Eclairage de Mgr Dubost sur l’encyclique Caritas in Veritate : « Qui est mon prochain ? »

Michel Dubost

Le Pape vient d’écrire une encyclique.

La particularité de « Caritas in veritate » est d’inciter à l’action :

Elle n’est pas d’abord une méditation, ou une réflexion mais elle est une invitation à se développer, à grandir.

Grandir c’est le mot.

Son titre exact est « Lettre encyclique Caritas in veritate du Souverain pontife Benoît XVI aux évêques, aux prêtres, aux diacres, aux personnes consacrées, aux fidèles laïcs et à tous les hommes de bonne volonté sur le développement humain intégral dans la charité et la vérité ».

Bref, c’est un traité de développement personnel, communautaire et mondial.

Beaucoup ont commenté les 78 paragraphes de ce texte. J’y renvoie. Mon propos n’est pas de commenter, mais d’inviter, à la suite du Pape, à une sorte d’examen de conscience : pour le Pape le développement de l’humanité nécessite le développement personnel et le développement personnel nécessite de prendre en compte le développement de l’humanité.

Dès lors la question est : que fais-je pour grandir ?

Être intelligent

Il n’y a pas de développement possible si l’on ne pense pas que le développement est possible.

L’imaginaire est essentiel.

Regretter le passé, se plaindre du présent, être catastrophique dans son appréhension du futur sont trois attitudes à l’opposé de l’enseignement du Pape.

Son imaginaire, celui qu’il propose, est plein d ‘espoir.

L’homme, tout homme et tous les hommes peuvent grandir… et doivent grandir.

Pour autant, l’encyclique n’a pas été écrite pour la bibliothèque rose. Grandir suppose des efforts, un véritable travail.

Il est facile de se dire chrétien.

Il est facile de chanter l’amour…

Mais le problème du Pape est d’inviter à ce que toutes nos actions soient, en vérité, une expression d’amour. Toutes nos actions… même les plus prosaïques, même les plus techniques, expression de l’amour ! Et le Pape d’ajouter qu’il n’invite pas à un vague sentimentalisme entourant d’un halo de générosité notre vie courante, mais d’un amour vrai qui cherche le bien de l’autre et de toute la société : « un christianisme de charité sans vérité peut facilement être confondu avec un réservoir de bons sentiments, utiles pour la coexistence sociale, mais n’ayant qu’une incidence marginale » (CIV, 4).

Comment parvenir à cette vérité de l’amour ?

Soyons clairs : Caritas in veritate est un formidable appel à la conversion.
Et le chemin indiqué pour parvenir à cette conversion est d’abord celui du renouvellement de l’intelligence… oui de l’intelligence.

Et ce renouvellement a sa source dans la contemplation du mystère de Dieu.
En Dieu l’amour est vrai. Et il n’est vrai qu’en Dieu.
Jésus, notre Christ, nous a appris qu’en Dieu tout est relation. Chacune des personnes est totalement accueil et totalement don aux autres personnes : « Dieu veut nous associer nous aussi à cette réalité de communion » (CIV, 54).

Certains ont déjà critiqué Benoît XVI parce que son encyclique affirme clairement qu’il ne peut pas exister de développement intégral de l’homme sans cette référence à la vérité de l’amour en Dieu.

La critique, lorsqu’elle est formulée par des chrétiens, témoigne d’une juste volonté de respect et de dialogue avec les non chrétiens : comment ne pas se réjouir de rencontrer des non chrétiens s’engager dans la vérité de l’amour au service du développement ? Mais pourquoi ne pas reconnaître qu’ils s’engagent là sur le chemin de Dieu ? Car il est vrai – comme le souligne le Pape – que Dieu seul est le garant du véritable développement humain en fondant la dignité transcendante de l’homme, en justifiant sa soif d’être plus, en consacrant la fraternité universelle de l’humanité.

Ce renouvellement de l’intelligence a sa source dans la méditation du mystère de l’homme.

