Commentaires du dimanche 28 janvier

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut,
dimanche 28 janvier 2024

4e dimanche du temps ordinaire


PREMIERE LECTURE – livre du Deutéronome 18,15-20

Moïse disait au peuple :
15 « Au milieu de vous, parmi vos frères,
le SEIGNEUR votre Dieu
fera se lever un prophète comme moi,
et vous l’écouterez.
16 C’est bien ce que vous avez demandé au SEIGNEUR votre Dieu,
au mont Horeb, le jour de l’assemblée, quand vous disiez :
Je ne veux plus entendre la voix du SEIGNEUR mon Dieu,
je ne veux plus voir cette grande flamme,
je ne veux pas mourir !
17 Et le SEIGNEUR me dit alors :
Ils ont bien fait de dire cela.
18 Je ferai se lever
au milieu de leurs frères
un prophète comme toi ;
je mettrai dans sa bouche mes paroles,
et il leur dira tout ce que je lui prescrirai.
19 Si quelqu’un n’écoute pas les paroles
que ce prophète prononcera en mon nom,
moi-même je lui en demanderai compte.
20 Mais un prophète qui aurait la présomption de dire en mon nom
une parole que je ne lui aurais pas prescrite,
ou qui parlerait au nom d’autres dieux,
ce prophète-là mourra. »


