Dérives sectaires dans les institutions d’Église : liste de critères
Un document rédigé à l’occasion de la création du Bureau des dérives sectaires en 2014.
I. Le culte de la personnalité
Les membres du groupe sont attirés et rassemblés autour d’un fondateur à la personnalité complexe dans son parcours et dans sa prétention.
- La naissance du groupe
Un dysfonctionnement dans le discernement des vocations peut avoir des conséquences redoutables. Les exemples abondent de candidats à la prêtrise refusés dans un diocèse mais acceptés dans un autre. De même en ce qui concerne la reconnaissance d’une association de fidèles ou une communauté. Aussi, les évêques suisses viennent-ils de rappeler cette exigence : « lorsque des candidats à la prêtrise ou à la vie religieuse changent de lieu de formation ou de communauté, les informations entre les responsables doivent circuler de manière claire et précise ».
2. Le culte du fondateur
Il arrive dans certains groupes que le fondateur ou le supérieur prenne en quelque sorte la place du Christ : les membres du groupe le vénèrent, le mettent sur un piédestal, lui vouent une obéissance absolue. Dieu passe directement et ne passe que par lui. Sa parole est… parole d’Évangile. Et ses écrits en arrivent à supplanter les Écritures, lesquelles ne peuvent se comprendre bien entendu que par les explications du « maître ». Un tel investissement dans le fondateur permet tout naturellement de le proclamer « Berger à vie ». Et bien évidemment, toute révélation de conduites scandaleuses est accueillie par le déni, la dénonciation de complot et de persécution.
3. Hors du groupe, pas de salut
Le groupe ne se présente pas comme étant complémentaire de ce qui existe déjà mais il se pense exclusivement alternatif. C’est par lui et par lui seul que passe aujourd’hui le salut de l’Église. Tout le reste est taxé de tiédeur, d’infidélité, de modernisme. De cet élitisme, découle le caractère « holistique » de ces communautés :toutes les vocations sont revendiquées dans le groupe qui ainsi se suffit à lui-même comme une « arche de salut » et une Église parallèle. Le groupe se veut auto-suffisant jusque dans le discernement ou l’accompagnement : les psychologues externes sont le diable ! Obligation est parfois faite de se confesser uniquement à un prêtre de la communauté, les autres n’étant pas capables de comprendre le charisme. La formation est strictement interne et l’accent est mis massivement sur la pensée du fondateur.
4. Au-dessus des lois
Les habitants de la « Cité céleste » que constitue le groupe ne sont plus du monde. Ainsi, contrairement aux injonctions des évêques, on ne cotise pas à la Cavimac. Sans parler des infractions au niveau économique, ou au droit du travail ou aux règles de la sécurité. Par ailleurs, le flou juridique du groupe expose les membres récalcitrants à toutes sortes d’abus sans le moindre recours possible.
II. La coupure avec l’extérieur
Suivre ce leader entraîne les adeptes dans de multiples ruptures (relationnelle, sociale, économique, sanitaire, intellectuelle, spirituelle et ecclésiale…).
1. Les ruptures
Elles sont multiples et enferment la recrue dans une véritable bulle totalement déconnectée de la réalité :
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- ruptures familiales à partir du moment où la famille émet quelque interrogation ;
- ruptures amicales ;
- rupture sociale avec changement de prénom et disparition du patronyme ;
- rupture des études, de la profession ;
- ruptures économiques : la recrue se déleste de ses biens entre les mains du groupe ;
- ruptures d’informations : ni télévision ni radio ni presse ; index pour les lectures ;
- rupture sanitaire : psychologues diabolisés, vaccinations interdites, médecines et psycho-thérapies alternatives imposées, collusion avec des médecins amis de la communauté…
- rupture ecclésiale : fonctionnement auto-suffisant ; méfiance vis-à-vis des autorités ;
- et même rupture interne entre les membres : absence de relations interpersonnelles, avec devoir de délation.
2. Le contrôle sur le choix des confesseurs et directeurs spirituels contrairement à la liberté due aux membres en ce domaine.
