« Donner un visage cambodgien à l’Eglise » par Mgr Schmitthaeusler

Mgr Olivier Schmitthaeusler - 2

Le 24 décembre 2009, Mgr Olivier Schmitthaeusler a été nommé vicaire apostolique coadjuteur de Phnom Penh au Cambodge par le pape Benoît XVI. Agé de 39 ans, ordonné prêtre pour les Missions Etrangères de Paris en 1998, il est l’un des rares Occidentaux parmi les nombreux évêques d’Asie. Mgr Olivier Schmitthaeusler est également le plus jeune évêque français. Il sera consacré le 20 mars 2010 par Mgr Emile Destombes, Mep, vicaire apostolique de Phnom Penh, assisté de Mgr Salvatore Pennacchio, nonce apostolique au Cambodge et de Mgr Christian Kratz, évêque auxiliaire de Strasbourg.
Propos recueillis par Etienne Loraillère.
D’où vient votre vocation missionnaire ?
Je suis issu d’une famille catholique pratiquante d’Alsace. Mon père a été ordonné diacre permanent trois ans avant mon entrée au séminaire. Mais au fond, dès l’âge de 7 ans, je souhaitais déjà devenir prêtre. J’étais fasciné par le sacerdoce. Je comptais les années qu’il me restait avant de pouvoir entrer au grand séminaire de Strasbourg. J’y ai été admis juste après mon bac à 19 ans, après avoir participé au groupe des vocations du diocèse. A ce moment-là, je souhaitais devenir prêtre pour l’Alsace.

Vous avez été ordonné prêtre pour les Missions Etrangères en 1998. Pourquoi ce choix de devenir prêtre missionnaire en Asie ?

A l’époque en France, il y avait encore le service militaire. Je voulais faire ma coopération dans un pays pauvre d’Afrique pour sortir du certain confort de ma jeunesse et découvrir d’autres horizons. Mais le « recruteur » de la Délégation catholique pour la coopération (DCC) était alors un prêtre des Missions Etrangères de Paris, le P. Etienne Perrin, à qui je dois tant. Il a tout de suite remarqué sur mon CV que j’avais participé à un camp découverte-mission en Thaïlande. Il m’a dit : « Vous êtes fait pour l’Asie. » C’est la raison pour laquelle je me suis retrouvé… au Japon.

Et vous voilà vicaire apostolique coadjuteur de Phnom Penh…

Quand j’ai été ordonné prêtre, j’ai fait graver sous le pied de mon calice ces mots : « Par amour ». J’ai accepté d’être évêque « Par service » avec amour, à cause de Jésus. Je ne suis pas cambodgien mais, depuis douze ans mon cœur, ma vie, ma joie et mes peines, mes espoirs et mes rêves sont ici au Cambodge, avec les Cambodgiens et pour eux. Je n’ai qu’un désir, celui de servir l’Eglise au Cambodge et donner à l’Eglise son identité catholique et cambodgienne.
Seuls quelques-uns au Cambodge se sont laissés toucher par la Parole de Dieu et ont accepté de donner leur vie à Dieu. Mais Dieu est présent pour tous les hommes. On sait bien que, dans la société cambodgienne, il y a beaucoup de rejetés, beaucoup de pauvres, des personnes qui vivent dans la misère et la difficulté. L’Eglise doit être à leur côté. Parce que si l’Eglise ne les accueille pas, qui va les accueillir ? Il est essentiel que l’Eglise continue à déployer cette mission d’hospitalité et d’accueil, qu’elle devienne une Eglise servante où chacun puisse se sentir aimé et accueilli pour ce qu’il est.

L’Eglise catholique ne représente que 0,1 % de la population. Si minoritaire, est-elle bien connue de la société cambodgienne ?

Certainement pas encore suffisamment. Des clichés malheureux se sont installés. Les Cambodgiens parlent de « la religion de Jésus » comme d’une religion étrangère et pensent notamment que nous ne respectons pas les parents, après leur mort, en ne faisant pas suffisamment de prières. Et puis être cambodgien signifie être bouddhiste. Pour certains, se convertir au christianisme peut même constituer une trahison à son pays. Le bouddhisme est ici religion d’Etat.
Ceci dit, je pense en particulier à un jeune de Takéo ; il détestait la religion de Jésus, comme ses parents. Mais un jour il est venu à l’église, poussé par des amis. Il a trouvé la Parole de Dieu intéressante, l’attitude des chrétiens l’a intrigué, l’attention aux pauvres également. Peu à peu, il a rencontré Jésus. Il est allé voir ses parents et leur a expliqué. Et tous les clichés que les parents avaient, il les a détruits. Il a reçu le baptême à Pâques dernier. Lorsque les jeunes sont capables de rendre compte de leur foi, je n’ai jamais rencontré aucune opposition de la part des familles.

