Document préparatoire : « Pour une église synodale, communion, participation et mission »
Document préparatoire : « Pour une église synodale, communion, participation et mission » pour la XVIe Assemblée Générale Ordinaire du Synode des évêques publié le 7 septembre 2021.
L’Église de Dieu est convoquée en Synode. Ce cheminement, sous le titre « Pour une Église synodale : communion, participation et mission », s’ouvrira solennellement les 9-10 octobre 2021 à Rome et le 17 octobre suivant dans chaque Église particulière. La célébration de la XVIème Assemblée Générale Ordinaire du Synode des Évêques, en octobre 2023 [1], constituera une étape fondamentale. Elle sera suivie de la phase de mise en œuvre qui impliquera à nouveau les Églises particulières (cf. EC, art. 19-21). Par cette convocation, le Pape François invite l’Église entière à s’interroger sur un thème décisif pour sa vie et sa mission : « Le chemin de la synodalité est précisément celui que Dieu attend de l’Église du troisième millénaire »[2]. Cet itinéraire, qui s’inscrit dans le sillage de l’“ aggiornamento ” de l’Église proposé par le Concile Vatican II, est un don et un devoir : en cheminant ensemble et en réfléchissant ensemble sur le parcours accompli, l’Église pourra apprendre, de ce dont elle fera l’expérience, quels processus peuvent l’aider à vivre la communion, à réaliser la participation et à s’ouvrir à la mission. Notre “ marche ensemble ” est, de fait, ce qui réalise et manifeste le plus la nature de l’Église comme Peuple de Dieu pèlerin et missionnaire.
Une question de fond nous pousse et nous guide : comment se réalise aujourd’hui, à différents niveaux (du niveau local au niveau universel) ce “ marcher ensemble ” qui permet à l’Église d’annoncer l’Évangile, conformément à la mission qui lui a été confiée ; et quels pas de plus l’Esprit nous invite-t-il à poser pour grandir comme Église synodale ?
Affronter ensemble cette question exige de se mettre à l’écoute de l’Esprit Saint qui, comme le vent, « souffle où il veut et tu entends sa voix, mais tu ne sais pas d’où il vient ni où il va » (Jn 3, 8), en restant ouverts aux surprises qu’il prédisposera certainement pour nous au long du chemin. Ainsi s’enclenche une dynamique qui permet de commencer à recueillir certains fruits d’une conversion synodale, qui mûriront progressivement. Il s’agit d’objectifs d’une grande importance pour la qualité de la vie ecclésiale et pour l’accomplissement de la mission d’évangélisation, à laquelle nous participons tous en vertu du Baptême et de la Confirmation. Nous en indiquons ici les principaux, qui déclinent la synodalité comme forme, comme style et comme structure de l’Église :
Faire mémoire de la façon dont l’Esprit a guidé le cheminement de l’Église dans l’histoire et nous appelle aujourd’hui à être ensemble des témoins de l’amour de Dieu.
Vivre un processus ecclésial impliquant la participation et l’inclusion de tous, qui offre à chacun – en particulier à ceux qui pour diverses raisons se trouvent marginalisés – l’opportunité de s’exprimer et d’être écoutés pour contribuer à l’édification du Peuple de Dieu.
Reconnaître et apprécier la richesse et la diversité des dons et des charismes que l’Esprit dispense librement, pour le bien de la communauté et au bénéfice de la famille humaine tout entière.
Expérimenter des modes d’exercice de la responsabilité partagée au service de l’annonce de l’Évangile et de l’engagement à construire un monde plus beau et plus habitable. ∙ Examiner la façon dont sont vécus dans l’Église la responsabilité et le pouvoir, ainsi que les structures par lesquels ils sont gérés, en faisant ressortir et en essayant de convertir les préjugés et les pratiques déviantes qui ne sont pas enracinés dans l’Évangile. ∙ Reconnaître la communauté chrétienne comme sujet crédible et comme partenaire fiable pour s’engager sur les chemins du dialogue social, de la guérison, de la réconciliation, de l’inclusion et de la participation, de la reconstruction de la démocratie, de la promotion de la fraternité et de l’amitié sociale.
Renouveler et affermir les relations entre les membres des communautés chrétiennes ainsi qu’entre les communautés et les autres groupes sociaux, par exemple des communautés de croyants d’autres confessions et religions, des organisations de la société civile, des mouvements populaires, etc.