A la suite de Paul VI (populorum progressio), Benoît XVI souligne que le développement de chacun ne peut être qu’unifié et prendre en compte toutes les facettes de sa personnalité : « le développement authentique de l’homme concerne unitairement la totalité de la personne dans chacune de ses dimensions » (CIV, 11). Parmi ces dimensions le Pape est attentif à la dimension culturelle dans ses particularités mais aussi à la dimension « naturelle » (il réclame une sorte d’écologie, de respect de cette nature humaine à propos par exemple de la différence sexuelle). Cela dit, pour le Pape, l’homme se forge dans la encontre de l’autre, du différent parce que la fraternité universelle est inscrite dans sa nature.

Au cœur du mystère de l’homme dans la mission du Pape se situe la liberté – qu’il faut toujours respecter – et sa capacité à avancer, à grandir grâce à cette liberté, à condition toutefois qu’il refuse de croire qu’il peut se construire uniquement par lui-même et que, au contraire, il accepte aussi de se recevoir.
Et de donner.

Une des nouveautés de Caritas in veritate est de souligner que « l’être humain est fait pour le don » (CIV, 34)… même si cette caractéristique de son « mystère » lui échappe à cause de sa « nature blessée », du péché originel.

Ce « péché originel », cette blessure se manifeste aussi dans les domaines sociaux, économiques et politiques, lorsqu’il fait oublier ce qu’est le sens de la vie de l’homme.
Le travail sans perspective – voire sans loisirs – sans repos ni contemplation devient aliénant.

Au fond, devant l’échec du tout économique, du tout politique, du tout par la technique, Caritas in veritate, plaide pour une spiritualité incarnée qui seule peut permettre aux hommes et aux femmes de vivre le mystère qu’ils sont, mystère qui est nié quand l’homme est entraîné par la faute , la consommation ou la dictature, mystère qui est protégé quand il accepte de donner sens à sa liberté grâce à Dieu.

Toute l’encyclique peut être reçue comme une participation de l’Église catholique au bon fonctionnement de la société humaine (alors que l’Église a souvent demandé à l’État de la protéger, on assiste à un renversement, c’est l’Église qui se met au service de la société) en disant : il faut que l’homme soit au centre de la vie sociale, politique et économique et en proposant à la société un véritable examen de conscience.

Les six chapitres de l’encyclique sont autant de manière de proposer cet examen de conscience, le premier le fait en reprenant le texte de Paul VI Populorum progressio.
Les titres des autres sont explicités :

  • Développement humain aujourd’hui
  • Fraternité, développement économique et société civile
  • Développement des peuples, droits et devoirs, environnement
  • Collaboration de la famille humaine
  • Développement des peuples et de la technique
Je ne peux ici que renvoyer aux commentaires et surtout à la lecture.

Il est frappant, dans cette lecture, de voir le Pape chercher à prendre en compte le monde tel qu’il est sans nostalgie ni moralisme : l’analyse de la situation de la mondialisation, de la financiarisation, des ruptures qui viennent de modifier l’économie mondiale, comme l’innovation, le développement technologique de l’information, la tertiarisation – c’est à dire l’économie fondée sur les services, les idées, les images… sont précises et – me semble-t-il – pertinentes. Il en est de même de la description de l’entreprise moderne, de la place de l’État, de la complexité de la société.

Le Pape invite à la réflexion.

« La charité n’exclut pas le savoir, mais le réclame, le forme et l’anime de l’intérieur. Le savoir n’est jamais seulement l’œuvre de l’intelligence… il doit être relevé avec le sel de la charité »
(CIV, 30).

Pour autant le regard de l’encyclique peut être critique et inviter à une action réformatrice. Il admet le marché mais refuse le libéralisme absolu, demande aux financiers comme d’ailleurs à tous les entrepreneurs de prendre conscience de leur responsabilité sociale, aux médias de lutter pour la formation et le développement des peuples… aux chercheurs et aux techniciens de penser au sens de ce qu’ils font, à l’État de se repenser dans la société actuelle.

On notera l’importance attachée à la culture comme facteur de développement, à l’attention, au respect de la vie humaine, au plaidoyer pour une véritable liberté religieuse, au soutien des organisations syndicales (alors que les partis politiques ne sont pas cités), au souhait d’une gouvernance mondiale renouvelée et active dans le domaine économique.

Et à chaque instant l’insistance sur la justice et le bien commun.

