« Musulmans comme chrétiens attendent les paroles du pape sur la justice et la paix » : interview du P.Christophe Roucou
Comment Benoît XVI aborde-t-il le dialogue avec l’Islam ?
Mais, dans son itinéraire de théologien, de professeur et de responsable de la Congrégation pour la doctrine de la foi, il n’avait peut-être pas eu l’occasion de rencontrer souvent des musulmans.
Quels sont les jalons dans la construction du dialogue du pape Benoît XVI avec les musulmans?
Le 12 septembre 2006, le discours sur les rapports entre foi et raison, prononcé à l’université de Rastibonne, a entraîné des réactions très vives dans l’opinion publique musulmane mondiale. Le pape a été amené à faire des mises au point pour dire qu’il s’inscrivait bien dans la ligne du Concile Vatican II dont le texte « Nostra Aetate » affirme : « L’Eglise regarde avec estime les musulmans ».
Son voyage en Turquie en novembre 2006 a marqué une étape nouvelle avec des paroles et un geste importants : dans son discours au Président pour les Affaires religieuses (1), il a cité Vatican II et le pape Grégoire VII qui disait, en 1076, que chrétiens et musulmans se devaient une charité particulière, parce que « nous croyons et confessons un seul Dieu, même si c’est de manière différente ». C’était l’affirmation de ce que dans la foi, chrétiens et musulmans, nous ne disons pas la même chose à propos de Dieu mais que nous confessons un Dieu unique.
On se souvient aussi du geste fort : le temps de recueillement à la Mosquée Bleue, en compagnie du Grand Mufti d’Istanbul. « En m’arrêtant quelques minutes pour me reccueillir en ce lieu de prière, je me suis adressé à l’unique Seigneur du ciel et de la terre, Père miséricordieux de l’humanité toute entière. Puissent tous les croyants se reconnaître comme ses créatures et rendre le témoignage d’une véritable fraternité » a-t-il dit le 6 décembre. Ce geste n’a pas fait taire toutes les polémiques mais il a beaucoup marqué les musulmans.
Enfin, en octobre 2007, le pape a reçu une lettre signée par 138 intellectuels musulmans, intitulée « Vers une parole commune ». Elle mettait en avant deux points communs aux chrétiens et aux musulmans, l’amour pour Dieu et l’amour du prochain, base pour une parole commune. C’est la première fois, dans l’histoire récente, que des musulmans citent l’Ancien Testament et les Evangiles.
Cela veut dire qu’ils reconnaissaient ces Ecritures comme de vraies Ecritures. En réponse, un 1er forum catholico-musulman s’est déroulé à Rome en novembre 2008.
Benoît XVI assume l’héritage de Vatican II et de Jean-Paul II dans le domaine du dialogue interreligieux et il insiste particulièrement sur le respect de la liberté de conscience et la liberté religieuse, sur le fait qu’il ne faut pas opposer foi et raison.
(1) : statut équivalent à celui de ministre et qui dirige l’administration religieuse musulmane en Turquie
Comment Benoît XVI est-il perçu par les musulmans dans cette région du monde ?
Benoît XVI souffre de l’image du « pape de Rastibonne ». Le voyage d’Istanbul a modifié cette image. J’espère que le voyage en Terre Sainte confirmera cette relation une relation positive entre le pape et les musulmans.
Quelles sont les étapes clés en Terre Sainte pour le dialogue interreligieux ?
Samedi 9 mai, à Amman, Benoît XVI se rendra à la mosquée Al-Hussein Bin-Talal, qui porte le nom de l’ancien roi de Jordanie. Il confirme ainsi ce qu’il avait dit en Turquie : les chrétiens respectent ce lieu de prière des musulmans.
Dimanche 10 mai, le pape célèbrera la messe au stade international de Amman : une célébration eucharistique, en plein air, dans un pays à majorité musulmane c’est très rare ! En août 1985, le pape Jean-Paul II avait rencontré 90.000 jeunes musulmans au Maroc dans un stade mais c’était pour un échange de discours.
Je sais que les autorités jordaniennes ne souhaitent pas que l’émigration des chrétiens se poursuive mais qu’elles tiennent à ce que la communauté chrétienne continue à vivre en Jordanie et je pense que cette messe en est un signe.
Mardi 12 mai, à Jérusalem, Benoît XVI visitera le Dôme du Rocher sur l’Esplanade des mosquées. Cette visite est symboliquement forte car c’est le troisième lieu saint de l’Islam. Cela signifie aussi que l’Eglise catholique reconnaît que Jérusalem est une ville sainte, non seulement pour les juifs et pour les chrétiens mais aussi pour les musulmans. Je pense que les musulmans seront très touchés par ce geste.
L’étape du mercredi 13 mai à Bethléem sera le seul passage en terre palestinienne.