Mgr Gollnisch : « Le désir le plus profond est de rentrer chez soi »
Mgr Georges Pontier, archevêque de Marseille et Président de la Conférence des évêques de France, Mgr Stanislas Lalanne, évêque de Pontoise, accompagnés par Mgr Olivier Ribadeau Dumas, Secrétaire général de la CEF, et Mgr Pascal Gollnisch, Directeur de l’Oeuvre d’Orient, sont allés à la rencontre des étudiants soutenus par l’Eglise en France (16-21 avril 2016).
Quelles nouvelles des 400 étudiants à Kirkouk ?
Ils disaient leur reconnaissance, leur désir de rentrer chez eux. Les échanges ont surtout porté sur la prise en main de leur vie, de leur avenir. Certains sont coupés de leur famille pour la première fois. En effet, traditionnellement en Orient, les jeunes filles restent avec les parents. On ne part pas comme ça, quand on a 20 ans. Et les garçons sont un peu « chouchoutés », comme disait l’évêque de Kirkouk. Cuisine, ménage… Là, ils sont obligés de tout faire ! Même si les étudiants sont à plus de 80% chrétiens, il y a quelques Yézidis (minorité kurde, NDLR), voire quelques musulmans. Un chrétien me disait être au courant qu’il y en avait dans son pays, sans savoir en quoi ils croyaient ni comment ils vivaient. Aujourd’hui, il partage sa chambre avec l’un d’entre eux ! Mgr Mirkis, en favorisant le vivre ensemble chez ces étudiants, leur a fait prendre conscience de la richesse suscitée par la rencontre de l’autre. C’était assez extraordinaire ! Tous les jeunes ne font pas d’études supérieures, loin de là. Ces 400 jeunes adultes seront une force sociale considérable au service de leur pays et de leur Église. La question qui se pose maintenant est celle de la poursuite du financement pour les années suivantes.
Quels ont été les autres temps forts du voyage ?
La rencontre avec les réfugiés, même s’il y a le problème de la langue – car ils ne parlent pas toujours anglais. On peut vivre beaucoup de choses en allant dans les familles : elles nous ouvrent les bras, tout de suite. Dans la conception orientale du prêtre, celui-ci fait presque partie de la famille. L’accueil est très fort.
Un des autres moments clés a été la consécration d’une église pour les réfugiés Syriaques puis la messe célébrée par Mgr Pontier. Financée par un grand donateur de l’Œuvre d’Orient, elle a été construite en 3 semaines par une entreprise française avec laquelle nous sommes en lien. A l’origine elle devait être achevée pour Pâques, mais des problèmes administratifs ont retardé le début des travaux.
Vous avez contribué à loger des réfugiés dans un centre commercial…
Oui, c’est une collaboration avec le Ministère des Affaires étrangères. Erbil a connu une phase de développement économique incroyable. Il y a des tours comme à La Défense ! Ce n’est pas un petit village de montagne. Puis, la ville a subi un affaiblissement économique en raison de la chute des cours du pétrole. Beaucoup d’immeubles sont inachevés,. Nous essayons de les transformer les espaces commerciaux vacants en petits logements pour les réfugiés. C’est un beau projet pour de nombreuses familles. Dans cet exemple précis, le rez-de-chaussée et le 1er étage sont un grand magasin, les 4e et 5e étages sont déjà des logements et les 2e et 3e le seront bientôt.
La délégation a rencontré les responsables des Eglises ?
L’Irak compte deux Eglises unies à Rome : chaldéenne, la plus importante, et syriaque. Nous avons rencontré 3 évêques : l’évêque chaldéen d’Erbil, Mgr Bachar Warda, qui a pu parler de ses projets, l’évêque syriaque à Erbil, Mgr Petrus Moshé – qui est en fait l’évêque de Mossoul en exil – et l’évêque de Kirkouk, Mgr Youssef Thomas Mirkis. Il était important, je crois, que les évêques français puissent dialoguer avec leurs confrères en Irak. Nous avons aussi pu avoir de beaux échanges sur la situation avec le Patriarche chaldéen SB Louis Raphaël Ier Sako, un homme parfaitement francophone et extrêmement sympathique. Cela a été un grand moment de joie.
Nous avons également rencontré les séminaristes au Patriarcat où nous logions qui fait office de séminaire pour l’Irak. Pendant une soirée, les séminaristes ont pu parler avec Mgr Pontier, Mgr Lalanne et Mgr Ribadeau Dumas. Le travail des Eglises se fait aussi à travers les congrégations. Nous n’avons pas pu voir toutes les religieuses mais les évêques ont été témoins de leur travail de fond, aussi bien en direction de la jeunesse que des personnes âgées.
Nous avons été reçus par le Consul de France qui très présent localement et avec qui nous entretenons des liens confiants, d’amitié presque. Et nous nous sommes rendus à Radio Al-Salam – radio de la paix. Elle est dédiée aux réfugiés et émet en chaldéen-araméen, en arabe et parfois en kurde.
Comment la délégation a-t-elle réagi à ces rencontres ?
