Homélie du dimanche 30 janvier

Dimanche 30 janvier 2022

4e dimanche du Temps ordinaire

Références bibliques :
Lecture du livre de Jérémie : 1. 4 à 19 : “Je fais de toi une ville fortifiée.” 
Psaume 70 : Ma bouche annonce tout le jour tes actes de justice et de salut.” 
Saint Paul. 1ère lettre aux Corinthiens : 12. 31 à 13. 13 : “ Ils sont trois aujourd’hui : la foi, l’espérance et la charité. Le plus grand des trois, c’est la charité.” 
Evangile selon saint Luc : 4. 21 à 30 : “ Cette Parole de l’Ecriture que vous venez d’entendre, c’est aujourd’hui qu’elle s’accomplit.” 

***

Pour présenter le ministère de Jésus, chaque évangéliste suit un plan qui lui est propre et, pour chacun, il le commence par l’un ou l’autre des événements qui seront significatifs de la Bonne Nouvelle qu’annonce Jésus.

Saint Matthieu commence par la proclamation du Royaume, en paroles et en actes : les Béatitudes et le sermon sur la montagne, à l’instar de la proclamation de la Loi au Sinaï. Saint Marc montre, en une journée passée à Capharnaüm, les différents aspects du ministère de Jésus. Le récit de saint Jean s’ouvre par une semaine inaugurale qui s’achève le jour de Cana où les disciples voient la gloire de Jésus.

Par le récit des faits qui se sont déroulés à la synagogue de Nazareth, saint Luc laisse présager le refus du Peuple à l’égard de Jésus et le transfert hors d’Israël, ou plutôt l’élargissement, du salut que le Christ apporte aux hommes.

LA PERSPECTIVE DE LUC.

Il est à noter que la venue de Jésus à la synagogue de Nazareth n’est séparée de la Tentation que par deux versets laconiques :” Alors Jésus, avec la puissance de l’Esprit, revint en Galilée et sa renommée se répandit dans toute la région. Il enseignait dans leurs synagogues et tous disaient sa gloire” (Luc 2. 15).

Dimanche dernier, nous avons lu la première partie de ce récit. Dans le cadre de la prière, le jour du Sabbat, il reçoit le livre d’Isaïe pour faire la lecture et y trouve le passage où il est écrit :” L’Esprit du Seigneur est sur moi.” Jésus proclame – et c’est là que commence la lecture de ce quatrième dimanche – :” Cette parole de l’Ecriture que vous venez d’entendre, c’est aujourd’hui qu’elle s’accomplit.”

Cette proclamation provoque des réactions qui vont progressivement se modifier. “ Tous lui rendaient témoignage.” (verset 22) Le premier mouvement est favorable. Ils reconnaissent qu’il prononce des paroles de grâce. Saint Luc l’avait noté. N’est-il pas le fils de Marie “pleine de grâce” ? Son enfance n’a-t-elle pas été une croissance sans obstacle de la grâce en Lui. (Luc 2. 52)

Puis, quelques doutes s’inscrivent dans leurs réactions :” Ils s’étonnaient des paroles de la grâce qui sortaient de sa bouche.” (v. 22) En quelques phrases, nous passons de l’approbation unanime au rejet, allant jusqu’au désir de meurtre.

De la manière dont est rédigé le récit de l’événement, on ne peut s’empêcher de trouver la conduite de Jésus provocatrice. En fait, il veut clarifier les pensées et les doutes de ses auditeurs. Après un élan initial, les habitants de Nazareth perdent leur enthousiasme admiratif au nom d’un certain réalisme. Comment le fils de Joseph peut-il se dire marqué par l’onction de l’Esprit-Saint ? Et le ton monte. Pour qui se prend-il ? C’est un prétentieux délirant, un fou ou un imposteur. Même les proches de Jésus veulent s’emparer de lui, car ils disaient : ”Il a perdu la tête.” (Marc 3. 21
Cette question traversera tout l’Evangile. Elle est venue jusqu’à nous. Pour beaucoup de nos contemporains, les vérités essentielles de la Foi et de la Bonne Nouvelle sont déconcertantes, voire provocantes. « L’Eglise, pour qui se prend-elle ? »…Elle devrait mieux adapter sa doctrine et sa pensée, pour être en phase avec la religiosité d’avenir.
Il est utile de lire saint Luc à la lumière des passages parallèles des deux autres synoptiques. Le scepticisme et l’absence de foi des habitants de Nazareth s’y expriment plus nettement chez saint Matthieu (Mt. 13. 53 à 58) et chez saint Marc (Mc. 6. 1 à 6). Il leur donne une autre perspective qui est toute paulinienne. L’Evangile porté par Jésus a échoué dans sa patrie; il devra être annoncé ailleurs.