Favoriser la valorisation et l’appropriation des fruits des récentes expériences synodales aux niveaux universel, régional, national et local.
Ce Document Préparatoire se met au service du cheminement synodal, en particulier comme instrument visant à favoriser la première phase d’écoute et de consultation du Peuple de Dieu dans les Églises particulières (octobre 2021 – avril 2022), dans l’espoir de contribuer à stimuler les idées, les énergies et la créativité de tous ceux qui prendront part à cet itinéraire et faciliter ainsi la mise en commun des fruits de leur engagement. À cette fin : 1) il commence par esquisser quelques caractéristiques saillantes du contexte contemporain ; 2) il illustre de manière synthétique les références théologiques fondamentales pour une compréhension et pratique correctes de la synodalité ; 3) il propose plusieurs passages bibliques qui pourront nourrir la méditation et la réflexion priante au long de ce chemin ; 4) il met en lumière certaines perspectives à partir desquelles relire les expériences de synodalité vécue ; 5) il expose quelques pistes pour enraciner ce travail de relecture dans la prière et dans le partage. Pour accompagner concrètement l’organisation des travaux, ce Document Préparatoire est accompagné d’un Vademecum avec des propositions méthodologiques ; celui-ci est disponible sur le site internet dédié à ce synode[3]. Ce site offre de nombreuses ressources pour approfondir ce thème de la synodalité, et pour accompagner ce Document Préparatoire ; parmi celles-ci, nous en signalons deux, plusieurs fois citées ci-après : le Discours pour la Commémoration du 50ème anniversaire de l’institution du Synode des Évêques, prononcé par le Pape François le 17 octobre 2015, et le document intitulé La synodalité dans la vie et dans la mission de l’Église, élaboré par la Commission Théologique Internationale et publié en 2018.
I. L’appel à marcher ensemble
4. Le chemin synodal se déroule au sein d’un contexte historique marqué par des changements majeurs dans la société et par une étape cruciale dans la vie de l’Église, qu’il n’est pas possible d’ignorer : c’est dans les replis de la complexité de ce contexte, dans ses tensions mêmes et ses contradictions, que nous sommes appelés à « scruter les signes des temps et les interpréter à la lumière de l’Évangile » (GS, n° 4). Nous esquissons ici quelques éléments-clés du paysage global qui sont plus étroitement liés au thème du Synode, mais cette description devra être sera enrichie et complétée au niveau local en fonction de chaque contexte propre.
Une tragédie globale comme la pandémie de Covid-19, « a réveillé un moment la conscience que nous constituons une communauté mondiale qui navigue dans le même bateau, où le mal de l’un porte préjudice à tout le monde. Nous nous sommes rappelés que personne ne se sauve tout seul, qu’il n’est possible que de se sauver ensemble » (FT, n° 32). En même temps, la pandémie a fait exploser les inégalités et les injustices déjà existantes : l’humanité apparaît toujours plus secouée par des processus de massification et de fragmentation ; la condition tragique que vivent les migrants dans toutes les régions du monde témoigne de la hauteur et de la solidité des barrières qui divisent encore l’unique famille humaine. Les Encycliques Laudato si’ et Fratelli Tutti explicitent la profondeur des fractures qui parcourent l’humanité, et nous pouvons nous référer à ces analyses pour nous mettre à l’écoute de la clameur des pauvres et de la clameur de la terre et reconnaître les semences d’espérance et d’avenir que l’Esprit continue à faire germer à notre époque : « Le Créateur ne nous abandonne pas, jamais il ne fait marche arrière dans son projet d’amour, il ne repent pas de nous avoir créés. L’humanité possède encore la capacité de collaborer pour construire notre maison commune » (LS, n° 13).*
Cette situation, qui, malgré de grandes différences selon les lieux, concerne de fait la famille humaine tout entière, est un défi pour l’Église dans sa capacité d’accompagner les personnes et les communautés à relire des expériences de lutte et de souffrance. Expériences qui ont permis de démasquer de nombreuses fausses sécurités et de cultiver l’espérance et la foi en la bonté du Créateur et de sa création. Nous ne pouvons toutefois pas nous cacher que l’Église elle-même doit affronter le manque de foi et la corruption jusqu’en son sein-même. En particulier, nous ne pouvons pas oublier la souffrance vécue par des personnes mineures et des adultes vulnérables « à cause d’abus sexuels, d’abus de pouvoir et de conscience commis par un nombre important de clercs et de personnes consacrées »[4]. Nous sommes continuellement interpellés « en tant que Peuple de Dieu d’assumer la douleur de nos frères blessés dans leur chair et dans leur esprit »[5] : pendant trop longtemps, l’Église n’a pas su suffisamment écouter le cri des victimes. Il s’agit de blessures profondes, difficiles à guérir, et pour lesquelles nous ne demanderons jamais assez pardon ; et qui constituent des obstacles, parfois imposants, à procéder dans la ligne du “ cheminer ensemble ”. L’Église tout entière est appelée à reconnaître le poids d’une culture imprégnée de cléricalisme, héritage de son histoire, et avec pour conséquences des formes d’exercice de l’autorité sur lesquelles se greffent différents types d’abus (de pouvoir, économiques, de conscience, sexuels). « Une conversion de l’agir ecclésial sans la participation active de toutes les composantes du Peuple de Dieu » [6] est impensable : demandons ensemble au Seigneur « la grâce de la conversion et l’onction intérieure pour pouvoir exprimer, devant ces crimes d’abus, notre compassion et notre décision de lutter avec courage » [7].
