Intervention de Mgr Jordan à Cotonou

Témoignage de Mgr Thierry Jordan, Archevêque de Reims, membre de la Commission pour la Mission Universelle de l’Eglise, sur l’engagement de l’Eglise en France au service de la réconciliation, la justice et la paix lors du Symposium des Églises – Sœurs à Cotonou du14 au 16 novembre 2011).
 

Jordan Thierry - Reims

Chers Frères dans l’Episcopat, chers Amis,

Il y a quelques jours, la Conférence des Evêques de France était réunie à Lourdes en assemblée plénière, comme elle a coutume de le faire deux fois par an. Tout au long de l’année écoulée, elle a rendu grâces à Dieu avec vous pour le bel anniversaire de 150 ans d’évangélisation au Bénin, qui ont conduit aujourd’hui à une Eglise bien implantée et très dynamique.

Les Cardinaux Barbarin et Vingt-Trois sont venus en 2011 sur la terre béninoise apporter les félicitations et les vœux de vos confrères de France. D’autres Evêques, à titre privé, ont accompli une démarche semblable. Personnellement je me sens particulièrement honoré d’avoir été choisi pour manifester une fois encore la communion de l’Eglise en France, qui est engagée depuis des années déjà avec vous dans un type de relation bien renouvelée, puisque l’on peut parler d’une véritable coopération missionnaire, c’est-à-dire dans les deux sens. On partage, on se soutient mutuellement, chacun apportant son expérience et les moyens dont il dispose. Un long chemin a donc été parcouru, je crois dans la bonne direction. Les défis que nous avons à relever ne sont pas les mêmes, mais la façon de les affronter peut aider les uns et les autres à réfléchir.

Ce que je dis là est vrai pour tout le monde. Lorsque le Pape Jean-Paul II est venu à Reims au mois de septembre 1996, il a déclaré ceci : « Les chrétiens de notre temps ont la même vocation que les premières générations de chrétiens de votre terre, et en même temps leur vocation est déterminée par l’étape présente de l’histoire. L’Eglise est toujours une Eglise du temps présent. Elle ne regarde pas son héritage comme un trésor d’un passé révolu, mais comme une puissante inspiration pour avancer dans le pèlerinage de la foi sur des chemins toujours nouveaux… Il faut déchiffrer notre vocation chrétienne en fonction de notre temps, à la lumière des enseignements du Concile Vatican II sur l’Eglise Lumière des Nations, et sur l’Eglise dans le monde de ce temps ».

Il est exact que, dans un panorama mondial assez chaotique, l’une des préoccupations majeures a trait en ce moment à la recherche de voies possibles de réconciliation entre les peuples ou entre les ethnies. Le risque est de juger inéluctables oppositions et conflits, et de baisser les bras d’avance ; ou encore de se décourager devant l’enlisement, et d’oublier notre ardente obligation d’être des artisans de paix. Le thème du présent Symposium se révèle donc particulièrement opportun.
Je me propose ici de donner un aperçu de la manière dont les catholiques et les diocèses de France s’impliquent eux-mêmes pour contribuer à un tel objectif. Tout de suite, il faut poser un principe absolu. En France, nous n’avons qu’une lecture partielle des événements et des situations qui se déroulent ailleurs. Il faut éviter à tout prix que cette lecture ne soit partiale. Aussi tenons-nous beaucoup à ce que nos efforts soient mis sous la responsabilité du St-Siège quand c’est requis (cf. pour l’Evangélisation des Peuples) et sous l’autorité des Episcopats locaux (pour le reste), avec un dialogue constant entre partenaires. Agir différemment n’aurait pas de sens.
Autre principe : ce n’est pas parce que l’Eglise en France a moins de ressources qu’autrefois en matière de personnel et de moyens, qu’elle doit se refermer sur elle-même. Notre pauvreté relative rend au contraire plus sensible aux pauvretés réelles, voire à la détresse, des autres. Partager entraîne toujours un plus. C’est une manière de vivre effectivement en chrétiens.

Je ne détaillerai pas toute l’action de coopération missionnaire de la France (Diocèses, OPM, Secours Catholique, CCFD, DCC, Justice et Paix, Pax Christi). J’évoquerai seulement ce qui concerne notre sujet.