QUI NOUS TRANSMETTRA LA PAROLE DU SEIGNEUR ?
Le livre du Deutéronome nous rappelle ici un vieil épisode du Sinaï au temps de Moïse. Le peuple rassemblé au pied de la montagne avait entendu la voix de Dieu parlant à Moïse et son coeur était partagé entre l’émerveillement et la peur : l’émerveillement parce que c’était inouï que Dieu lui-même s’adresse à ce pauvre petit peuple ; mais aussi la peur car pouvait-on entendre la voix de Dieu sans mourir ? Et c’est la crainte qui l’avait emporté : « Je ne veux plus entendre la voix du SEIGNEUR mon Dieu, disait-on, je ne veux plus voir cette grande flamme, je ne veux pas mourir. »
Alors Dieu avait fait transmettre par Moïse cette promesse qui est rapportée ici : « Ils ont raison, je ferai se lever au milieu de leurs frères un prophète comme toi ; je mettrai dans sa bouche mes paroles… » C’était pour le peuple une assurance formidable : Dieu comprenait sa peur mais ne le priverait pas pour autant de sa Parole, car le risque est toujours grand pour les hommes d’écouter des charlatans : comme disait Moïse, « Les nations écoutent ceux qui pratiquent l’incantation et consultent les oracles. Mais pour toi, le SEIGNEUR ton Dieu n’a rien voulu de pareil. » (Dt 18,14).
La promesse rapportée par Moïse insiste sur quatre points : premièrement, c’est un prophète choisi par Dieu et par nul autre qui doit conduire ses frères ; deuxièmement, il doit être issu du peuple de l’Alliance ; troisièmement, il doit transmettre fidèlement la Parole de Dieu et nulle autre ; enfin, quatrièmement, il est vital pour le peuple de l’écouter.
VRAIS ET FAUX PROPHETES
Premièrement, c’est un prophète choisi par Dieu et par nul autre qui doit conduire ses frères : on sent affleurer ici une pointe contre des faux prophètes non envoyés par Dieu ; or au temps de Jérémie, qui est contemporain pour une large part du Deutéronome (dont est extrait notre texte d’aujourd’hui), on sait que les faux prophètes ne manquaient pas : Jérémie s’en est assez plaint ; c’est lui qui avait dit un jour à un prétendu prophète : « Ecoute, Hananya, le SEIGNEUR ne t’a pas envoyé ; c’est toi qui fais que ce peuple se berce d’illusions. » (Jr 28,15) ;
Ezékiel, lui non plus, ne mâchait pas ses mots : « Malheureux les prophètes insensés qui suivent leur esprit sans avoir rien vu… ils ont des visions illusoires et des prédictions trompeuses, eux qui disent : « oracle du SEIGNEUR » sans que le SEIGNEUR les ait envoyés. » (Ez 13,3… 6).
Moïse, au contraire, Dieu l’avait choisi, appelé, envoyé.
C’est pour cela que notre passage d’aujourd’hui insiste pour qu’on ne donne sa confiance qu’à un prophète « comme Moïse », c’est-à-dire un véritable envoyé de Dieu : « Je ferai se lever… un prophète comme toi ; je mettrai dans sa bouche mes paroles… » Avec ce texte, le prophétisme en Israël se démarque résolument de toutes les pratiques de divination ; le prophète n’est pas un devin, il est le porte-parole de Dieu et Dieu ne s’amuse pas à prédire l’avenir.
Deuxièmement, un véritable prophète doit être issu du peuple de l’Alliance ; la formule « pris parmi les frères » est claire : car il existait des quantités de prophètes étrangers, qui poussaient le peuple vers d’autres cultes ; il suffit de se rappeler les quatre cents prêtres de Baal amenés à Samarie par la reine Jézabel et contre qui le prophète Elie a tant lutté. Donc non seulement le prophète en Israël n’est pas un devin, mais il est le médiateur de l’Alliance.