En dépit de nos infidélités, l’Esprit continue à agir dans l’histoire et à manifester sa puissance vivifiante. C’est précisément dans les sillons creusés par les souffrances en tout genre endurées par la famille humaine et par le Peuple de Dieu que de nouveaux langages de la foi sont en train de germer, ainsi que de nouveaux parcours capables non seulement d’interpréter les événements d’un point de vue théologal, mais de trouver dans l’épreuve les raisons pour refonder le chemin de la vie chrétienne et ecclésiale. Le fait que de nombreuses Églises aient déjà entrepris des rencontres et lancé des processus plus ou moins structurés de consultation du Peuple de Dieu constitue un motif de grande espérance. Là où ceux-ci ont été organisés dans un style synodal, le sens de l’Église a refleuri et la participation de tous a donné un nouvel élan à la vie ecclésiale. Le désir des jeunes d’agir à l’intérieur de l’Église et la demande d’une plus grande valorisation des femmes trouvent également une confirmation, ainsi que leur requête d’espace de participation à la mission de l’Église, déjà signalés par les Assemblées synodales de 2018 et de 2019. C’est également dans cette perspective que s’inscrit la récente institution du ministère laïc de catéchiste et l’ouverture aux femmes de l’accès aux ministères institués du lectorat et de l’acolytat.
Nous ne pouvons pas ignorer la diversité des conditions dans lesquelles vivent les communautés chrétiennes dans les diverses régions du monde. À côté de pays où l’Église accueille la majorité de la population et représente une référence culturelle pour la société tout entière, il en existe d’autres où les catholiques ne représentent qu’une minorité ; dans certains d’entre eux, les catholiques, avec les autres chrétiens, endurent des persécutions parfois très violentes, et bien souvent le martyre. Si, d’une part, une mentalité sécularisée domine et tend à expulser la religion de l’espace public, de l’autre, un intégrisme religieux qui ne respecte pas la liberté d’autrui alimente des formes d’intolérance et de violence qui se reflètent aussi dans la communauté chrétienne et dans ses rapports avec la société. Il n’est pas rare de voir les chrétiens adopter les mêmes attitudes, fomentant aussi les divisions et les oppositions jusque dans l’Église. Il faut aussi tenir compte de la façon dont se reflètent au sein de la communauté chrétienne et dans ses rapports avec la société les fractures qui parcourent cette dernière, pour des raisons ethniques, raciales, de caste ou à travers d’autres formes de stratification sociale ou de violence culturelle et structurelle. Ces situations impactent profondément la signification de l’expression “ marcher ensemble ” et les possibilités concrètes de le réaliser.
Dans ce contexte, la synodalité constitue la voie royale pour l’Église, appelée à se renouveler sous l’action de l’Esprit et grâce à l’écoute de la Parole. La capacité d’imaginer un futur différent pour l’Église et pour ses institutions, à la hauteur de la mission qu’elle a reçue, dépend pour une large part du choix d’entreprendre des processus d’écoute, de dialogue et de discernement communautaire, auxquels tous et chacun peuvent participer et contribuer. En même temps, le choix de “ marcher ensemble ” est un signe prophétique pour une famille humaine qui a besoin d’un projet commun, en mesure de rechercher le bien de tous. Une Église capable de communion et de fraternité, de participation et de solidarité, dans la fidélité à ce qu’elle annonce, pourra se placer aux côtés des pauvres et des plus petits et leur prêter sa voix. Pour “ marcher ensemble ”, il est nécessaire que nous laissions l’Esprit forger en nous une mentalité vraiment synodale, en entrant avec courage et avec une liberté de cœur dans un processus de conversion sans lequel cette « réforme continue dont elle [l’Église] a toujours besoin en tant qu’institution humaine et terrestre » (UR, n° 6 ; cf. EG, n° 26) ne sera pas possible.