Le grand défi qui se présente à nous…

« L’activité économique ne peut résoudre tous les problèmes sociaux par la simple extension de la logique marchande. Celle-là doit viser la recherche du bien commun, que la communauté politique d’abord doit aussi prendre en charge. C’est pourquoi il faut avoir présent à l’esprit que séparer l’agir économique, à qui il reviendrait seulement de produire de la richesse, de l’agir politique, à qui il reviendrait de rechercher la justice au moyen de la redistribution, est une cause de graves déséquilibres.

L’Église a toujours estimé que l’agir économique ne doit pas être considéré comme antisocial. Le marché n’est pas de soi, et ne doit donc pas devenir, le lieu de la domination du fort sur le faible. La société ne doit pas se protéger du marché, comme si le développement de ce dernier comportait ipso facto l’extinction des relations authentiquement humaines. Il est certainement vrai que le marché peut être orienté de façon négative, non parce que c’est là sa nature, mais parce qu’une certaine idéologie peut l’orienter en ce sens. Il ne faut pas oublier que le marché n’existe pas à l’état pur. Il tire sa forme des configurations culturelles qui le caractérisent et l’orientent. En effet, l’économie et la finance, en tant qu’instruments, peuvent être mal utilisées quand celui qui les gère n’a comme point de référence que des intérêts égoïstes. Ainsi peut-on arriver à transformer des instruments bons en eux mêmes en instruments nuisibles. Mais c’est la raison obscurcie de l’homme qui produit ces conséquences, non l’instrument lui-même. C’est pourquoi, ce n’est pas l’instrument qui doit être mis en cause mais l’homme, sa conscience morale et sa responsabilité personnelle et sociale.

La doctrine sociale de l’Église estime que des relations authentiquement humaines, d’amitié et de socialité, de solidarité et de réciprocité, peuvent également être vécues même au sein de l’activité économique et pas seulement en dehors d’elle ou « après » elle. La sphère économique n’est, par nature, ni éthiquement neutre ni inhumaine et antisociale. Elle appartient à l’activité de l’homme et, justement parce qu’humaine, elle doit être structurée et organisée institutionnellement de façon éthique.

Le grand défi qui se présente à nous, qui ressort des problématiques du développement en cette période de mondialisation et qui est rendu encore plus pressant par la crise économique et financière, est celui de montrer, au niveau de la pensée comme des comportements, que non seulement les principes traditionnels de l’éthique sociale, tels que la transparence, l’honnêteté et la responsabilité ne peuvent être négligées ou sous-évaluées, mais aussi que dans les relations marchandes le principe de gratuité et la logique du don, comme expression de la fraternité, peuvent et doivent trouver leur place à l’intérieur de l’activité économique normale. C’est une exigence de l’homme de ce temps, mais aussi une exigence de la raison économique elle-même. C’est une exigence conjointe de la charité et de la vérité. » (CIV, 36).

Devenir frère

Ils sont de plus en plus nombreux ceux quoi ne participent pas aux évènements… mais qui les photographient.

Petit à petit nous devenons spectateurs.

Il pourrait en être de même pour Caritas in veritate. Nous pouvons l’apprécier. La discuter. L’ignorer.

Être spectateur. Apprécier la performance du Pape.

L’encyclique n’est pas une œuvre littéraire ni un pamphlet politique, c’est un appel à la conversion de chacun d’entre nous.

C’est un appel à la responsabilité.

Le développement des autres dépend de nous, de chacun d’entre nous ! Personnellement.

Il est bel et bon de parler de la crise, d’être choqué par la désinvolture des grands de ce monde ou d’admirer leur implication… Mais, au fond, le Pape invite, nous invite, à nous situer nous-mêmes et à réfléchir sur notre propre action : il est clair, en effet, que nous pouvons être atteint d’une véritable schizophrénie : nous proposons des valeurs mais comme propriétaire, salarié, épargnant, usager, résident, citoyen, consommateur, parents, nous faisons le contraire de ce que nous professons.

C’est un appel à la responsabilité parce que « le thème du développement des peuples est intimement lié à celui du développement de chaque homme ». « Le développement doit comprendre une confiance spirituelle, et pas seulement matérielle, parce que la personne humaine d’âme et de corps née de l’amour entier de Dieu » (CIV, 76).