Troisièmement, un vrai prophète doit transmettre fidèlement la Parole de Dieu et nulle autre : « Je mettrai dans sa bouche mes paroles, et il leur dira tout ce que je lui prescrirai… Mais un prophète qui oserait dire en mon nom une parole que je ne lui aurais pas prescrite, ou qui parlerait au nom d’autres dieux, ce prophète-là mourra. » Au temps de Jérémie, ce genre de beaux parleurs ne devait pas manquer : son chapitre 23 les attaque de front : « Ainsi parle le SEIGNEUR le tout-puissant : Ne faites pas attention aux paroles des prophètes qui vous prophétisent ; ils vous leurrent ; ce qu’ils prêchent n’est que vision de leur imagination, cela ne vient pas de la bouche du SEIGNEUR. » (Jr 23,16 ; voir aussi Jr 23,25-28)… « Je vais m’en prendre aux prophètes qui ont des songes fallacieux – oracle du SEIGNEUR -, qui les racontent et qui, par leur fausseté et leurs balivernes, égarent mon peuple… » (Jr 23,32).
Enfin, quatrièmement, il est vital pour le peuple d’écouter les prophètes envoyés par Dieu : « Si quelqu’un n’écoute pas les paroles que ce prophète prononcera en mon nom, dit Dieu, moi-même je lui en demanderai compte. » Pour citer encore une fois Jérémie : « Ainsi parle le SEIGNEUR, le Dieu d’Israël : malheureux l’homme qui n’écoute pas les termes de cette Alliance que j’ai proposée à vos pères lorsque je les ai fait sortir du pays d’Egypte… » (Jr 11,3).
On peut être surpris de l’insistance du livre du Deutéronome tout autant que de Jérémie sur les exigences d’une véritable prophétie : il faut croire que le problème était aigu ; on peut se demander s’il ne l’est pas tout autant aujourd’hui et si d’ailleurs il ne l’est pas de tous les temps ?
Il suffit de lire le premier chapitre de la deuxième lettre de Pierre, l’écrit le plus tardif peut-être de tout le Nouveau Testament : « Nous avons la parole des prophètes qui est la solidité même, sur laquelle vous avez raison de fixer votre regard comme sur une lampe brillant dans un lieu obscur… Ce n’est pas la volonté humaine qui a jamais produit une prophétie, mais c’est portés par l’Esprit Saint que des hommes ont parlé de la part de Dieu. » (2 P 1,19-21).
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Compléments
– En parlant d’un « prophète comme Moïse », le livre du Deutéronome pensait peut-être à Samuel (cf 1 S 3,19 – 4,1) puisque Jérémie lui-même fait le rapprochement (cf Jr 15,1).
– Mais qui donc, au temps de la composition du livre du Deutéronome, avait intérêt à réveiller cette vieille histoire ? Le livre du Deutéronome est très tardif et s’adresse au peuple d’Israël, à une période cruciale, dans les années 600 av. J.C., sous le règne du roi Josias. Il faut croire qu’il circulait alors de nombreux faux prophètes et que les croyants désorientés étaient tentés d’écouter n’importe qui. Alors ce texte vient à point nommé rappeler qu’il ne faut pas se laisser berner par des prétendus prophètes : Dieu ne confie ni sa parole ni son peuple à la légère.
– Lorsque la monarchie fut définitivement éteinte, en Israël, et que beaucoup perdirent tout espoir de voir naître le Messie-roi attendu, on relut dans ce texte du Deutéronome l’annonce d’un Messie-prophète. Cela explique les questions posées à Jean-Baptiste : « Es-tu le Prophète ? » (Jn 1,21).