Par rapport à l’Asie

– Bien que la France n’ait pas été impliquée en tant que telle dans la guerre d’Irak, nous essayons, notamment par le biais de Pax Christi – France, de porter le souci de ce pays meurtri. Pax Christi et son président se rendent régulièrement là-bas pour évaluer les besoins et réconforter les populations notamment chrétiennes. Ils vont surtout vers le Nord du pays (Mossoul, Kirkouk), le Sud restant déconseillé aux voyageurs. Ils sont très préoccupés par l’exode continu des chrétiens. La France accueille ainsi plus de 15 000 Chaldéens, la moitié avant la guerre, la moitié ensuite, venus aussi de l’Est de la Turquie. Nous dialoguons avec les autorités françaises pour garder une attitude humaniste vis-à-vis de ces réfugiés.
– En Syrie, la situation est très difficile comme on le sait. Les coopérants de la DCC ont été priés par notre Ambassade de quitter le pays. Les religieux et religieuses français sont restés, à condition de ne pas interférer. Des problèmes de visas non accordés ou non renouvelés.
– En Israël et en Palestine, nous tenons à avoir des relations avec les deux parties, et à ménager des dialogues discrets entre personnes de bonne volonté des deux camps. Là aussi inquiétude face à l’exode persistant des populations chrétiennes. Soutien aux Latins et Orientaux.
– La France a une longue histoire d’amitié avec le Liban. Nous nous efforçons de ne pas interférer, ce qui ne veut pas dire que nous n’encourageons pas discrètement les diverses communautés chrétiennes à dialoguer avec les autres (et entre elles !), et surtout à ne pas s’enfermer dans le nationalisme politico-religieux.
– Dans toute cette région du monde, souligner l’action de l’Œuvre d’Orient : orphelinats, établissements scolaires et initiatives éducatives, bourses diverses, entretien et protection des sanctuaires, domaine de la santé.
– Ajouter qu’une instance de dialogue se réunit régulièrement, au siège de la Conférence, sur la question chinoise. A l’initiative du Service national de la mission universelle, elle rassemble des experts en sinologie, des prêtres des Missions Etrangères de Paris, des prêtres chinois en pastorale des Chinois en France, des religieux et religieuses, des délégués d’aumôneries d’étudiants chinois. C’est plus un lieu de partage d’expériences que d’action, mais on parle aussi beaucoup des relations en Chine avec l’Eglise du silence, l’Eglise officielle, et les religieux français immergés dans la société chinoise.

Par rapport à l’Afrique

– Il y a 60 prêtres Fidei donum français, 300 laïcs coopérants de la DCC et 300 coopérants dépendant d’autres organismes chrétiens, en service actuellement en Afrique. C’est moins qu’autrefois, mais ce n’est pas rien. Rappelons qu’en sens inverse plusieurs centaines (près de 850) prêtres africains, davantage encore de religieuses, sont accueillis en France. Et beaucoup d’étudiants laïcs aussi, qu’il faut pousser à rentrer chez eux une fois leur diplôme obtenu, pour que leur patrie bénéficie de leur savoir-faire. Ainsi nous ne sommes pas favorables aux dispositions gouvernementales actuelles, qui accordent trop facilement des permis de travail aux diplômés dans les branches professionnelles dont la France a besoin pour son propre développement.
– Des prêtres (pas très nombreux) du Rwanda et du Burundi sont arrivés en France. Il est difficile d’en discerner le motif : politique ? sécurité ? ethnie ? Nous voudrions mettre les choses au clair avec les Evêques concernés. La correspondance ne marche pas bien. Nous n’arrivons pas toujours à réunir tous les éléments, peut-être parce que ces prêtres ont peur de tout dire ou sont pudiques en raison de ce qu’ils ont enduré. Des représentants de notre Conférence sont allés là-bas pour évaluer les choses et les besoins.
– En 2010, pour la seconde fois, la Conférence a envoyé une délégation d’Evêques et de responsables du Secours Catholique, de Justice et Paix et du CCFD, au Darfour (Soudan) pour se rendre compte de la situation dramatique. Elle a reçu aussi en assemblée plénière l’Archevêque de Khartoum.
– En juillet 2011, Mgr Francois Garnier, président de la CEMUE a participé à l’Assemblée de l’ACERAC à Libreville, comme en 2008 à Bangui.
– Depuis 20 ans, quelques Evêques d’Europe, des Commissions épiscopales de la mission universelle, de la pastorale des migrants et des relations avec l’Islam et tout l’épiscopat du Maghreb se réunissent tous les deux ans en commission mixte pour des sujets d’intérêt commun. La rencontre a eu lieu cette année les 2 et 3 mai à Tunis, après la révolution en Tunisie et en plein conflit libyen. Six Evêques français avaient fait le déplacement. Thème : Réflexion pastorale autour des migrations et des migrants. Inutile de dire que les débats ont été marqués par l’évolution du Maroc, de l’Algérie et de la Tunisie, et que le vicaire général de Tripoli, représentant le vicaire apostolique retenu par les événements, a été particulièrement écouté. Ont été présentés aussi les travaux des Synodes pour l’Afrique et pour le Moyen-Orient, et il y a eu des échanges sur le dialogue islamo-chrétien.

Par rapport à l’Amérique latine et aux Caraïbes

L’Eglise en France est engagée dans le même dialogue entre Eglises-Sœurs au service de la réconciliation, de la justice et de la paix sur le continent latino-américain. Elle compte là-bas 70 prêtres Fidei donum, 132 laïcs, 189 religieux et 206 religieuses.