Le Pape enseigne que si chacun est responsable de son développement personnel… « Personne ne modèle arbitrairement sa conscience, mais tous construisent leur propre vie sur la base d’un moi qui nous a été donné. Non seulement nous ne pouvons pas disposer des autres, mais nous ne pouvons pas davantage disposer de nous-mêmes. Le développement de la personne s’étiole, si elle prétend en être l’unique auteur » (CIV, 68).

« La charité est un amour reçu et donné. Elle est grâce. La source est l’amour jaillissant du Père pour le Fils dans l’Esprit Saint. C’est un amour qui, du Fils, descend sur nous. C’est un amour créateur qui nous a donné l’existence : c’est un amour rédempteur qui nous a recréés. Un amour révélé et réalisé par le Christ et répandu dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné. Objets de l’amour de Dieu, les hommes sont constitués sujets de la charité, appelés à devenir eux-mêmes les instruments de la grâce pour répandre la charité de Dieu et pour être les liens de la charité » (CIV, 5).

« Aimer c’est donner » (CIV, 6). Donner mais pas n’importe comment.
Cela nécessite de contempler l’amour du Christ et de se recevoir de Lui.
Cela nécessite de réfléchir et d’analyser… car il n’y a pas de charité sans sortir de soi-même, mais aussi sans recherche de la justice et du bien commun.
La charité dépasse la justice mais suppose la justice.
Elle implique de se situer à sa juste place vis à vis de Dieu, de soi et des autres.

Ceci implique un travail sur soi et sur son rapport au monde.
Il n’y a pas d’amour vrai sans ce travail.
Le travail commence par une véritable recherche du sens de sa vie, de la vérité de son action et il continue par une sorte d’examen de conscience qui nécessite une véritable réflexion et s’appuie sur une connaissance du réel.
Connaître le réel, c’est d’abord connaître la nature du monde.

Le Pape insiste beaucoup pour inviter au respect de cette nature donnée, respect qui n’est ni dans l’ignorance, ni d’oubli, ni dans la sacralisation absolue. La connaissance de notre humain implique la reconnaissance de nos limites, de notre aspiration à être plus, de notre besoin de fraternité et de gratuité. Pour le Pape le terme de la nature est unique et indivisible et invite au respect de l’environnement, de la vie, de la sexualité, de l’union de l’homme et de la femme dans le mariage, de la famille, des relations sociales.

Mais le Pape insiste aussi sur la participation de chacun à la vie sociale et politique.
Il me semble ne pas trahir le Pape en appelant d’abord en ce domaine à la réflexion et à une réflexion marquée par notre foi : « La raison a toujours besoin d’être fortifiée par la foi – et ceci vaut également pour la raison politique qui ne doit pas se croire toute puissante. A son tour la religion a toujours besoin d’être purifiée par la raison afin qu’apparaisse son visage humain authentique. La rupture de ce dialogue a un prix très lourd au regard du développement de l’humanité. » (CIV, 56).

Connaître le réel implique de s’informer et de chercher à comprendre le monde.
Le Pape insiste sur le rôle des médias pour cela.
Et chacun de nous peut s’interroger sur les instruments dont il se sert pour connaître le monde tel qu’il est.

Mais il n’y a pas que les médias – et parmi les médias – il n’y a pas que les médias électroniques : il y a dans l’encyclique comme une invitation à apprendre ou à continuer à lire, à discuter, à rencontrer.

Cela dit une des bonnes manières de connaître est de s’engager.

Le Pape parle de l’engagement syndical, de l’engagement dans les associations et de l’engagement politique.

Il est presque surprenant lorsqu’il donne beaucoup d’importance au respect des cultures, de leur sens profond. Il y a chez lui comme une invitation à se situer dans la vie dans un rapport de fierté avec sa culture et à admettre sa différence et les frontières, non pour créer des murs mais pour permettre de dialoguer en vérité.
La responsabilité vis à vis du prochain et de son développement est de chaque instant et doit informer tous les actes de la vie.

Le Pape invite ainsi chacun à être un consommateur responsable… adhérant éventuellement à une association de consommateurs. Le Pape envisage aussi des coopératives d’achat. « Il est en outre utile de favoriser de nouvelles formes de commercialisation de produits en provenance des régions pauvres de la planète afin d’assurer aux producteurs une redistribution décente » (CIV, 66).