 

PSAUME – 94 (95), 1-2. 6-7. 8-9

1 Venez, crions de joie pour le SEIGNEUR,
acclamons notre Rocher, notre salut !
2 Allons jusqu’à lui en rendant grâce,
par nos hymnes de fête acclamons-le !

6 Entrez, inclinez-vous, prosternez-vous,
adorons le SEIGNEUR qui nous a faits.
7 Oui, il est notre Dieu :
nous sommes le peuple qu’il conduit,
le troupeau guidé par sa main.

Aujourd’hui écouterez-vous sa parole ?
8 « Ne fermez pas votre coeur comme au désert
comme au jour de tentation et de défi
9 où vos pères m’ont tenté et provoqué,
et pourtant ils avaient vu mon exploit. »


LE SOUVENIR CUISANT DE MASSA ET MERIBA
Après l’insistance de la première lecture sur l’importance d’écouter la véritable parole de Dieu transmise par les prophètes, on n’est pas surpris d’entendre en écho « Aujourd’hui écouterez-vous sa parole ? » Car le peuple d’Israël n’a pas toujours écouté docilement ses prophètes : y compris dans le désert quand il a eu bien des réticences à l’égard de Moïse lui-même ; et ce psaume justement est tout imprégné d’une expérience très négative qui s’est déroulée au désert.
Si vous allez vérifier dans votre Bible le texte de la dernière strophe que nous venons d’entendre, voilà ce que vous lirez « Aujourd’hui écouterez-vous sa parole ? Ne fermez pas votre coeur comme à Meriba, comme au jour de Massa dans le désert, où vos pères m’ont tenté et provoqué, et pourtant ils avaient vu mon exploit ». Massa et Meriba, en réalité, ce sont deux lieux qui ne figurent sur aucune carte : l’histoire s’est passée à Rephidim (aujourd’hui on situe cette oasis dans le Sud du Sinaï, au Wadi Feiran). On a campé là, mais il n’y avait pas d’eau ; très vite, entre le peuple et Moïse, le ton a monté : faire camper tout le peuple dans un endroit où il n’y avait rien à boire, c’était certainement pour les faire tous mourir de soif ; c’est ce qu’on a pensé ; comme on pouvait s’y attendre, ce genre de récrimination a été ressentie par Moïse comme l’injure suprême ; lui, pourtant, continuait à faire confiance à son Dieu ; s’il les avait menés jusque-là, il saurait aussi les faire survivre. Et c’est là, en réponse à cette foi de Moïse et en pardonnant la méfiance du peuple, que Dieu a fait jaillir l’eau d’un rocher. Pour que cela ne se reproduise plus jamais, Moïse a donné à ce lieu mémorable le double nom de Massa et Meriba qui veut dire épreuve et querelle parce qu’on avait querellé Dieu.
Et donc la strophe du psaume prend tout son sens : « Aujourd’hui écouterez-vous sa parole ? Ne fermez pas votre coeur comme au désert où vos pères m’ont tenté et provoqué, et pourtant ils avaient vu mon exploit. » Dans cette simple strophe, est résumée toute l’aventure de notre vie de foi, personnelle et communautaire. C’est ce qu’on peut appeler, au vrai sens du terme, la « question de confiance ». Pour le peuple d’Israël, la question de confiance s’est posée à chaque difficulté de la vie au désert : « Le SEIGNEUR est-il vraiment au milieu de nous, ou bien n’y est-il pas ? » (Ex 17,7), ce qui revient à dire « Peut-on lui faire confiance ? S’appuyer sur lui ? Etre sûr qu’il nous donnera à chaque instant les moyens de nous en sortir… ? »
LA QUESTION DE CONFIANCE
La Bible dit que la foi, justement, c’est tout simplement la confiance. Cette question de confiance, telle qu’elle s’est posée à Massa et Meriba, est l’un des piliers de la réflexion d’Israël ; la preuve, c’est qu’elle affleure sous des quantités de textes bibliques ; et, par exemple, le mot qui dit la foi en Israël signifie « s’appuyer sur Dieu » ; c’est de lui que vient le mot « Amen » qui dit l’adhésion de la foi : il signifie « solide », « stable » ; on pourrait le traduire « j’y crois dur comme pierre » (en français on dit plutôt « dur comme fer »).
Et Isaïe, par exemple dit au roi Achaz « Si vous ne croyez pas, littéralement, si vous ne vous appuyez pas sur Dieu, vous ne tiendrez pas » (Is 7,9).
Toute une autre série de textes brodent sur le mot « écouter », parce que quand on fait confiance à quelqu’un, on l’écoute. D’où la fameuse prière juive, le « Shema Israël » : « Ecoute Israël, le SEIGNEUR ton Dieu est le SEIGNEUR UN. Tu aimeras le SEIGNEUR ton Dieu de tout ton coeur, de tout ton esprit, de toutes tes forces »… Tu aimeras, c’est-à-dire tu lui feras confiance.