Mgr Pontier et Mgr Lalanne sont des pasteurs. Savoir qu’il y a 120.000 réfugiés, c’est une chose. Aller à leur rencontre en est une autre. Ils ont immédiatement perçu les situations humaines et spirituelles. C’est-à-dire la détresse de ces familles : elles ne savent pas si elles pourront rentrer chez elles. Depuis presque deux ans qu’elles en ont été chassés, pas un centimètre carré de la zone chrétienne n’a été récupéré. L’idée que Daech recule dans la plaine de Ninive est fausse ! Elles ont tout perdu. Ce n’est pas supportable ! C’est aussi une foi et une dignité absolument extraordinaires. Ces gens n’éprouvent pas de haine. Il y a parfois des tensions dans les camps, mais ce sont avant tout des gens de paix qui se posent la question du pardon.
Les évêques ont compris aussi qu’il fallait entendre au-delà du discours de surface : « Je veux quitter l’Irak ». Pourquoi quelqu’un dirait-il cela ? Je me souviens d’un voyage avec Mgr Dominique Lebrun, archevêque de Rouen, quelques jours après qu’ils aient été chassés. Les gens étaient à la rue, sans tente par 50°C à l’ombre . A la question : « Vous ne préfèreriez pas venir en France ? » ils répondaient : « Oui, on serait mieux en France ». On peut jouer sur ce discours, dans l’émotion. Mais creusez un peu plus et les gens vous diront : « Je veux quitter l’Irak puisque je ne peux pas rentrer chez moi ». Mais le désir premier et le plus profond, c’est bien de rentrer chez soi.
Quel espoir pour cette région, face à Daech ?
Le Daech n’est pas une force si considérable que ça. Il n’a pas d’aviation. En revanche, il a contre lui pratiquement toutes les aviations du monde. On comprend bien que dans ces conditions, il est quand même fragilisé. Il compte 30.000 combattants pour un territoire assez vaste. Ce n’est en rien une difficulté militaire. Il faut arrêter de dire cela ! Tout le monde est d’accord pour détruire le Daech. Manque la volonté politique de mettre en place la coordination nécessaire pour cette action. Autrement dit, qui va faire cela ? L’armée de Bagdad, avec ses militaires chiites, habités par l’idée d’une revanche, aidés par une milice iranienne ? Ce serait une catastrophe. Les Kurdes ? Vont-ils libérer le territoire et se retirer ou prendre possession de Mossoul ? Et les forces spéciales, américaines ou françaises ? Je lisais que les Etats-Unis voudraient déconnecter l’Internet du Daech. Ce n’est toujours pas fait ? Les bras m’en tombent ! Regardez la frontière entre la Syrie et la Turquie, lieu de tous les trafics : armes, munitions, terroristes. Daech y vend son coton et son pétrole. Une dépêche annonçait récemment que ses ressources issues des trafics avaient diminué de 30% en un an. Comme si c’était une victoire considérable. Donc il en reste encore 70%… On se moque de nous ! Le discours sur la difficulté permet surtout de masquer le manque de volonté. C’est d’une grande hypocrisie.
Il n’y a aucun signe d’améliorations mais pas non plus de désespoir. Les gens en Irak tiennent parfaitement debout. Cela aussi a marqué les évêques. Ils ne sont ni effondrés ni accablés. Dans les camps de réfugiés existe une vie sociale très forte, très belle. S’ils rentrent chez eux, comme je leur souhaite, l’expérience des liens noués les marquera. Ce sont des gens dignes, ouverts, de vrais croyants, prêts au retour dès qu’ils le pourront.
Si on ne reprend pas très vite Mossoul – ville de 2 millions d’habitants – mais déjà la plaine de Ninive, les populations civiles ne pourront peut-être pas rentrer immédiatement, avec Daech à portée de canon, mais l’espoir sera là !
Que nous apportent, selon vous, les Chrétiens d’Orient ?
Depuis le Christ, les chrétiens ont toujours été persécutés. Ceux qui subissent ces persécutions sont conscients d’une proximité avec le Christ. Cela fait partie de la vie de l’Eglise. Ne croyons pas que cela ne pourrait pas arriver chez nous.
Le christianisme est né en Asie. C’est une religion sémitique. Lorsque les orientaux l’ont apportée en Occident, on l’a inscrit dans la culture gréco-latine. La question n’est pas : « Pourquoi les Chrétiens d’Orient ? » mais plutôt : « Pourquoi les Chrétiens d’Occident ? » Or dans le christianisme chaldéen, syriaque ou encore arménien, la liturgie ressemble encore à la liturgie synagogale. Notre catholicité s’enrichit de la connaissance de ces traditions sémitiques. Pour être catholiques – donc universels – il faut intégrer cette tradition sémitique. Les Chrétiens d’Orient nous le rappellent.
Un livre pour aider à la connaissance des Eglises orientales
Parce que l’émotion est très forte en France dès qu’il s’agit des Chrétiens d’Orient, Mgr Gollnisch s’attache à faire connaître qui ils sont et milite pour faire comprendre « combien il est important et possible qu’ils restent en Orient ». « Ils pourront, avec d’autres minorités, faire bouger leur pays sur la pleine citoyenneté pour tous ou vers une certaine laïcité » estime-t-il. L’autre aspect de ce livre est le témoignage du prêtre et Directeur de l’Oeuvre d’Orient : relations institutionnelles en France et avec les patriarches des Eglises orientales, gestion de l’association… « Favoriser la rencontre d’évêques à évêques sert la communion ecclésiale » se réjouit-il.
Chrétiens d’Orient, Résister sur notre terre (Ed. Cherche Midi)