Le Pape invite aussi à réfléchir à sa consommation énergétique et à son respect de l’environnement.

Benoît XVI invite encore à être un touriste responsable : « Le tourisme international est vécu bien souvent dans un esprit de consommation et de manière hédoniste : il est comme une évasion avec des modes d’organisation spécifique aux pays de provenance, de sorte qu’il ne favorise en rien une rencontre véritable entre personnes et cultures. Il convient alors d’imaginer un tourisme différent ». (CIV, 61).

Le Pape invite enfin, à être un épargnant responsable. Certes il y a de longs développements sur la nécessité d’une réglementation du monde de la finance « qui vise à protéger les sociétés les plus faibles et à empêcher des spéculations scandaleuses » mais il demande que l’on fasse appel à la responsabilité de l’épargnant (CIV, 65) et dans son élan encourage les micro crédits.
« L’expérience de la micro finance s’enracine dans la réflexion et dans l’action des citoyens humanistes ». (CIV, 65). « Investir, outre sa signification économique, revêt toujours une signification morale » (CIV, 40) « et il importe de ne pas céder à la tentation de recherche de profits à court terme sans rechercher aussi la continuité de l’entreprise » (CIV, 40). Il est clair, pour le Pape, que celui qui investit doit réfléchir son investissement en pensant d’abord au développement de son propre pays, et à fournir un travail décent à ceux qui l’entourent.

« Le développement a besoin de chrétiens qui ont les mains tendues vers Dieu dans un geste de prière, conscients du fait que l’amour riche de vérité, caritas in veritate, d’où procède l’authentique développement, n’est pas produit par nous, mais nous est donné. Tout cela vient à la fois de l’homme parce que l’homme est le sujet de son existence et de Dieu parce que Dieu est au principe et à la fin de tout ce qui a de la valeur et qui libère » (CIV, conclusion).

Bref le Pape appelle, pour toute action, à la prière, à l’amour, l’intelligence, le travail et l’engagement.

Être ensemble pour la mission

L’encyclique, en rappelant et en actualisant la doctrine sociale de l’Église invite chaque acteur – qu’il soit petit ou grand – à faire un véritable examen de conscience :
Ma manière concrète de vivre, d’agir, est-elle inspirée par un amour vrai qui donne aux autres la faculté de grandir ?

Il est bien d’interroger ainsi les politiques, les entrepreneurs, les financiers, les commerçants. Mais aussi chacun comme producteur ou consommateur.

Mais l’examen de conscience s’impose aussi à nous comme paroisse, comme secteur ou comme diocèse
Nous aussi nous avons une responsabilité et un rôle à jouer.
Nous aussi nous sommes au milieu d’un monde qui attend ce que nous pouvons apporter pour qu’il grandisse. Au milieu de nous se trouvent des représentants des peuples qui ont faim, des personnes n’ayant pas le minimum affectif ou matériel pour vivre.

Parmi nous existent de nombreux jeunes qui aspirent à vivre pleinement…
Il s’agit donc de chercher la manière dont nous pouvons ensemble nous nourrir de l’encyclique et en vivre.

Qui est mon prochain ?

Cette question doit nous tarauder ensemble.

L’encyclique suppose trois chemins pour y répondre.

Tout d’abord la prière.

« L’espérance chrétienne… est une puissante ressource sociale au service du développement humain intégral recherché dans la liberté et la justice…
Parce qu’elle est un don que tous reçoivent, la charité dans la vérité est une force qui constitue la communauté, unifie les hommes de telle manière qu’il n’y ait plus de barrières ni de limites » (CIV, 34).

Notre célébration, notre prière commune ont une véritable importance politique à condition d’être vraie ou au moins de chercher à être vraie !

La question dès lors est : Quelle est notre espérance ? Comment la fortifions-nous ? Quel est le sens de la vie pour nous ? Quelle importance attachons-nous au fait de recevoir la vie éternelle ? Quelle joie nous donne la certitude d’être aimé ?

« L’unité du genre humain, communion fraternelle dépassant toutes divisions, naît de l’appel formulé par la parole du Dieu Amour » (CIV, 34). Déjà le Synode nous invitait à bâtir notre action sur la réception de la parole de Dieu… où en sommes-nous ? Personnellement ? Communautairement ?