Pour écouter, encore faut-il avoir l’oreille ouverte : encore une expression que l’on rencontre à plusieurs reprises dans la Bible, dans le sens de mettre sa confiance en Dieu ; par exemple dans le psaume 39/40 : « Tu ne voulais ni offrande ni sacrifice, tu m’as ouvert l’oreille » ; ou encore dans ce chant du Serviteur d’Isaïe : « Le SEIGNEUR Dieu m’a ouvert l’oreille… » (Is 50,5). Et les mots « obéir, obéissance » sont de la même veine : en hébreu comme en grec, quand il s’agit de l’obéissance à Dieu, ils sont de la même racine que le verbe écouter, au sens de faire confiance. En français aussi, d’ailleurs, puisque notre verbe « obéir » vient du verbe latin « audire » qui veut dire « entendre ».
Cette confiance de la foi est appuyée sur l’expérience… Pour le peuple d’Israël, tout a commencé avec la libération d’Egypte ; c’est ce que notre psaume appelle « l’exploit de Dieu » : « Et pourtant ils avaient vu mon exploit. » Cette expérience, et de siècle en siècle, pour les générations suivantes, la mémoire de cette expérience vient soutenir la foi : si Dieu a pris la peine de libérer son peuple de l’esclavage, ce n’est pas pour le laisser mourir de faim ou de soif dans le désert.
Et donc, on peut s’appuyer sur lui comme sur un rocher… « Acclamons notre rocher, notre salut », ce n’est pas de la poésie : c’est une profession de foi. Une foi qui s’appuie sur l’expérience du désert : à Massa et Meriba, le peuple a douté que Dieu lui donne les moyens de survivre… Mais Dieu a quand même fait couler l’eau du Rocher ; et, désormais, on rappellera souvent cet épisode en disant de Dieu qu’il est le « Rocher » d’Israël.
Ce choix résolu de la confiance est à refaire chaque jour : « Aujourd’hui écouterez-vous sa parole ? » Il faut lire cette phrase comme très libérante : chaque jour est un jour neuf, aujourd’hui, tout est de nouveau possible.
Chaque jour nous pouvons réapprendre à « écouter », à « faire confiance » : c’est pour cela que ce psaume 94/95 est le premier chaque matin dans la liturgie des Heures ; et que chaque jour les juifs récitent deux fois leur profession de foi (le Shema Israël) qui commence par ce mot « Ecoute ». Et le « Chant du Serviteur » d’Isaïe (cité plus haut) le dit bien : « Le SEIGNEUR Dieu m’a donné une langue de disciple… Matin après matin, il me fait dresser l’oreille, pour que j’écoute, comme les disciples. » (Is 50,4).
Dernière remarque, le psaume parle au pluriel : « Aujourd’hui écouterez-vous sa parole ? »… Cette conscience de faire partie d’un peuple était très forte en Israël ; quand le psaume 94/95 dit : « Nous sommes le peuple que Dieu conduit », c’est l’expérience qui parle ; dans toute son histoire, on pourrait dire qu’Israël parle au pluriel. « Entrez, inclinez-vous, prosternez-vous » sous-entendu sans vous demander où vous en êtes chacun dans votre sensibilité croyante ; nous touchons peut-être là un des problèmes de l’Eglise actuelle : dans la Bible, c’est un peuple qui vient à la rencontre de son Dieu… « Venez, crions de joie pour le SEIGNEUR, acclamons notre rocher, notre salut ! »
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Compléments
Le récit du paradis terrestre, lui-même, peut se lire à la lumière de cette réflexion d’Israël sur la foi, à partir de l’épisode de Massa et Meriba : pour Adam, c’est-à-dire chacun d’entre nous, la question de confiance peut se poser sous la forme d’un obstacle, une limitation de nos désirs (par exemple la maladie, le handicap, la perspective de la mort)… Ce peut être aussi un commandement à respecter, qui limite apparemment notre liberté, parce qu’il limite nos désirs d’avoir, de pouvoir… La foi, alors, c’est la confiance que, même si les apparences sont contraires, Dieu nous veut libres, vivants, heureux et que de nos situations d’échec, de frustration, de mort, il fera jaillir la liberté, la plénitude, la résurrection.
Pour certains d’entre nous la question de confiance se pose chaque fois que nous ne trouvons pas de réponse à nos interrogations : accepter de ne pas tout savoir, de ne pas tout comprendre, accepter que les voies de Dieu nous soient impénétrables exige parfois de nous une confiance qui ressemble à un chèque en blanc… Il ne nous reste plus qu’à dire comme Pierre à Césarée, « Seigneur, à qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle ».
Quand Saint Paul dit dans la lettre aux Corinthiens « Laissez-vous réconcilier avec Dieu » on peut traduire « Cessez de lui faire des procès d’intention, comme à Massa et Meriba » ou quand Marc dit dans son Evangile « Convertissez-vous et croyez à la Bonne Nouvelle », on peut traduire « croyez que la Nouvelle est bonne », c’est-à-dire croyez que Dieu vous aime, qu’il n’est que bienveillant à votre égard.

