Devenir disciple à la suite de saint Matthieu

Comme chaque année liturgique A, c’est l’Évangile selon saint Matthieu qui est prioritairement lu le dimanche. Retour sur cette figure et son message avec le P. Alain de Boudemange, prêtre de la communauté de l’Emmanuel et du diocèse de Versailles, auteur d’une thèse de doctorat en théologie sur l’école de Jésus dans l’Évangile de Matthieu, enseignant chercheur à l’Université catholique de l’Ouest (UCO). Par Florence de Maistre.

Que savons-nous de la figure de saint Matthieu ?

Saint Matthieu

Nous ne disposons que de très peu d’éléments sur lui. Il apparaît dans les quatre listes des douze apôtres : dans l’Évangile de Matthieu, Marc, Luc et dans le livre des Actes des apôtres. Il figure au milieu de chacune. Tout le monde est d’accord pour dire qu’il est l’un des douze. Quant à la question de savoir qui est ce Matthieu, les évangiles divergent ou plutôt ne le présentent pas sous le même nom. Chez Marc et Luc, il est simplement présent dans la liste et c’est tout. Un publicain de Capharnaüm est évoqué par ailleurs. Son nom est Lévi et il suit Jésus. D’après eux, il s’agit de deux personnes différentes. Dans le premier Évangile [dans l’ordre des livres du Nouveau Testament] dit de Matthieu, le publicain n’est pas Lévi, mais il s’appelle Matthieu. Dans la liste des douze, au chapitre 10, il est directement précisé : Matthieu le publicain. Le premier Évangile fait ce lien explicite entre le publicain de Capharnaüm et l’apôtre. D’après les historiens, si la figure de Matthieu est traitée de façon différente, c’est probablement du fait que le premier Évangile soit écrit par Matthieu lui-même. C’est aussi une donnée de la tradition ancienne, de la moitié du IIe siècle. Saint Irénée révèle le lien entre l’Évangile de Matthieu et son auteur. Disciple de saint Polycarpe, lui-même disciple de saint Jean apôtre, il en avait eu directement connaissance ou l’avait déduit.

Qu’est-ce que l’Évangile nous apprend encore de l’homme ?

Il est une scène au chapître 9, verset 9, de son Évangile particulièrement remarquable : la vocation de Matthieu est la plus rapide du monde ! Elle tient en un seul verset, même celles de Pierre, Jacques et Jean en prennent deux ! Il [Jésus] lui dit : « Suis-moi. » L’homme se leva et le suivit. Nous avons là un récit de vocation à l’état pur. C’est intéressant car cela nous dit quelque chose de l’homme : sa grande disponibilité pour suivre Jésus et sa spontanéité dans l’appel. Dans les versets suivants, Jésus prend son repas avec lui et d’autres publicains. À ceux qui l’interpellent Jésus répond : je ne suis pas venu appeler des justes, mais des pécheurs. Dans Matthieu, Jésus montre son attention aux pauvres, et la figure de Matthieu en est une, c’est-à-dire à ceux qui sont en dehors des clous. Avec lui, le publicain dont on ne sait s’il était riche ou pauvre, les pécheurs et les malades ont une disponibilité plus grande à l’appel du Seigneur. La devise du pape François Miserando atque eligendo [choisi parce que pardonné] est un commentaire de la vocation de saint Matthieu. La conversion est fruit de la Miséricorde en même temps que Dieu nous choisit.

Qu’est-ce qui a préparé la rencontre de Matthieu avec Jésus ?

Quand je commente ce passage d’Évangile, je dis à mes paroissiens que Matthieu est pour moi celui qui tient la barrière de péage à Saint-Arnoult-en-Yvelines. Il a un mauvais boulot, c’est un publicain, un collecteur d’impôt, un collaborateur de l’occupant Romain. A-t-il choisi ce travail ? Nous ne le savons pas. Il encaisse les taxes, comme à l’entrée d’un péage. Rien de passionnant. On imagine facilement que l’agent autoroutier reçoit plus de mépris que de sourire dans une journée. D’une certaine manière, on comprend que Matthieu ait envie de répondre à l’appel de Jésus. Son cœur devait être ouvert à ce désir.

Qu’en est-il de sa vocation ?

On peut comparer, comme le fait Pierre-Yves Gomez fondateur du parcours Zachée [parcours de formation pour mettre en pratique au quotidien la doctrine sociale de l’Église], les figures de deux publicains, Matthieu et Zachée que l’on trouve dans l’Évangile de Luc. Tous deux sont collecteurs d’impôts. Le premier à Capharnaüm est vu comme un pauvre pécheur, le second à Jéricho est un homme riche. Tous deux vont suivre Jésus, mais avec une vocation et un comportement différents. Après sa rencontre avec Jésus, Zachée va poursuivre son travail, mais de manière plus juste. Voici, Seigneur : je fais don aux pauvres de la moitié de mes biens, et si j’ai fait du tort à quelqu’un, je vais lui rendre quatre fois plus. Il va continuer de se faire mépriser et devoir vivre sa vocation en restant dans le monde. Quant à Matthieu, il a une vocation d’apôtre, de missionnaire. Il quitte son boulot, suit Jésus et l’on n’en sait pas beaucoup plus sur lui. Pour les douze, la rencontre avec Jésus est radicale, ils changent de vie. Cette mise en perspective permet de nourrir une réflexion, de méditer sur la question de la vocation et d’aller plus loin que ce que le texte nous dit.