1. Pôle Amérique Latine et Caraïbes du service de la Mission Universelle de l’Eglise.

Très majoritairement les personnes en mission se trouvent dans des lieux où règne la pauvreté, voire la misère. Il n’est pas rare de les rencontrer là où pratiquement plus personne ne veut se rendre. A cause de la violence, de la dangerosité du terrain, des conditions de vie difficile. Leur engagement est d’abord un témoignage de proximité avec les populations : ils sont membres à part entière de la communauté humaine dans leur quartier ou leur région, et sont bien sûr intégrés dans les diocèses ou dans les congrégations du pays.
Ils sont d’importants acteurs de formation. Dans la mesure où la formation est un chemin de valorisation des personnes, beaucoup de leurs actions de terrain, soutenues par les organismes de solidarité et de développement de l’Eglise en France, visent à sortir les populations de l’humiliation créée par la violence et la domination. Beaucoup de ces acteurs sont engagés aussi aux côtés des autochtones dans des mouvements, des amitiés, des syndicats de défense, des communautés de base pour un travail de justice et de construction du futur. Rien normalement ne se fait sans coordination avec l’Eglise locale.
Au minimum tous les deux ans, une réunion continentale permet aux délégués des pays où les envoyés de l’Eglise de France sont en mission de se retrouver pour un temps de partage et de solidarité, à partir d’une présentation des différents pays et des différentes Eglises qu’ils représentent. La réflexion porte sur des thèmes qui concernent la réconciliation, la paix et la justice dans le continent latino américain.
Quelques thèmes choisis au fil des sessions :
– Santiago du Chili 2006 : « Vingt-cinq ans après Puebla, que devient l’option préférentielle pour les pauvres dans l’Eglise d’Amérique Latine et des Caraïbes ? »
– Mexico 2007 : « Le pauvre comme modèle évangélique de vie ».
– Salvador de Bahia 2008 : « Le document d’Aparecida ».
– Haïti 2009 : « Etre disciple missionnaire ».
– Bogota 2010 : « Visages souffrants / Visages du Christ ».
Chaque session donne lieu à un message adressé à la fois aux Eglises d’Amérique Latine et à l’Eglise en France.

2. Proximité avec l’Eglise en Haïti

A la suite du tremblement de terre de janvier 2010, l’Eglise en France a décidé de s’engager concrètement aux côtés des Eglises d’Allemagne et des Etats-Unis pour la reconstruction matérielle, mais aussi morale et spirituelle que veut mettre en œuvre l’Eglise en Haïti au bénéfice de la population.
A été créée une structure appelée PROCHE, conduite par un Comité directeur mixte où les Eglises-Sœurs accompagnent celle de Haïti dans un dialogue sur les projets pastoraux, et sur l’étude de ce qui est nécessaire matériellement pour les mener à bien (garanties de reconstruction de bâtiments, églises, centres paroissiaux, etc.). Cet outil, le seul du pays à prendre en compte les normes antisismiques et anticycloniques, est à la disposition de l’Eglise en Haïti et permet la coordination des ses activités.
Des relations bilatérales ont aussi été mises en place. La CEF a envoyé une mission auprès de l’Eglise en Haïti pour évaluer avec elle ses besoins en matière d’organisation et de formation. Le dialogue s’appuie donc très concrètement sur des besoins à pourvoir, liés au projet pastoral de l’Eglise en Haïti. La France accueille ainsi, et elle forme, 4 ou 5 prêtres haïtiens sur qui reposera demain le futur grand séminaire, à reconstruire entièrement au point de vue matériel et dans son animation.
On peut citer aussi la relation qui s’est instaurée entre l’organisation française « Chrétiens en Grandes Ecoles » et la « Pastorale Universitaire de Port-au-Prince », relation d’aide, de solidarité, de partage, qui permet aux étudiants Haïtiens de n’être pas seuls dans leur réflexion et leur engagement pour l’avenir de leur pays.

Et en France ?

Il ne suffit pas de vouloir partager, il faut aussi reconnaître que l’on a du travail à faire dans son propre jardin.
La Conférence des Evêques a lancé l’an dernier un chantier qui aboutira en 2013. Il s’appelle justement Diaconia 2013. De quoi s’agit-il ? Non pas de recenser tous les organismes de charité et de solidarité qui sont à l’œuvre en France. Non pas non plus de réduire l’amour de charité à l’action humanitaire. Non pas de se fixer sur le ministère des diacres permanents (ils sont plus de 2000 en France). C’est toute l’Eglise dans notre pays qui doit se laisser vivifier par le Christ Serviteur pour témoigner comme servante et pauvre. Il faut mettre le service de la charité au cœur de nos communautés chrétiennes. La diaconie n’est pas une option, mais une façon de traduire aujourd’hui que le Christ est venu pour le salut de tous les hommes, avec une attention particulière aux petits. Et les fragilités ne sont pas que matérielles.

Il est prévu de donner une place particulière :
– à la Parole de Dieu
– aux enfants et aux jeunes
– aux personnes en situation de fragilité
– à la dimension internationale (migrants, frères lointains)

En relisant ces notes, je m’aperçois que, forcément, j’ai mis en évidence ce que l’Eglise en France essayait de faire pour d’autres, ou à l’intérieur de ses propres communautés migrantes. Pardonnez-moi, mais la France a des progrès à faire chez elle. Je vous assure que je suis très intéressé par vos propres expériences pour comprendre l’analyse que vous portez, et en tirer les leçons avec mes confrères. Je vous remercie encore de votre invitation.

+ Thierry JORDAN
Archevêque de Reims