 


DEUXIEME LECTURE – Première lettre de l’apôtre Paul aux Corinthiens 7,32-35

Frères,
32 j’aimerais vous voir libres de tout souci.
Celui qui n’est pas marié a le souci des affaires du Seigneur,
il cherche comment plaire au Seigneur.
33 Celui qui est marié a le souci des affaires de ce monde,
il cherche comment plaire à sa femme,
et il se trouve divisé.
34 La femme sans mari,
ou celle qui reste vierge,
a le souci des affaires du Seigneur,
afin d’être sanctifiée dans son corps et son esprit.
Celle qui est mariée a le souci des affaires de ce monde,
elle cherche comment plaire à son mari.
35 C’est dans votre intérêt que je dis cela ;
ce n’est pas pour vous tendre un piège,
mais pour vous proposer ce qui est bien,
afin que vous soyez attachés au Seigneur sans partage.


ETRE ATTACHES AU SEIGNEUR SANS PARTAGE …
« Etre attachés au Seigneur sans partage », décidément, c’est la seule chose qui compte pour Saint Paul ; il faut garder en mémoire la belle formule que nous avons lue dimanche dernier : « Le temps est limité », littéralement « le temps a cargué ses voiles » comme un navire qui arrive au port. Traduisez « l’histoire humaine arrive à son terme, le Christ vient accomplir le dessein de Dieu, c’est-à-dire nous réunir tous en lui. »
Mais on pouvait très bien s’appuyer sur cette imminence du Royaume pour tomber dans deux excès contraires, et apparemment, les Corinthiens n’y échappaient pas : certains se livrant à la débauche, sous prétexte que « seul le royaume compte et que ce que l’on fait dans la vie quotidienne ne compte pas, on peut donc faire tout ce qu’on veut, Jésus nous a libérés » ; d’autres au contraire, méprisant la sexualité, se prenant pour des « surhommes », prêchant la continence à tout prix et soutenant « qu’il est bon pour l’homme de s’abstenir de la femme » (c’est au début du chapitre 7).
Nous avons lu au deuxième dimanche la réponse de Paul aux débauchés : elle était on ne peut plus claire : « Frères, fuyez l’impureté… Ne le savez-vous pas ? Votre corps est le temple de l’Esprit Saint, qui est en vous et que vous avez reçu de Dieu… » (1 Co 6,18-19). Ici il s’attaque à l’excès inverse : ceux qui prêchent la continence absolue dans le mariage ou plus radicalement le célibat ; il a commencé très prudemment en précisant en début de chapitre qu’il ne fait que répondre à des questions qu’on lui a posées : « Venons-en à ce que vous m’avez écrit » (7,1).
Il a d’autant plus de raisons d’être prudent que la question du célibat était déjà très controversée chez les Juifs : pendant des siècles, la méditation des phrases de la Genèse « Il n’est pas bon pour l’homme d’être seul » (Gn 2,18) et « Soyez féconds et prolifiques » (Gn 1,28) avait conduit à considérer que le seul état de vie normal pour le croyant était le mariage ; à tel point que les eunuques ne pouvaient ni être prêtres (Lv 21,20), ni même entrer dans l’assemblée du Seigneur (Dt 23,2). Et la stérilité était ressentie comme une honte et une malédiction : « Dieu a enfin enlevé mon opprobre », s’écrie Rachel en mettant au monde son premier fils (Gn 30,23).
Après l’Exil à Babylone, ce mépris pour les célibataires et les eunuques s’était estompé dans les textes bibliques. On en a la preuve dans un texte du prophète Isaïe après l’Exil à Babylone : on avait ouvert les portes des synagogues aux eunuques s’ils désiraient vraiment s’agréger à la communauté des croyants. (cf Is 56,3-5 et Sg 3,14). Mais l’opinion populaire est restée longtemps réticente au choix délibéré pour le célibat ; Paul, lui, lutte certainement contre ce mépris ; il n’a d’ailleurs de mépris pour personne, ni pour les gens mariés, ni pour les célibataires.
… QUEL QUE SOIT NOTRE ETAT DE VIE
Il ne fait pas non plus de théorie : il ne nous propose pas un cours sur le mariage, le célibat et la vie sexuelle en général ; il veut encore moins donner de directives contraignantes : « Je ne veux pas vous prendre au piège, mais vous proposer ce qui est bien… c’est votre intérêt à vous que je cherche » ; seulement, il constate : il y a des célibataires qui savent user de leur liberté pour se consacrer à Dieu et aux autres. Il arrive également que la vie du couple occupe tellement l’horizon des amoureux qu’ils en délaissent leur vie spirituelle ; il faut croire qu’il avait ces deux sortes d’exemples sous les yeux…
Paul avait également rencontré des couples mariés auxquels le Baptême de l’un des deux avait posé des problèmes insurmontables : il en a parlé explicitement dans les versets précédents. Car lorsqu’un couple entendait parler de la foi chrétienne, il arrivait que l’un des deux se convertisse et pas l’autre : comment dans ce cas le nouveau baptisé pouvait-il être attaché au Seigneur sans partage ?
Mais l’inverse peut se produire aussi : que l’amour vécu dans le mariage soit un chemin de progression dans l’amour de Dieu et des frères ; et que, au contraire, des célibataires se recroquevillent dans leur égoïsme. Deux types d’attitudes que nous connaissons bien mais que Paul préfère ne pas évoquer dans l’ambiance de mépris du célibat qui prévalait alors.
Son seul objectif est la propagation de l’évangile. A chacun de choisir l’état de vie qui lui permet d’être le plus disponible : la seule chose qui compte, c’est que nous soyons « attachés au Seigneur sans partage », car nous sommes dans les derniers temps. Cette perspective seule doit occuper notre esprit ; il dit bien : « J’aimerais vous voir libres de tout souci. » Il faut croire que c’est très important pour lui puisque le mot « souci » revient cinq fois dans ce court passage ! On entend résonner ici la phrase de la lettre aux Philippiens (Phi 4,5-7) : « Le Seigneur est proche. N’entretenez aucun souci, mais, en toute occasion, par la prière et la supplication accompagnée d’action de grâce, faites connaître vos demandes à Dieu. Et la paix de Dieu, qui surpasse toute intelligence, gardera vos coeurs et vos pensées en Jésus-Christ. »
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Complément
Le célibat volontaire, jusque-là inconnu dans le Judaïsme, avait fait son apparition à Qumran, dans un milieu qui, précisément, vivait ardemment l’attente du Jour de Dieu.