Ce constat commande le plan de toute l’oeuvre de saint Luc, Actes des Apôtres y compris. Il commence avec l’annonce à Zacharie dans le Temple de Jérusalem. Il en est ainsi dans l’Evangile de l’enfance. Les pauvres (les bergers) et les païens (les mages) reconnaissent, les puissants refusent (Hérode et sa cour). Et cela s’achève avec l’arrivée de Paul à Rome, au centre de l’empire païen. (Actes 28. 14) Là aussi Isaïe est cité, là aussi il y a contradiction. “Les uns furent convaincus et d’autres refusaient de croire.” (Actes 28. 24)

Il nous faut, nous aussi, assumer le fait que la pensée de Dieu ne fera jamais l’unanimité. Mais ce n’est pas une raison pour nous replier dans une « forteresse de certitudes ». La plus grande connaissance de Dieu passe d’abord et toujours par la charité. (1ère Corinthiens 4. 13)

LA “MANIERE DE FAIRE ” DE DIEU

Saint Luc rejoint ainsi les paroles de saint Paul aux Corinthiens dont il a partagé le ministère. Par delà l’espérance et la foi, toute l’action de Dieu doit se lire à la lumière du regard que Dieu nous porte qui n’est pas un regard humain, si admiratif soit-il des dons que nous avons reçus. “ Nous voyons actuellement à travers un miroir et de manière diffuse” selon le traduction mot à mot du texte grec. (1ère aux Corinthiens 13. 12) A Nazareth, ils ne voient pas celui dont parlait Isaïe, mais seulement le fils de Joseph, leur compatriote. Ils voient « au travers un miroir et de manière diffuse. » Nos contemporains aussi.

Peut-être les gens de Nazareth oublient-ils également la manière de faire qui est propre à Dieu ? Dieu ne choisit pas les notables. Il ne les refuse pas s’ils acceptent de devenir, aussi et à leur place, des pauvres en esprit, c’est-à-dire, dépouillés de leurs seuls points de vue humains et personnels. Quand Dieu vient, il vient dans l’humilité de la pensée et de l’agir. Le fils du charpentier ne peut être un envoyé de Dieu. Ce n’est pas digne de Dieu, pensent-ils.

Mais le réflexe humain confond toujours la puissance et le tapage.

Le deuxième malentendu entre Jésus et ses auditeurs déconcertés est la mise en demeure d’opérer pour les siens les mêmes miracles qu’il a réalisés pour d’autres vingt kilomètres plus loin. Cette sommation de faire des miracles rappelle la tentation par le diable : “Si tu es le fils de Dieu, ordonne …” (Luc 4. 3)

Elle annonce les défis lancés au Christ :” Si tu es le roi des Juifs, sauve toi-même.” (Luc 23. 37) A Nazareth, Jésus “débusque” cette pensée :” Vous allez me dire, fais donc de même ici dans ton pays.” Ils estiment qu’ils possèdent une priorité sur Jésus.  C’est l’inverse d’une attitude de foi.

L’UNIVERSELLE LIBERTE DE DIEU

Celui qui pense posséder des droits sur Dieu, ne trouvera jamais Dieu. Jésus apprécie l’audace de toutes les demandes, celle de la Cananéenne pour la guérison de sa fille, ou celle de Thomas « Montre-nous le Père. » Mais il sait discerner entre l’insistance qui naît de l’humilité et l’assurance qui naît de l’orgueil.

Pour cela, il va donner aux habitants de Nazareth deux exemples d’action divine en faveur des païens alors que le Peuple d’Israël semble en être exclus, comme eux à Nazareth. Ces exemples se rattachent à deux prophètes très liés l’un à l’autre : Elie et Elisée. Ils avaient parlé et agi non loin de la Galilée, dans le Royaume du Nord. Les auditeurs de Jésus ne pouvaient pas être frappés plus directement par le rappel de leurs miracles, d’autant qu’ils ne peuvent mettre en doute leur titre de Prophète puisqu’Elie était marqué comme devant être présent aux jours du Messie.

Il ne faudrait donc pas imaginer Elie et Elisée comme traîtres ou indifférents au sort d’Israël. Elie promet à la femme de Sarepta une nourriture inépuisable “au nom du Seigneur Dieu d’Israël”. (1er livre des Rois 17. 14). Quand Naaman a été guéri de la lèpre en obéissant à l’ordre d’Elisée, il professe sa foi :” Maintenant, je sais qu’il n’y a pas de Dieu sur toute la terre si ce n’est en Israël.” (2 Rois 5. 15). Il emporte même un peu de terre d’Israël pour que les sacrifices qu’il offrira désormais à Dieu soient légitimes.

