« La parole du pape a eu une importance capitale dans cette partie du monde » : Interview d’Azzedine Gaci
Le Président du bureau du Conseil Régional du Culte Musulman de Rhône-Alpes est engagé dans le dialogue islamo-chrétien depuis une quinzaine d’années. Il apporte son éclairage sur le regard des Musulmans de France sur le voyage de Benoît XVI en Terre Sainte.
Quel regard les Musulmans de France portent-ils sur le pèlerinage du pape?
Les Musulmans de France sont partagés entre indifférence et espoir. Certains sont indifférents car tellement de choses se sont passées dans cette région du monde sans qu’on puisse trouver des solutions concrètes à ce que vivent les Palestiniens depuis des décennies. Les autres attendent beaucoup : le pape, ce n’est pas n’importe quelle personne. Il pourra, s’il en a le courage politique, faire avancer le dialogue les différentes parties en vue d’une solution qui arrangerait tout le monde. J’ai remarqué que les chrétiens, surtout les responsables catholiques se sont empressés de donner à ce voyage le nom de « pèlerinage » dont l’objectif est de répandre la paix entre les croyants. Ils ne voulaient pas donner un caractère politique à ce voyage. Ce fut un voyage religieux mais aussi un voyage politique dans le sens où la parole du pape a eu une importance capitale dans cette partie du monde.
Benoît XVI s’adresse à tous les croyants, qu’ils soient musulmans, juifs ou chrétiens. Comment recevez-vous ces paroles ?
Je pense qu’il est dans son rôle quand il parle aux croyants de toutes les spiritualités, surtout dans cette partie du monde, berceau de toutes les fois. Il est normal qu’il appelle au dialogue interreligieux : c’est la seule façon qui nous permette de vivre ensemble. C’est ça ou le clash des civilisations dont certains font la promotion aujourd’hui.
A quoi avez-vous été particulièrement attentif ?
J’attendais essentiellement le pape sur ce qu’il allait dire à Bethléem, s’il aurait le courage d’être la voix de ceux qui n’ont pas de voix, de dire ce que se passe véritablement dans cette partie du monde, de parler de la souffrance des Palestiniens, de cette monstrueuse injustice qu’ils vivent depuis près de 60 ans, de la spoliation de certaines terres, des colonies qui ne cessent de se développer. Et dire qu’il ne peut pas y avoir la paix sans justice et que la justice veut que les Palestiniens aient un pays avec des frontières sûres pour vivre dans la dignité et le respect. Le statut de Jérusalem pourra toujours être discuté mais revenir aux frontières de 1967, c’est quelque chose de très important. J’ai été sensible au fait que le pape rappelle que les Palestiniens ont droit à la justice, à la dignité et à la paix. C’est le message qui a et qui est toujours porté par Jésus. Ce faisant, le pape est tout simplement dans la trace de Jésus que nous respectons tous, en tant que musulmans et en tant que chrétiens. J’ai été sensible aussi au fait qu’il répète qu’il ne pouvait pas y avoir de paix sans justice, que les Palestiniens avaient le droit d’avoir un Etat. Pour nous, Jérusalem est le troisième lieu saint de l’Islam. Il occupe une place très importante dans le cœur de chaque musulman, comme dans les cœurs des chrétiens et des juifs. J’ai été très ému quand il a parlé de ces murs qui séparent les uns et les autres et qu’au lieu de construire des murs, nous devrions construire des ponts qui permettent de vivre ensemble. Les Musulmans ne peuvent qu’être ravis d’avoir entendu une personnalité aussi importante rappeler un certain nombre de choses qui sont importantes, non seulement pour les Musulmans mais aussi pour les croyants du monde entier et pour les citoyens épris de justice.
Comment ce voyage contribue-t-il au dialogue islamo-chrétien en France ?
Le dialogue interreligieux dans le monde entier traverse aujourd’hui des moments difficiles. On voit ce qui se passe en Irak, en Afghanistan, l’épineuse question palestinienne à laquelle on n’arrive pas à trouver une solution… On vient de traverser une période difficile avec les événements de Gaza qui ont fait 1500 morts. J’ai été aussi sensible au souhait du pape qu’on mette fin au blocus de Gaza. Je suis engagé dans le dialogue islamo-chrétien mais cela devient très difficile. Que ce soit du côté chrétien ou musulman, on nous ramène à la réalité des choses : à quoi bon tout ça quand on voit ce qui se passe ? Ceci dit, il faut absolument qu’on continue dans ce sens, que le pape ait cette parole et qu’il aille encore plus loin. Je pense qu’il avait mal commencé avec le discours de Rastibonne. Depuis, il a fait des choses qui commencent à effacer ce rapport avec les Musulmans : il a visité des mosquées, voyagé en Turquie, en Jordanie, avec son discours à Bethléem, tous ses discours ne peuvent que donner un nouvel élan au dialogue interreligieux, et notamment islamo-chrétien et donc en France où la communauté musulmane est la plus importante après les catholiques, en France où vivent les plus grandes communautés musulmane et juive d’Europe. Et en Europe en général, où la communauté musulmane est fortement représentée. Pour moi, ce discours va donner des arguments aux musulmans qui sont avec moi et aux chrétiens avec qui je discute. Il faut absolument continuer à construire les ponts, à nous retrouver, à discuter et à construire la paix. Elle ne sera peut-être ni pour demain ni pour après-demain mais elle viendra dans quelques années ou décennies. Aujourd’hui, il ne faut pas baisser les bras. Ce que nous faisons aujourd’hui, nous ne le faisons peut-être pas pour nous mais pour les générations futures.