EVANGILE – selon saint Marc 1,21-28

21 Jésus, accompagné de ses disciples,
arrive à Capharnaüm.
Aussitôt, le jour du sabbat,
il se rendit à la synagogue, et là, il enseignait.
22 On était frappé par son enseignement,
car il enseignait en homme qui a autorité,
et non pas comme les scribes.
23 Or, il y avait dans leur synagogue
un homme tourmenté par un esprit impur,
qui se mit à crier :
24 « Que nous veux-tu, Jésus de Nazareth ?
Es-tu venu pour nous perdre ?
Je sais qui tu es :
Tu es le Saint de Dieu. »
25 Jésus l’interpella vivement :
« Tais-toi ! Sors de cet homme. »
26 L’esprit impur le fit entrer en convulsions,
puis, poussant un grand cri, sortit de lui.
27 Ils furent tous frappés de stupeur
et se demandaient entre eux :
« Qu’est-ce que cela veut dire ?
Voilà un enseignement nouveau, donné avec autorité !
Il commande même aux esprits impurs,
et ils lui obéissent. »
28 Sa renommée se répandit aussitôt partout,
dans toute la région de la Galilée.


UN ENSEIGNEMENT NOUVEAU
Je prends le texte dans l’ordre : Jésus vient tout juste de recruter ses quatre premiers disciples au bord de ce que nous appelons aujourd’hui le lac de Tibériade : Simon et André son frère, d’abord, puis Jacques et Jean, les fils de Zébédée. Avec eux, il « arrive à Capharnaüm. Aussitôt, le jour du sabbat, il se rend à la synagogue » : rien de plus normal pour un Juif ; Marc note ici l’enracinement de Jésus dans le monde juif, dans la tradition de son peuple. Quand ce même Jésus a commencé à parcourir la Galilée en proclamant : « Le temps est accompli, le Règne de Dieu s’est approché » (Mc 1,15), il s’inscrivait bien dans l’attente de son peuple, dans la continuité du projet de Dieu sur Israël. Et là, dans la synagogue de Capharnaüm, il se met à enseigner. Rien de plus normal, non plus : tout Juif avait le droit de se présenter pour commenter les Ecritures qui venaient d’être lues.
Mais il semble bien que Marc ait voulu concentrer l’intérêt du lecteur sur l’enseignement de Jésus, puisque les mots « enseigner » et « enseignement » reviennent quatre fois en quelques lignes : au début du texte « Jésus se rendit à la synagogue, et là, il enseignait. On était frappé par son enseignement, car il enseignait en homme qui a autorité, et non pas comme les scribes. » Et à la fin du texte : « Tous s’interrogeaient : Qu’est-ce que cela veut dire ? Voilà un enseignement nouveau, proclamé avec autorité ! » Peut-être, parmi les assistants, certains ont-ils pensé à la promesse que Dieu avait faite à Moïse : « Je ferai se lever au milieu de leurs frères un prophète comme toi ; je mettrai dans sa bouche mes paroles. » (Dt 18,18 ; notre première lecture de ce dimanche).
C’est donc au coeur même de cet enseignement de Jésus que Marc note une rupture, une nouveauté : l’histoire du monde vient de basculer ; à l’enseignement des scribes vient de se substituer celui du Sauveur ; et on va en avoir tout de suite la preuve, car Marc ne nous rapporte pas ce que Jésus a bien pu dire, mais, bien mieux, entre ces deux insistances sur l’étonnant enseignement de ce nouveau venu, Marc décrit l’expulsion d’un démon, ce que nous appellerions aujourd’hui un « exorcisme ». Ce qui veut dire que pour Marc les deux facettes de l’oeuvre de Jésus (enseignement et exorcisme) vont ensemble ; ou même que le meilleur des enseignements est l’action, la vraie, celle qui libère l’homme de toute forme de mal.
Et tout ceci, nous l’avons vu, se passe à la synagogue (Marc le précise deux fois) et, qui plus est, un jour de sabbat, ce qui n’est pas non plus sans importance ! Puisque le sabbat était le jour par excellence où l’on célébrait l’action du Dieu créateur et libérateur. En Jésus, Marc nous montre le Père libérant l’homme de tous les démons qui le possèdent : les temps sont accomplis, oui, puisque le Mal est vaincu.*
MIEUX QU’UN ENSEIGNEMENT, UNE LIBERATION