Quel regard portez-vous sur les 450 ans de mission au Cambodge ? Pourquoi n’y a-t-il seulement que 20 000 catholiques aujourd’hui dans tout le Cambodge ?
L’Eglise au Cambodge est marquée par son histoire. Jusqu’en 1955, le vicariat apostolique de Phnom Penh incluait le territoire de Cochinchine, dont l’actuel diocèse vietnamien de Hô Chi Minh-Ville. Les 3 500 catholiques khmers d’alors étaient en quelque sorte perdus parmi les dizaines de milliers de fidèles vietnamiens. Seuls quelques pères missionnaires orientaient leurs forces vers les Cambodgiens. Mais, à partir des années du concile Vatican II, Mgr Yves Ramousse a inversé la tendance avec la traduction de la liturgie, rendue obligatoire en khmer. L’Eglise a fourni un travail considérable d’apprentissage de la langue et d’inculturation. Il y a encore un demi-siècle, le clergé missionnaire parlait vietnamien. Maintenant, il parle cambodgien.

Pourquoi l’évangélisation des Cambodgiens semble-t-elle si lente ?
Savez-vous comment un Cambodgien perçoit le crucifix quand il passe devant une église ouverte ? D’abord par une réaction d’étonnement ou de rejet. Comment un dieu tout puissant peut-il être crucifié ? C’est inimaginable pour un Cambodgien, d’autant que les notions de Dieu et de personne ne sont pas des concepts présents dans la pensée cambodgienne… Ce n’est pas qu’une affaire de langue. Les difficultés à traduire les mots de la foi chrétienne révèlent la nouveauté du christianisme dans la culture. Ce n’est pas difficile de traduire Jésus… Et ensuite ? Il faut que ce nom prenne un sens.

Au cours de ces dix dernières années, vous avez fondé des écoles, un collège, un lycée, et dernièrement un Institut universitaire au milieu de la rizière. Pourquoi ce pari osé alors que le niveau de scolarisation est extrêmement faible ?

L’éducation est une priorité dans un pays en reconstruction. L’Eglise doit y apporter sa contribution. Elle le fait avec les écoles diocésaines, avec les salésiens et différentes ONG catholiques. Nous devons participer à cet objectif que le gouvernement a fixé pour 2015 : « L’éducation pour tous ». Par rapport à mon expérience à Takéo et Kampot, je constate qu’en trois ans d’études, les élèves ont le temps d’éprouver la signification de la devise des établissements : responsabilité, solidarité et honnêteté. Dans nos écoles, nous avons essayé de développer un esprit de famille et un enseignement de qualité. Les rizières sont trop petites pour nourrir toute la famille. Il fallait leur permettre d’ouvrir leur regard sur le monde, sur leur culture, sur la société, pour envisager leur avenir et pour qu’« ils aient la vie en abondance ».

Les Missions Etrangères de Paris ont pour objectif de former l’Eglise locale. Comment le mettrez-vous en pratique ?

Toute mon attention va aux prêtres cambodgiens ainsi qu’aux religieuses et séminaristes, à l’éveil des vocations aussi bien sacerdotales, religieuses que laïques. Pour l’Eglise, le grand défi pour le quart de siècle à venir consiste à donner un visage cambodgien à l’Eglise. Et cela ne passera que par les Cambodgiens. Le renforcement de la formation des laïcs doit permettre aux Cambodgiens de prendre davantage de responsabilités dans notre Eglise.
Il faudra s’armer de patience pour voir l’éclosion de vocations plus nombreuses. La famille chrétienne n’est-elle pas le meilleur terreau pour les vocations sacerdotales ? Au Cambodge, la première génération de catholiques après la guerre commence tout juste à se marier… Il faut de la patience, beaucoup de prière et d’amour. « N’aie pas peur, c’est moi », dit le Seigneur. Faisons-lui confiance et avançons à sa suite, unis, pour qu’ils aient la vie en abondance, car l’amour du Christ nous presse ! (2Co5,14)

Source: Eglises d’Asie n°521, France catholique

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