Si les deux autres Synoptiques, saint Matthieu et saint Marc, mentionnent seulement le manque de foi des habitants de Nazareth, saint Luc fait suivre immédiatement le rejet de Jésus par la violence,  une tentative de meurtre. La logique spirituelle de l’Evangile est bien mise en lumière par lui. Le refus de la foi enferme dans les ténèbres et ne peut que faire désirer l’élimination de celui qui vous scandalise. Saint Luc l’a expérimenté plusieurs fois avec saint Paul durant leurs voyages missionnaires. Il est très proche de saint Jean qui souligne cette volonté progressive d’élimination de Jésus par les chefs juifs, en particulier dans les semaines qui précèdent l’arrestation.

Il en est de même pour la liberté souveraine de Jésus. C’est lui qui donne sa vie à son Père. Il n’est pas suicidaire. On le traîne “hors de la ville” sur “une colline” comme sur un Golgotha prématuré hors de Jérusalem. “Il passe son chemin…” (Luc 4. 30) Il est libre au milieu d’eux. Dans l’évangile de saint Luc, nous saurons vite que ce chemin est celui qui le conduit à Jérusalem, à la Passion et à la Résurrection. (Luc 6. 51 et suivants) Sa mort est un mystère dont le dernier mot est en Dieu. “Il est passé en faisant le bien.” (Actes 10. 38)

DEUX AUTRES NOTATIONS.

Nous avons surtout développé la signification de l’épisode de la synagogue. Mais nous pourrions tout autant partir de deux autres notations : l’aujourd’hui de Dieu et l’hymne à l’amour.

L’aujourd’hui de Dieu .

“Aujourd’hui” est un mot que saint Luc aime bien et qu’il emploie aux grands moments de l’existence de Jésus. “Aujourd’hui vous est né un Sauveur. “ chante l’ange aux bergers de Bethléem. “Aujourd’hui, tu seras avec moi dans le paradis”, affirme Jésus crucifié au bandit repentant en toute dernière minute. (Luc 23. 43). “Aujourd’hui, cette parole s’accomplit.” proclame-t-il à Nazareth (Luc 4. 21).

Le Christ est l’aujourd’hui de Dieu. Et nous, pour le rejoindre nous n’avons qu’aujourd’hui entre nos mains. Le passé n’est plus entre nos mains et l’avenir est entre les mains de Dieu. La nostalgie d’hier ou le souci du lendemain, la distraction de la mémoire ou l’agitation des projets sont autant “d’absence” qui nous empêche de vivre le moment que Dieu nous offre.

Pour nous comme pour Jésus à Nazareth, chaque journée, chaque instant, condense le devenir de ce que nous sommes. “Donne-nous aujourd’hui le pain de ce jour,” nous a-t-il demandé de répéter dans la prière que nous adressons à “Notre Père”.

L’hymne à l’amour.

Les auditeurs de Nazareth pensaient, sans doute, avoir la science du mystère du Messie et la connaissance de Dieu, grâce à l’écoute de l’Ecriture et grâce aux commentaires rabbiniques. Ils ont sans doute une foi à transporter des montagnes, il leur manque de voir tout avec le regard même de l’amour de Dieu.

L’hymne à l’amour est un moment d’élan lyrique où les profondeurs de la vie spirituelle de l’Apôtre s’expriment :  “J’aurais beau…” Il met tous les rêves de l’homme à la première personne parce qu’ils sont tout autant les siens. Dans le même temps, il s’efface devant l’amour qui ne fait pas de bruit. Il ne parle alors qu’à la troisième personne.

C’est une grande leçon de réalisme. Il est facile de reconnaître les dons de la grâce. Mais c’est insuffisant car il sont à évaluer au critère de leur charge d’amour et non de leur seule mise en œuvre pragmatique. La communauté de Corinthe était enthousiaste et se laissait emporter par des manifestations spirituelles nombreuses. Faut-il se féliciter de la profusion de ces dons de la grâce de Dieu (saint Paul dit en grec “charismaton”)  ou de leur utilité au service de l’amour mutuel (et saint Paul se sert alors du terme de “diaconion”).

Saint Paul parle : service de la diaconie (1ère Cor. 13. 3). Et c’est au travers de la diaconie que doit se lire toute l’hymne paulinienne. Diaconie au service de Dieu, diaconie au service de nos frères. Notre devenir est de rejoindre Dieu qui est l’Amour et la Vie. Il sera un temps où cesseront les “charismes” dans l’inachèvement de nos entreprises. Lorsque tout s’épuise et disparaît, il reste l’amour qui est la rencontre “face à face” de Dieu et de l’homme pour notre divinisation.

L’amour ne passera jamais parce qu’il est l’être même de Dieu. C’est la seule réalité. Il doit devenir la nôtre. Tout le reste ne nous est donné que pour un temps et pour une mission précise. “Qui peut nous séparer de l’amour que Dieu nous porte en Jésus Christ !” (Romains 8. 35)

“Accorde-nous, Seigneur, de pouvoir t’adorer sans partage et d’avoir pour tout homme une vraie charité.” (Prière d’ouverture de ce jour)

année liturgique B