude d’arbres et de buissons, tous en parures d’automne, semblaient rivaliser de toutes leurs couleurs vives, le jaune pour les uns, le rouge pour les autres, l’orange pour d’autres encore, dans un spectacle tout feu tout flammes, offert gratuitement aux yeux éblouis des automobilistes redevenus des promeneurs !

C’est un peu comme la Toussaint, me disais-je tout en conduisant, encore sur le coup de la grande fête de l’avant-veille ! Ces arbres, ces arbustes, ces petits buissons de rien du tout, personne ne les remarquait tout au long de l’été. Ils arboraient discrètement leur ton de vert, passant inaperçus le long des sentiers de la vie, tout comme les saints « de la porte d’à côté », qu’aimait à évoquer le pape François ! Mais la grâce de Dieu, qui garde souvent le meilleur pour la fin, est capable de révéler par une lueur d’automne la splendeur de tant d’existences apparemment ternes et effacées, celles qui, souvent, connaissent d’expérience les combats de la vie, celles qui n’ont pas « le goût des grandeurs », mais se laissent « attirer par ce qui est humble ».

Saint Charles Borromée, dont la liturgie de l’Église catholique romaine nous invite à faire mémoire aujourd’hui, n’avait pas connu, dans sa jeunesse, ces combats de la vie. Le rouge éclatant de la pourpre cardinalice qu’il revêtit à 22 ans, simplement parce qu’il était le neveu du nouveau Pape Pie IV, n’avait rien d’une couleur naturelle, que la ronde des saisons aurait lentement patinée. Mais à la mort de son père puis de son grand frère Frédéric, lorsque sa famille voulut le retirer des salons romains et faire de lui le gérant avisé de leur grande fortune, il refusa et choisit de s’engager sur le chemin plus austère, mais, à ses yeux, plus passionnant, du ministère presbytéral. Devenu archevêque de Milan et l’un des acteurs principaux de la mise en œuvre des réformes impulsées par le concile de Trente, il sut laisser le soleil de l’Esprit revêtir patiemment les labeurs et les douleurs de son ministère, des couleurs vives de la sainteté. Il apprit à mettre en œuvre, très concrètement, les conseils que saint Paul avait donnés aux chrétiens de Rome : « Partagez avec les fidèles qui sont dans le besoin, pratiquez l’hospitalité avec empressement. Bénissez ceux qui vous persécutent : souhaitez-leur du bien et non pas du mal. Soyez joyeux avec ceux qui sont dans la joie ; pleurez avec ceux qui pleurent. Soyez bien d’accord les uns avec les autres. »

« Soyez bien d’accord les uns avec les autres ! » En vous écoutant ce matin, Sainteté, avec mes frères évêques, j’ai perçu combien le souci de l’unité habitait votre cœur de pasteur, une unité non pas de façade, mais de profondeur. Deux fois, cette année, j’ai eu la grâce de venir prier avec vous au Phanar : d’abord en janvier avec les prêtres et les évêques de la province ecclésiastique de Marseille, lors de notre pèlerinage provincial à Nicée ; puis en juillet, lorsque vous avez bien voulu accueillir les jeunes Méditerranéens du Bel Espoir, ce navire-école pour la paix que le pape Léon a honoré de sa visite lorsque le bateau a fait escale à Ostie, un port très cher au cœur du Pape, à cause de Monique et d’Augustin ! En vous voyant prier au Phanar, j’ai été saisi par le contraste entre l’immense responsabilité qui est la vôtre auprès de tout le monde de l’Orthodoxie, et la simplicité accessible d’un homme qui, comme le chantait tout à l’heure le psalmiste, n’a pas « le cœur fier ni le regard ambitieux », un homme qui accomplit sa tâche en s’efforçant de tenir son âme « égale et silencieuse », « comme un petit enfant contre sa mère », la Theotokos, la Toute Sainte ! Saint Charles Borromée conseillait très justement : « Tu ne pourras pas soigner l’âme des autres si tu laisses la tienne dépérir. À la fin, tu ne feras plus rien, pas même pour les autres. Tu dois avoir du temps pour toi pour être avec Dieu. »

Ce matin à Lourdes, frères et sœurs, nous sommes rassemblés tout près de cette grotte où la Theotokos révéla à « l’ingénue et heureusement têtue Bernadette Soubirous », comme le Patriarche la décrivait tout à l’heure, la tendresse de Dieu pour les pauvres, son aversion pour le péché et sa miséricorde pour les pécheurs, la puissance de son Esprit et la nécessité de notre prière. En ce lieu béni, nous voudrions demander ensemble au Seigneur, avec vous, Toute Sainteté, la grâce de la communion, afin que, dépassant les divisions héritées des maladies de l’histoire, nous puissions « être un » (Jn 17, 21), nous abreuvant à la vie divine qui est communion. Vous nous rappeliez tout à l’heure l’encouragement répété du Patriarche œcuménique Athénagoras : « L’union viendra, ce sera un miracle, un nouveau miracle dans l’histoire. Quand ? Nous devons nous y préparer. Car un miracle est comme Dieu : toujours imminent. »

Il me semble que la parabole de l’Évangile d’aujourd’hui nous met sur la voie : l’imminence de Dieu nous presse d’aller chercher les pauvres, les estropiés, les aveugles et les boiteux, plutôt que ceux qui, non contents d’être invités, s’empressent de trouver des excuses pour décliner l’invitation en faisant valoir leurs propres intérêts. C’est l’image de Lourdes, frères et sœurs, ce lieu où les personnes souffrantes et les plus petits nous montrent le chemin de l’espérance. C’est le sens profond de l’appel que les représentants des cultes en France viennent de lancer à l’occasion de la COP 30, conscients de la gravité de la situation écologique et de l’urgence d’actions concrètes en faveur du respect de la Création ou de la nature, et de l’écoute du cri des pauvres, car ils sont les premières victimes des effets du dérèglement climatique.

Parfois, dans les forêts d’automne, ce sont les tout petits buissons qui donnent les couleurs les plus éclatantes. « Regardez bien – écrivait saint Paul aux chrétiens de Corinthe : ce qu’il y a de fou dans le monde […], ce qu’il y a de faible […], ce qui est d’origine modeste, méprisé dans le monde, ce qui n’est pas, voilà ce que Dieu a choisi pour réduire à rien ce qui est ; ainsi, aucun être de chair ne pourra s’enorgueillir devant Dieu » (I Co 1, 26-29).  Lourdes en est la preuve et le signe ! Que votre deuxième visite en ce lieu, Sainteté, après celle effectuée il y a trente ans, en 1995, nous stimule pour demander ensemble au Seigneur, par l’intercession de la Vierge Marie, d’écouter la prière des plus petits et d’offrir au monde entier le don « imminent » de « la pleine communion de foi, de concorde fraternelle et de vie sacramentelle qui exista entre nos Églises au cours du premier millénaire. » Alors, déployant toutes les harmoniques colorées d’un échange de dons en provenance de l’éternel buisson ardent de la Révélation, la vive flamme de l’amour fraternel fera flamboyer le monde plus encore qu’un soleil d’automne dans les forêts des Pyrénées !

Amen !

+ Jean-Marc Aveline
Archevêque de Marseille
Président de la Conférence des évêques de France

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