3. Une formation carencée nourrie exclusivement des écrits du fondateur ou d’une sélection tendancieuse d’auteurs. L’accent n’est pas mis sur la Parole de Dieu elle-même.
4. Un vocabulaire propre au groupe soit par la création de mots nouveaux, soit par le changement de signification des mots usuels.
5. La multiplicité des dévotions sans lien d’unité doctrinale avec surenchère des règles, signes et ascèses en tout genre au gré des inspirations, lubies et trouvailles du responsable.
L’accent est mis sur le diable, d’où la fréquence des délivrances et exorcismes sauvages ; la vision dualiste fait considérer le monde comme mauvais et toute critique comme une persécution des « saints ».
6. Des conditions de vie inhumaines avec mises en danger pour la santé physique, psychique et spirituelle On retrouve les mêmes carences dans ces communautés problématiques que dans les groupes sectaires en général : carences alimentaires, carences de sommeil, carence d’hygiène de vie et de soins, exténuation par le travail, etc. Et s’il survient un accident, l’irresponsabilité qui en est à l’origine est cachée par une interprétation toute mystique de l’événement.
7. Quelle pauvreté ? On va chercher la nourriture à la Banque alimentaire. Les membres ne sont pas inscrits aux assurances sociales mais demandent la CMU. Le travail est pour les gens du monde mais on pratique la mendicité auprès de « vrais » pauvres : aux païens, les soucis du monde… Cependant, la collectivité en tant que telle ne dédaigne pas les parcs immobiliers et autres investissements onéreux.
8. Une désincarnation
Certains groupes, de par leur conception et leur système ont atteint le lien qui relie les enfants à leurs parents : l’autorité parentale est pour ainsi dire transférée au « berger », les enfants deviennent les enfants de la communauté ; l’image des parents est dévalorisée. Dans le domaine de la santé, l’évidence d’un besoin de traitement thérapeutique laisse la place à un mot d’ordre dangereux : « Le Seigneur guérit ! Nous, nous le croyons. »
9. Dolorisme et culte de la souffrance
Les difficultés – objectives – rencontrées sont sublimées par l’invitation au sacrifice. La seule réponse est du genre : « En souffrant, tu portes la croix qui sauve tes amis ; tu vis la croix, donc tu es sur le bon chemin, tout près de Jésus ; tu as mal, donc tu grandis en luttant contre tes faiblesses ; tu souffres parce que ta conversion est encore trop petite. » « Si tu n’as pas tenu le coup, c’est que tu ne pries pas assez ; c’est que tu ne t’es pas assez dépouillé de toi-même. » Il convient de noter la proportion importante de membres en mauvaise santé dans certains groupes : dépressions notamment, tentatives de suicide, suicides, déclenchement ou aggravation de maladies psychiatriques.
III. La manipulation
La manipulation aux multiples facettes vise non seulement à attirer les membres mais aussi à les conserver.
1. Le prosélytisme
Les membres du groupe font des sorties de leur citadelle pour aller convertir les autres censés être dans l’ignorance et l’erreur. À l’extérieur, l’altérité n’est pas l’objet d’un intérêt ou d’une curiosité, ou promesse d’enrichissement. L’autre n’est véritablement accepté que nié dans sa différence et son apport. Il est intéressant uniquement comme converti potentiel.
2. Le recrutement vocationnel
ll faut séduire et ramener à la communauté. Le recrutement est rapide, les captures sont souvent jeunes et sans expérience véritable. Si la cible se pose malgré tout certaines questions, on lui met la pression comme quoi le doute, c’est le diable. Le recruteur est passé dans l’art de la double contrainte. Rappelons-nous simplement le canon 219 du Code de droit canonique : « Tous les fidèles jouissent du droit de n’être soumis à aucune contrainte dans le choix d’un état de vie. »
3. La confusion des fors externe et interne
Dans sa sagesse, l’Église recommande une distinction entre le for interne et le for externe, entre les rôles de confesseur et de directeur spirituel, et la charge de supérieur. Or, on s’aperçoit que la confusion est monnaie courante. De la même façon, le suivi psychologique ne devrait jamais être fait en interne à une communauté ou une association chrétiennes, afin de préserver la liberté des personnes et de réduire les interactions : prise de pouvoir, lutte d’influence, risque de concertation au mépris du secret de l’accompagnement, gaffes variées et indiscrétions qui fusent vite dans un cercle restreint. Si la même personne gère les postes communautaires importants, le suivi spirituel et psychologique, et même la confession, on devine l’emprise qu’elle peut ainsi prendre sur les personnes. Cette distinction du public et de l’intime est encore mise à mal par la mode de la « transparence », ou dit autrement par les confessions publiques. Sous couvert de fraternité et de compassion, la personne est ainsi bafouée dans son intimité salutaire et forcée à une sorte d’exhibitionnisme psycho-spirituel, c’est-à-dire finalement à un viol psychique.