Quel rôle joue – en vérité – les sacrements de la rencontre du Seigneur dans la formation de notre communauté ?
Si nous ne sommes pas témoins de l’espérance qui le sera ?

 Ensuite la réflexion.

Il est toujours difficile d’analyser une situation dans laquelle nous sommes impliqués.

Et cela est pourtant nécessaire pour ne pas faire n’importe quoi.

La générosité peut être aveugle et quelquefois même dangereuse si elle n’est pas pensée.

La réflexion n’est pas l’apanage des chrétiens.

Certes sil est bon de réfléchir entre catholiques (cela est même nécessaire pour lutter contre les silences qui tuent les communautés) et entre chrétiens. Mais la foi appelle la raison et permet ainsi de rencontrer les non croyants : « Le dialogue secret entre foi et raison ne peut que rendre plus efficace l’œuvre de charité dans le champ social et constitue le cadre le plus approprié pour encourager la collaboration fraternelle entre croyants et non croyants dans leur commune intention de travailler pour la justice et pour la paix de l’humanité ». (CIV, 57).
« Ce dialogue doit ravir l’imagination et ouvrir des portes nouvelles » (CIV, 32).

Tout au long du deuxième trimestre 2009, le journal La Croix a présenté des initiatives permettant d’avancer « à contre crise ». Notre département fourmille de telles initiatives qu’il serait intéressant de rassembler et de faire connaître.
On verrait bien qu’un site sur le Net permette un tel effort. On imagine sans peine les rubriques de ce service d’échange d’informations : le micro crédit (objet, capacité de remboursement nécessaire, accompagnement de l’emprunteur), club des chercheurs d’emploi, club des consommateurs intelligents, bourse de formation, aide à l’innovation, fiscalité choisie, etc. …).

Une réflexion est aussi nécessaire, dans notre département, sur la possibilité de rencontres interculturelles. Certes nous sommes en France et nous ne pouvons pas penser que ces rencontres se fassent dans un autre contexte que celui de la langue, de l’histoire et de l’organisation de notre pays. Pour autant la multiplicité des origines culturelles des habitants du département doit être prise comme une chance et un devoir :
« Toutes les cultures ont des pesanteurs dont elles doivent se libérer, des ombres auxquelles elles doivent se soustraire. La foi chrétienne qui s’incarne dans les cultures en les transcendant, peut les aider à grandir dans la convivialité et dans la solidarité universelle au bénéfice du développement communautaire et planétaire ».
(CIV, 59).
Par les uns à côté des autres. Les uns avec les autres.
Là encore le travail de réflexion est immense.

Enfin l’action.

Il s’agit pour notre communauté diocésaine et pour nos communautés locales de participer à la construction de la fraternité mondiale en commençant à bâtir cette fraternité autour de nous.

Si nos communautés semblent quelquefois fades et sans rayonnement sur la société qui les entoure c’est que nous ne savons pas donner à l’Eucharistie sa dimension prophétique d’annonce du salut de l’humanité rassemblée dans la paix du Christ.

« L’Eucharistie est signe et début de réalisation d’une solidarité intergénérationnelle, interculturelle, inter sociale, non seulement dans le domaine spirituel mais dans les domaines écologique, juridique, économique, politique, culturel. La vivre ainsi permettra « de vivre et d’orienter la mondialisation de l’humanité en termes de relationnalité, de communion et de partage ». (CIV, 42).

Avant la publication de l’encyclique, j’avais proposé que chaque communauté de paroisse ou de secteur fasse un « geste » face à la crise pour le Noël qui vient.

La proposition demeure plus que jamais d’actualité.
Préparer ce geste devrait permettre de s’informer sur les conséquences de la crise et amener une discussion sur ce qu’il est possible de faire pour y répondre.
Mais il nous faut aller plus loin.

Le Pape rappelle que chacun est « un sujet toujours capable de donner quelque chose aux autres » (CI, 57). Chacun – c’est à dire chaque donateur potentiel et chaque récepteur… Il est nécessaire de mettre en place des collaborations plus que de l’assistance – sauf, bien entendu, en cas d’urgence.