Qu’est-ce qui caractérise son Évangile ?

Parmi les aspects les plus marquants, on peut noter que c’est l’Évangile le plus attenant, dans la continuité avec l’Ancien Testament. L’ordre des livres de la Bible n’est pas dû au hasard. L’Évangile de Matthieu fait la jonction avec l’Ancien Testament. Cela dit quelque chose de ce qui ce passe entre les deux Testaments. Concrètement, Matthieu insiste sur le fait que Jésus vient accomplir l’Ancien Testament, son Évangile contient le plus de citations d’accomplissement du type : C’était pour que s’accomplisse (…) ou encore comme ces dimanches avant l’entrée en Carême : Ne pensez pas que je sois venu abolir la Loi ou les Prophètes : je ne suis pas venu abolir, mais accomplir. Cet aspect est très clair chez Matthieu. Les exégètes disent que cet Évangile était peut-être destiné aux premiers chrétiens d’origine juive, mais je pense que même ceux d’origine païenne n’étaient pas idiots : ils pouvaient avoir également lu les Écritures saintes. Deuxième grande caractéristique : l’attention à l’enseignement de Jésus. L’Évangile de saint Matthieu est construit autour de cinq grands enseignements. Cinq fois de suite Jésus fait un vrai discours structuré qui se conclut par Il advint. Dans les chapitres 5, 6 et 7, c’est le sermon sur la montagne, dans lequel Jésus indique comment se comporter en chrétien. Dans le chapitre 10, il fait un discours missionnaire. Dans le chapitre 13, Jésus est semeur de paraboles. Dans le 18, c’est le discours ecclésiastique, c’est-à-dire sur la vie en communauté de frères. Matthieu est le seul qui utilise le mot Église. Le cinquième grand thème se trouve aux chapitres 24 et 25, c’est le discours eschatologique. Telle est la colonne vertébrale de l’Évangile de Matthieu.

À quoi saint Matthieu est-il encore particulièrement attentif ?

La troisième grande caractéristique de son Évangile est l’attention à la mission. Elle est, chez Matthieu, perçue comme complètement liée à la vie communautaire, à la vie de l’Église. Ces deux thèmes sont inséparables pour lui. De nombreux passages les évoquent tout au long de l’Évangile et le rythment. Prenons symboliquement les trois derniers versets lorsque Jésus a ces paroles : Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre. Allez ! De toutes les nations faites des disciples : baptisez-les au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit, apprenez-leur à observer tout ce que je vous ai commandé. Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde. Où l’on voit que partir en mission est fondamental, de même qu’intégrer les disciples à cette communauté qu’est l’Église. Tout l’Évangile de Matthieu est fait pour que le lecteur devienne disciple en ce sens et fasse partie de la communauté. L’enseignement de Jésus n’est pas présenté comme une leçon à apprendre, mais il est rédigé de façon à ce qu’à sa lecture nous soyons faits disciples.

Qu’est-ce qui vous touche dans cette approche ?

Tous les points déjà évoqués, dont j’ai envie de témoigner. Je peux ajouter le fait qu’ils sont sous-tendus par un vrai appel à l’humilité et à la simplicité. On a l’habitude de dire que l’Évangile de Luc est celui de la miséricorde, qu’il nous invite à cette attention aux plus pauvres. Celui de Matthieu nous invite à reconnaître notre propre pauvreté, au regard du thème développé des enfants ou de l’entrée dans le royaume de Dieu. Certes, c’est une dimension également présente dans les autres Évangiles, mais ce chemin d’humilité tel qu’il est présenté aux chapitres 18, 19 et 20, dans le discours sur la vie communautaire me marque. C’est un grand chemin sur lequel Jésus nous appelle, beau, profondément simple et humble. Il y a aussi une espèce d’humilité de Matthieu qui se cache derrière son Évangile. Au fond, de l’auteur on ne saura pas grand-chose, mais ce n’est pas décisif pour notre foi. Ce qui est fondamental, c’est accéder à l’Évangile qu’il nous transmet, le lire et se laisser transformer !

ça peut aussi vous intéresser

  • Qu’est-ce qu’une année liturgique ?

    L'année liturgique démarre ce premier dimanche de l'Avent. Explication avec le Père Bruno Mary, directeur de la Pastorale liturgique et sacramentelle.

  • Saint Luc

    Né, comme on le rapporte, à Antioche d’une famille païenne, médecin, Luc se convertit à la foi du Christ et devint le compagnon très cher de l’Apôtre saint Paul.

  • La Bonne Nouvelle de l’Evangile

    La foi ne porte pas uniquement sur de grandes idées. Elle est liée à des paroles et des faits à travers desquels le chrétien reconnaît la présence de Dieu, notamment lors du passage de son Fils[...]

année liturgique B