Il y avait donc ce jour-là, parmi les croyants réunis à la synagogue, un homme possédé d’un esprit impur ; Jésus ne l’agresse pas, mais l’esprit impur, lui, se sent agressé par cette seule présence. Car ce face à face avec le Dieu Saint lui est intolérable, lui qui est l’impur, c’est-à-dire en grec le contraire même, l’incompatible avec le Dieu Saint. Et c’est lui qui crie, annonçant lui-même sa défaite : « Que nous veux-tu, Jésus de Nazareth ? Es-tu venu pour nous perdre ? Je sais fort bien qui tu es : le Saint, le Saint de Dieu. » (v. 24). L’esprit impur a tout compris, son interrogation « Es-tu venu pour nous perdre ? » n’en est pas une. Mis en présence de Celui qui sauve les hommes de tout mal, il se démasque lui-même, reconnaissant l’autorité de Jésus.
Cette fois, Jésus hausse le ton : « Silence ! Sors de cet homme. » Et il emploie pour cela un verbe étonnant que nous retrouverons (adressé à la mer déchaînée) dans le récit de la tempête apaisée : « Sois muselé » (phimoô).
Mais pourquoi Jésus commande-t-il à l’esprit impur de se taire ? Il s’agit peut-être de ce que l’on appelle le « secret messianique » : Jésus ne voulant pas que le mystère de sa personne soit divulgué trop tôt, avant que ses disciples ne soient prêts à l’entendre. Plus simplement, ce ne sont pas des belles paroles que Jésus attend : car une déclaration, même exacte, ne constitue pas forcément une profession de foi ; et comme très souvent dans les évangiles, ce sont les démons qui font les plus belles déclarations.
Encore un cri de l’esprit impur et cette fois l’homme possédé est délivré ; alors les langues se délient pour reconnaître l’importance de l’événement : « Saisis de frayeur, tous s’interrogeaient : Qu’est-ce que cela veut dire ? Voilà un enseignement nouveau, proclamé avec autorité ! Il commande même aux esprits mauvais, et ils lui obéissent. » (v. 27). Le récit de Marc se clôt donc sur une question : « Qu’est-ce que cela veut dire ? » C’est bien le rôle des miracles et des actes de puissance de Jésus en général : ils interrogent, ils font signe.
Reprenons maintenant l’ensemble du texte du point de vue de ses lecteurs : parce qu’un texte, quel qu’il soit, et un évangile plus que tout autre, vise toujours des lecteurs. Quand Marc écrit son évangile, bien des années après la résurrection de Jésus, il propose à ses lecteurs chrétiens une contemplation qui doit les encourager à tenir bon dans la foi : un peu comme si Marc leur disait « les quatre disciples qui accompagnent Jésus dès le début de son enseignement et de ses oeuvres, c’est l’Eglise naissante ; eh bien, c’est vous qui êtes appelés désormais à annoncer cette Bonne Nouvelle à toute l’humanité ; (ce que laisse entendre ce chiffre de quatre).
Vous êtes cette Eglise désormais détachée du Judaïsme, (il faudrait dire déchirée), et dont le déchirement était en germe, déjà, dans l’opposition latente entre Jésus et les scribes. Mais vous pouvez faire confiance à Celui dont la Parole efficace a déjà vaincu les forces du Mal. Celui-ci, il est vrai, agite encore l’humanité et même le peuple croyant ; mais ses cris même et son agitation sont les convulsions de la fin : le Mal est vaincu depuis la Résurrection du Christ. Mes frères, la vérité du Christ, son autorité, vous en êtes les dépositaires ; avec lui, à votre tour, vous musellerez les forces du Mal. »
A la synagogue de Capharnaüm, les contemporains de Jésus se sont étonnés (« Saisis de frayeur, tous s’interrogeaient : Qu’est-ce que cela veut dire ? Voilà un enseignement nouveau, proclamé avec autorité ! Il commande même aux esprits mauvais, et ils lui obéissent. »), mais pour les lecteurs de Marc, comme pour nous aujourd’hui, il s’agit d’aller plus loin : il s’agit de croire en celui qui seul peut libérer l’humanité de toutes les forces du Mal.
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Note
« Si c’est par l’Esprit de Dieu que je chasse les démons, alors le règne de Dieu vient de vous atteindre. » (Mt 12,28).


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