Avec le Secours catholique, le CCFD, les Conférences Saint Vincent de Paul, il nous faut réfléchir ensemble à la manière dont nous exerçons notre charité à l’égard de ceux qui en ont besoin. Le Pape donne quelques critères qui peuvent aider dans cette réflexion : l’aide doit permettre la responsabilité de ceux à qui elle est destinée, elle doit éviter le particularisme des choix arbitraires pour les victimes, elle doit éviter l’assistanat… « Cette règle de caractère général doit être prise sérieusement en considération notamment quand il s’agit d’affronter des questions relatives aux aides internationales pour le développement. « Malgré l’intention des chrétiens, celles-ci peuvent parfois maintenir un peuple dans un état de dépendance et même aller jusqu’à favoriser des situations de domination locale et d’exploitation dans le pays qui reçoit cette aide » (CIV, 58).

Ceci est vrai de l’aide internationale, ceci est aussi vrai de l’aide locale.

Notre diocèse est riche de multiples associations dont la générosité est souvent sans borne, mais qui n’ont pas les moyens de réfléchir « techniquement » à ce qu’elles font.
Nous avons demandé au CCFD et au Secours catholique en particulier, dans le cadre du vicariat solidarité, d’organiser une grande table ronde pour réfléchir à ces questions.

En bien des domaines abordés par l’encyclique, il convient – il conviendrait – que nous fassions entendre la voix des catholiques auprès de nos élus.

Le Pape invite sans cesse à prendre en compte le « bien commun ». « Œuvrez en vue du bien commun signifie, d’une part, prendre soin et d’autre part, se servir de l’ensemble des institutions qui structurent juridiquement, civilement et culturellement la vie sociale qui prend ainsi forme de la « polis, de la cité » (CIV, 7).

Nous avons quelque chose à dire et à faire comme chrétiens ! En affirmant que nous sommes chrétiens… dans le cadre d’une laïcité ouverte. Se taire sur notre foi – au prétexte de respecter les convictions des autres – c’est se taire sur ce qui peut permettre à la société de découvrir qu’il faut aller au delà des lois économiques et des rapports de force, c’est accepter que l’homme soit mutilé de ce qui, à nos yeux, constitue sa grandeur.

La participation des chrétiens à la vie politique est nécessaire.

L’interpellation des politiques est sans doute une urgence.

Nous ne devons pas accepter que l’idéologie de l’égalité à tout prix conduise dans l’éducation à une sélection par l’échec, nous ne devons pas accepter que «l’exaspération des droits des uns aboutisse à l’oubli de leurs devoirs » (CIV, 43).
Nous ne devons pas accepter que les sans papiers » vivent dans des conditions qui ne respectent pas leur dignité. « Tout migrant est une personne humaine qui, en tant que telle, possède des droits fondamentaux inaliénables qui doivent être respectés par tous en toute circonstance ». (CIV, 62).

Certes notre Département a pu sembler ne pas vivre la crise de plein fouet à cause du nombre de ses fonctionnaires et d’une certaine « tertiarisation de son emploi ». Pour autant la crise est là et il importe que nos élus favorisent l’évolution du plateau de Saclay, en travaillant à la question des transports, en favorisant le maintien et même le développement d’un certain tissu industriel, en appuyant la recherche et la création de PME… Que sais-je ?

L’analyse de la situation et l’élaboration de la solution appartiennent à chacun.

Conclusion

« Avoir en commun des devoirs réciproques mobilise beaucoup plus que la seule revendication des droits » (CIV, 43).

Nous pouvons nous sentir atteints par la crise.

Nous pouvons estimer que nous sommes plus pauvres que d’autres.

Cela est légitime. Et c’est souvent vrai.

Mais pour autant nous ne pouvons pas oublier notre richesse… et nos devoirs vis à vis de l’humanité… en commençant par ceux qui – au milieu de nous – sont en difficultés.

Benoît XVI en appelle à une prise de conscience : Le prochain, c’est celui dont nous acceptons de nous rendre proche.

Nous qui sommes les témoins d’un Dieu incarné, d’un Dieu proche, accepterons-nous d’entendre l’appel à sortir de nous-mêmes pour rencontrer celui qui nous tend une main fraternelle ?

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