4. Des vœux particuliers
Ne jamais dire du mal du fondateur ou de n’importe quel supérieur – et dénoncer immédiatement quiconque aurait enfreint ce vœu. On entend parler aussi d’un vœu d’unité :toute critique (c’est-à-dire le moindre questionnement légitime ou la moindre pensée personnelle),toute désobéissance, mettent en péril la fraternité.
5. Le secret imposé comme règle absolue
Puisque la fonction de ces associations est censée être le service de l’Église, tous les membres devraient avoir la permission de converser librement et ouvertement avec les membres de la hiérarchie, chaque fois que cela est nécessaire. Lorsqu’on accomplit des œuvres bonnes, on n’a pas peur de la lumière. Or, il arrive qu’interdiction soit faite de parler à l’évêque local jugé incapable de comprendre le charisme… De même, toute une documentation interne est utilisée qui doit demeurer cachée.
6. Mensonges, tromperies et dissimulations
La dissimulation peut se faire dès le commencement, à savoir en vue d’obtenir l’approbation (documentation présentée aux autorités et documentation « interne » à laquelle les membres eux-mêmes n’ont pas accès). Ensuite, même lorsque l’autorité parvient à pénétrer dans le fonctionnement du groupe, ce dernier s’évertue à déjouer la vigilance et l’action entreprise pour assainir la situation.
7. L’autoritarisme du responsable et la soumission des membres
L’obéissance – il est même question de soumission – est élevée à la dignité de vertu majeure, et ce, de manière inconditionnelle et infiniment plus forte que dans une communauté religieuse classique. Or, l’obéissance authentique n’est ni autoritarisme ni infantilisation. Elle passe aussi par des médiations et non des coups de baguettes magiques du genre « Dieu m’a dit… » Les « petits chefs » peuvent se laisser envahir par une certaine jouissance à conseiller et à commander, n’est-ce pas ?
8. Tout questionnement vient du mauvais
« Je décidai de faire part de mes doutes et de mes questions au fondateur. Sa réponse fut courte et précise : “Je sens que tu ne fais plus partie de la communauté.” Onze ans de vie commune, de foi commune, étaient balayés par ces quelques mots écrits sur un bout de papier. Dans ce système de certitudes, il ne pouvait pas y avoir de doutes ni de questions. Répondre aux doutes, c’était reconnaître la possibilité d’en avoir. L’exclusion était la seule réponse. L’ancienneté, l’engagement solennel à vie, les sacrifices effectués, l’énergie donnée sans compter ne comptaient pour rien… »
9. Humiliations et culpabilisations
Le rebelle, le questionneur n’a jamais bonne presse dans une communauté déviante. Et en général, il paye cher ses incartades, à coups d’humiliations et de culpabilisations : « S’expliquer, c’est se méfier… la dépression est le refus de Dieu… aimer, c’est descendre dans la fange… se taire, c’est aimer… la tension est seul fruit de notre méchanceté… se reposer, c’est ne pas assez aimer… revendiquer, c’est être égoïste… se défendre, c’est n’être pas docile à l’Évangile. » Quant à ceux qui ne s’écrasent pas dans la soumission silencieuse, et qui donc risquent de contaminer leur entourage, ils sont purement et simplement virés. À l’intérieur, on les couvre de calomnies : le rebelle est un Judas. La dynamique relationnelle se simplifie à l’extrême : c’est la soumission ou l’exclusion. La négociation verbale est impossible, nous sommes dans le domaine du tout ou rien. L’autre est réduit à l’état d’objet : il est assimilé, absorbé ou rejeté. Il ne peut être sujet de parole, et donc partenaire de dialogue. En fait, une parole différente, suscitant par conséquent le doute, crée l’angoisse dans le groupe et met en branle les mécanismes de défense que ces exclusions expriment. À l’intérieur du groupe, l’altérité est insupportable.