II. Une Église constitutivement synodale
- « Ce que le Seigneur nous demande, en un certain sens, est déjà entièrement contenu dans le mot “ Synode ” »[8], qui « est un mot ancien et vénéré dans la Tradition de l’Église, dont la signification évoque les contenus les plus profonds de la Révélation »[9]. C’est le « Seigneur Jésus qui se présente lui-même comme “ le chemin, la vérité et la vie ” (Jn 14, 6) », et « les chrétiens, à sa suite, sont à l’origine appelés “ les disciples de la Voie ” (cf. Ac 9, 2 ; 19, 9.23 ; 22, 4 ; 24, 14.22) »[10]. Dans cette perspective, la synodalité est bien plus que la célébration de rencontres ecclésiales et d’assemblées d’évêques, ou qu’une question de simple organisation interne à l’Église ; elle « désigne le modus vivendi et operandi spécifique de l’Église Peuple de Dieu qui manifeste et réalise concrètement sa communion en cheminant ensemble, en se rassemblant en assemblée et par la participation active de tous ses membres à sa mission évangélisatrice »[11]. Ainsi s’imbriquent ce qui constituent les piliers d’une Église synodale : communion, participation et mission. Dans ce chapitre, nous illustrons synthétiquement plusieurs références théologiques fondamentales sur lesquelles se fonde cette perspective.
- Durant le premier millénaire, “ marcher ensemble ”, c’est-à-dire pratiquer la synodalité, constituait la façon de procéder habituelle de l’Église conçue comme « Peuple rassemblé par l’unité du Père, du Fils et du Saint-Esprit »[12]. À ceux qui divisaient le corps ecclésial, les Pères de l’Église opposaient la communion des Églises dispersées de par le monde, ce que saint Augustin qualifiait de « concordissima fidei conspiratio »[13], à savoir l’accord dans la foi de tous les baptisés. C’est ici que s’enracine le vaste développement d’une pratique synodale à tous les niveaux de l’Église – local, provincial, universel –, dont le Concile œcuménique a représenté la manifestation la plus haute. Dans cet horizon ecclésial, inspiré par le principe de participation de tous à la vie de l’Église, saint Jean Chrysostome pouvait dire : « Église et Synode sont synonymes »[14]. Durant le deuxième millénaire non plus, quand l’Église a mis davantage l’accent sur la fonction hiérarchique, cette façon de procéder n’a pas disparu : si, au Moyen-Âge et à l’époque moderne, la célébration de synodes diocésains et provinciaux est bien attestée en plus de celle des Conciles œcuméniques, lorsqu’il s’est agi de définir des vérités dogmatiques les Papes ont voulu consulter les évêques pour connaître la foi de toute l’Église, recourant ainsi à l’autorité du sensus fidei de l’ensemble du Peuple de Dieu, qui est « infaillible « in credendo » » (EG, n° 119).
- C’est à ce dynamisme de la Tradition que s’est ancrée le Concile Vatican II. Celui-ci met en relief que « le bon vouloir de Dieu a été que les hommes ne reçoivent pas la sanctification et le salut séparément (…) ; il a voulu en faire un peuple qui le connaîtrait selon la vérité et le servirait dans la sainteté » (LG, n° 9). Les membres du Peuple de Dieu ont en commun le Baptême et « même si certains, par la volonté du Christ, sont constitués docteurs, dispensateurs des mystères et pasteurs pour le bien des autres, cependant, quant à la dignité et à l’activité commune à tous les fidèles dans l’édification du corps du Christ, il règne entre tous une véritable égalité » (LG, n° 32). Par conséquent, tous les baptisés participent à la fonction sacerdotale, prophétique et royale du Christ, et « dans l’exercice de la richesse multiforme et ordonnée de leurs charismes, de leurs vocations, de leurs ministères »[15], ce sont des sujets d’évangélisation actifs, tant individuellement que comme totalité du Peuple de Dieu.