10. La sortie
• Dans quelle condition relationnelle ? Tout départ est déjà occulté vis-à-vis des autres membres. Ensuite, plus personne n’adressera la parole au traître. Et comme l’adepte avait rompu avec toutes ses connaissances anciennes, il se retrouve seul.
• Dans quelle condition économique ? Ce qu’il a apporté à son arrivée, ce qu’il a constamment mis dans le pot commun, cela est donné n’est-ce pas ? Après avoir peut-être quitté une profession, après avoir trimé pendant des années bénévolement bien sûr et sans assurances sociales, celui ou celle qui sort est nu (e) comme Job… Pourtant le canon 702 § 2 du Code de droit canonique stipule que l’institut gardera l’équité et la charité évangélique à l’égard du membre qui en est séparé.
• Dans quelle condition physique et psychique ? La vie a été tellement difficile que la personne est laminée. Certains sont plus gravement encore détruits dans leur santé psychique : combien de dépressions, combien de tentatives de suicides, combien de suicides ! En fait, les personnes culpabilisent, se retrouvent avec un sentiment d’échec total.
• Dans quelle condition spirituelle ? Certains gardent la foi, parce qu’avant cette malheureuse expérience qu’ils viennent de vivre, ils avaient vraiment rencontré le Christ. Beaucoup ne veulent plus en entendre parler…
4. L’incohérence de la vie
Quand un regard perspicace se pose sur la vie des « gourous », une grande distance apparaît entre les paroles et les actes au niveau de l’argent, du pouvoir et des mœurs.
1. La vie « extra-ordinaire » des chefs
• Au niveau déjà de la charité : à l’égard des plus faibles, à l’égard de personnes dont la situation économique a changé, à l’égard des autres composantes de l’Église, etc.
• Le fondateur devrait être soumis aux mêmes ordinaire, règles et constitutions appliquées dans la communauté… !
2. L’argent
• La mise en commun des biens : étant donné le peu de stabilité qu’offre la vie moderne et la probabilité que des membres quittent la communauté après quelques années, il y a avantage à mettre les biens d’un membre en sûreté jusqu’à sa mort, de sorte que s’il décide de partir, ces biens puissent subvenir à ses besoins lorsqu’il sera hors de la communauté. Or à la sortie, l’adepte s’en va souvent nu comme Job, alors que le Code de droit canonique parle d’équité. On comprend dans ces conditions qu’un adepte, même un peu lucide, n’ait plus la force de partir.
• L’exploitation du travail des membres.
• La gestion financière devrait toujours être honnête et transparente. Or, certains groupes ont l’art du montage fictif en sous-associations, associations-écran.
• Les dons et captations d’héritage.
3. Les mœurs
Là, nous sommes dans des délits, voire des crimes caractérisés : pédophilie, viols, attouchements, éphébophilie…
En conclusion
Un seul critère bien entendu ne peut suffire pour qualifier un groupe comme étant le lieu de dérives sectaires. Seul un faisceau de critères conjugués permet de prendre conscience du caractère pathologique d’une communauté ou d’une association. Mais en fait, il est toujours ahurissant de constater comment beaucoup des symptômes décrits se retrouvent de façon récurrente dans un certain nombre de groupes qui font actuellement parler d’eux. Par ailleurs, toutes ces dérives qui viennent d’être pointées dans certaines communautés catholiques sont finalement identiques à celles que l’on trouve dans les groupes sectaires en général. Les trois tentations du pouvoir, de l’avoir et du jouir sont bien universelles.
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