- Le Concile a souligné qu’en vertu de l’onction de l’Esprit Saint reçue au Baptême, la totalité des fidèles « ne peut se tromper dans la foi ; ce don particulier qu’elle possède, elle le manifeste moyennant le sens surnaturel de la foi qui est celui du Peuple tout entier lorsque, “ des évêques jusqu’au dernier des fidèles laïcs ”, elle apporte aux vérités concernant la foi et les mœurs un consentement universel » (LG, n° 12). C’est l’Esprit qui guide les croyants « dans la vérité tout entière » (Jn 16, 13). Par son œuvre, « cette Tradition qui vient des Apôtres progresse dans l’Église », car tout le Peuple saint de Dieu grandit dans la compréhension et dans l’expérience de « la perception des réalités aussi bien que des paroles transmises, soit par la contemplation et l’étude des croyants qui les méditent en leur cœur (cf. Lc 2, 19 et 51), soit par l’intelligence intérieure qu’ils éprouvent des réalités spirituelles, soit par la prédication de ceux qui, avec la succession épiscopale, ont reçu un charisme certain de vérité » (DV 8). De fait, ce Peuple, rassemblé par ses pasteurs, adhère au dépôt sacré de la Parole de Dieu confié à l’Église, persévère constamment dans l’enseignement des Apôtres, dans la communion fraternelle, dans la fraction du pain et dans la prière, « si bien que pour le maintien, la pratique et la profession de la foi transmise, s’établit, entre pasteurs et fidèles, un remarquable accord » (DV, nº 10).
- Les pasteurs, agissent comme d’« authentiques gardiens, interprètes et témoins de la foi de toute l’Église »[16] ; ils ne craignent donc pas de se mettre à l’écoute du Troupeau qui leur est confié : la consultation du Peuple de Dieu n’entraine pas que l’on se comporte à l’intérieur de l’Église selon des dynamiques propres à la démocratie, basées sur le principe de la majorité, car à la base de la participation à tout processus synodal se trouve la passion partagée pour la mission commune de l’évangélisation et non pas la représentation d’intérêts en conflit. En d’autres termes, il s’agit d’un processus ecclésial qui ne peut se réaliser qu’« au sein d’une communauté hiérarchiquement structurée »[17]. C’est dans le lien fécond entre le sensus fidei du Peuple de Dieu et la fonction de magistère des pasteurs que se réalise le consensus unanime de toute l’Église dans la même foi. Tout processus synodal, dans lequel les évêques sont appelés à discerner ce que l’Esprit dit à l’Église, non pas seuls mais en écoutant le Peuple de Dieu qui « participe aussi à la fonction prophétique du Christ »(LG, n° 12), est la forme évidente de ce “ marcher ensemble ” qui fait grandir l’Église. Saint Benoît souligne que « souvent le Seigneur révèle la meilleure décision »[18] à ceux qui n’occupent pas de positions importantes dans la communauté (dans ce cas le plus jeune) ; aussi les évêques auront-ils soin de toucher tout le monde pour que, dans le déroulement ordonné du chemin synodal, se réalise ce que l’Apôtre Paul recommande aux communautés : « N’éteignez pas l’Esprit, ne dépréciez pas les dons de prophétie ; mais vérifiez tout : ce qui est bon, retenez-le » (1 Th 5, 19-21).15.
- Le sens du cheminement auquel nous sommes tous appelés est avant tout celui de redécouvrir le visage et la forme d’une Église synodale où « chacun a quelque chose à apprendre. Le Peuple fidèle, le Collège épiscopal, l’Évêque de Rome, chacun à l’écoute des autres ; et tous à l’écoute de l’Esprit Saint, l’“ Esprit de Vérité ” (Jn 14, 17), pour savoir ce qu’il “ dit aux Églises ” (Ap 2, 7) »[19]. L’Évêque de Rome, comme principe et fondement de l’unité de l’Église, demande à tous les évêques et à toutes les Églises particulières, dans lesquelles et à partir desquelles existe l’une et unique Église catholique (cf. LG, n° 23), d’entreprendre avec confiance et courage le chemin de la synodalité. Dans ce “ marcher ensemble ”, nous demandons à l’Esprit de nous faire découvrir que la communion, qui assemble dans l’unité la diversité des dons, des charismes et des ministères, existe pour la mission : une Église synodale est une Église “ en sortie ”, une Église missionnaire, « aux portes ouvertes » (EG, n° 46). Cela inclut l’appel à approfondir les relations avec les autres Églises et communautés chrétiennes, auxquelles nous sommes unis par l’unique Baptême. Par ailleurs, la perspective du “ marcher ensemble ” est encore plus vaste et étreint l’humanité tout entière, dont nous partageons « les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses » (GS, n° 1). Une Église synodale est un signe prophétique surtout pour une communauté des nations incapable de proposer un projet commun, qui permettrait de poursuivre le bien de tous : pratiquer la synodalité est, aujourd’hui, pour l’Église, la façon la plus évidente d’être « sacrement universel de salut » (LG, n° 48), « signe et instrument de l’union intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain » (LG, n° 1).
III. À l’écoute des Écritures - L’Esprit de Dieu qui illumine et vivifie ce “ marcher ensemble ” des Églises est le même qui œuvre dans la mission de Jésus, promis aux Apôtres et aux générations des disciples qui écoutent la Parole de Dieu et la mettent en pratique. L’Esprit, selon la promesse du Seigneur, ne se limite pas à confirmer la continuité de l’Évangile de Jésus, mais il éclairera les profondeurs toujours nouvelles de sa Révélation et inspirera les décisions nécessaires pour soutenir le chemin de l’Église (cf. Jn 14, 25- 26 ; 15, 26-27 ; 16, 12-15). Voilà pourquoi il est opportun que notre processus de construction d’une Église synodale soit inspiré par deux “ images ” de l’Écriture. L’une émerge dans la représentation de la “ dimension communautaire ” qui accompagne constamment le chemin de l’évangélisation ; l’autre se rapporte à l’expérience de l’Esprit vécue par Pierre et la communauté primitive par laquelle ils reconnaissent le risque de mettre des limites injustifiées au partage de la foi. L’expérience synodale du marcher ensemble, à la suite du Seigneur et dans l’obéissance à l’Esprit, pourra recevoir une inspiration décisive à travers la méditation de ces deux moments de la Révélation.
Sigles
CTI Commission Théologique Internationale
DV Concile Vatican II, Const. dogm. Dei Verbum (18 novembre 1965) EC François, Const. ap. Episcopalis communio (15 septembre 2018)
EG François, Exhort. ap. Evangelii gaudium (24 novembre 2013)
FT François, Lettre Encyclique Fratelli tutti (3 octobre 2020)
GS Concile Vatican II, Const. past. Gaudium et spes (7 décembre 1965) LG Concile Vatican II, Const. dogm. Lumen gentium (21 novembre 1964) LS François, Lettre Encyclique Laudato si’ (24 mai 2015)
UR Concile Vatican II, Décr. Unitatis redintegratio (21 novembre 1964)
[2] François, Discours pour la Commémoration du 50ème anniversaire de l’institution du Synode des Évêques, 17 octobre 2015.
[3] Cf. www.synod.va
[4] François, Lettre au Peuple de Dieu (20 août 2018), introduction.
[5] Ibid, n° 2.
[6] Ibid.
[7] Ibid.
[8] François, Discours pour la Commémoration du 50ème anniversaire de l’institution du Synode des Évêques.
[9] CTI, La synodalité dans la vie et dans la mission de l’Église (2 mars 2018), n° 3.
[10] Ibid.
[11] Ibid., n° 6.
[12] Cyprien, De Oratione Dominica, 23 : PL 4, 553
[13] Augustin, Epistola 194, 31 : PL 33, 885.
[14] Jean Chrysostome, Explicatio in Psalmum 149 : PG 55, 493.
[15] CTI, n° 6.
[16] François, Discours pour la Commémoration du 50ème anniversaire de l’institution du Synode des Évêques.
[17] CTI, La synodalité dans la vie et dans la mission de l’Église, n° 69.
[18] Regula S. Benedicti, III, 3.
[19] François, Discours pour la Commémoration du 50ème anniversaire de l’institution du Synode des Évêques.
[20] CTI, La synodalité dans la vie et dans la mission de l’Église, n° 70.
[21] Ibid.
[22] François, François, Discours pour la Commémoration du 50ème anniversaire de l’institution du Synode des Évêques.
[23] François, Discours au début du Synode consacré aux jeunes (3 octobre 2018).